Je ne sais pas si les Européens ont profité des « dividendes de la paix », mais ce dont je suis à peu près sûr, c’est que ce qu’il va falloir dépenser pour rattraper le retard pris pour assurer la sécurité de l’Europe, va être élevé. À plus forte raison, si les Américains décident de se désengager de l’Alliance atlantique.
La fin des illusions, parce qu’une majorité des États membres de l’Union européenne ne voulait pas entendre parler d’un Europe-puissance. Puissante, avec ses 450 millions d’habitants, elle l’est sur le plan commerciale, économique et industrielle, monétaire depuis l’avènement de l’euro, mais, être une puissance militaire, qui implique un projet politique, nombreux étaient – et sont encore – ceux qui n’en voient pas la nécessité. C’est inutile, puisque les États-Unis y pourvoient. C’est d’ailleurs leur intérêt.
Seulement voilà, l’Europe, naïve, imprudente, se retrouve, en ce début d’année 2024, prise en étau entre un régime politique russe agressif, désinhibé, qui ne cache pas son intention de reconstituer la « Grande Russie », pour ne pas dire l’Union soviétique, et un ancien, et peut-être prochain, président des États-Unis, qui laisse planer le doute sur l’avenir de l’Alliance atlantique et déclare qu’il refusera de protéger contre une agression russe tout allié de l’Otan qui ne dépenserait pas assez pour sa défense. L’Europe est vulnérable, impuissante.
Le président russe s’en amuse. Il excelle dans l’art de faire peur, de sous-entendre, de faire allusion, sans jamais être précis, de semer la terreur en Europe, comme dans son propre peuple. C’est sa conception du pouvoir. Il est convaincu que c’est la seule solution pour conserver le pouvoir. Il n’est pas le premier à le penser. « Oderint, dum probent », « Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils m’approuvent », aurait été prononcé par l’empereur Tibère avant d’être repris par son successeur Caligula. Transformée en « Oderint dum metuant », « qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent », la maxime, encore plus violente, figurerait dans les écrits de Cicéron. Elle a été mise depuis, dans la bouche de nombreux « humanistes » !
Malgré les alertes, l’accumulation des menaces, le révisionnisme grossier de l’Histoire, l’emprisonnement, quand ce n’est pas la suppression, des dissidents, la recherche et le développement d’un armement de plus en plus puissant, l’esprit de revanche, la nostalgie de l’empire soviétique, l’Europe, comme dans les années trente, n’a pas attaché beaucoup d’importance à la montée des périls. Convaincue que la présence américaine, dans le cadre de l’Alliance atlantique, était là pour l’éternité ; convaincue que cette présence suffisait à assurer sa protection, à dissuader toute menace sérieuse, elle a été négligente, pour ne pas dire irresponsable. Elle a baissé la garde !
L’Europe n’a pas suffisamment prêté attention aux campagnes d’influence et d’ingérence de la Russie. Celles-ci avaient pour but de déstabiliser l’Europe, de modifier les opinions publiques, le cours de certaines élections. En clair, elle n’a pas pris au sérieux la menace que ces actions constituaient. La chute du Mur de Berlin, le démantèlement de l’Union soviétique, l’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan de la plupart des anciens pays satellites du Pacte de Varsovie, étaient une promesse de paix éternelle pour une Europe pacifique qui pouvait se consacrer à son développement économique et à son mode de vie incomparable.
L’Europe n’a pas voulu voir venir l’orage !
Les archives du journal Le Monde témoignent à la fois des illusions que la plupart des dirigeants européens ont pu se faire, et, ce qui est plus grave encore, du refus d’entendre les mises en garde de ceux qui alertaient sur l’irresponsabilité et l’inconscience dont faisaient preuve les gouvernements qui baissaient la garde.
Je les ai consultées. J’en ferai la synthèse, dans les prochains articles, en n’oubliant jamais le constat du général américain Douglas Mac Arthur : « Les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard. »
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