La « crise » immobilière de 2008 – 2012, ne fut pas une crise


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Nicolas Sarkozy remporta l’élection présidentielle le 6 mai 2007. Le pays connaissait depuis deux ans, une « embellie économique et sociale ». L’année 2006 avait été une année de référence pour le logement. 430 000 mises en chantier et 565 000 permis de construire témoignaient d’un niveau d’activité qui n’avait pas été atteint depuis longtemps.

Le nouveau président de la République ne manquait pas une occasion d’exprimer sa conviction que l’accession à la propriété changeait le comportement des Français qui, en devenant propriétaires de leur logement, respectaient leur quartier et avaient un plus grand sens de la responsabilité. Pour ce faire, il proposait la création d’un prêt foncier à taux zéro qui permettrait de ne payer le terrain qu’après avoir achevé le remboursement du bâti. Il souhaitait également que l’accès au crédit hypothécaire soit facilité pour ceux qui ne disposaient pas d’apport personnel et que la mobilité contrainte soit aidée par à une exonération de droits de mutation sur les achats et ventes que celle-ci imposait. Pour Nicolas Sarkozy, l’objectif était de parvenir à ce que deux tiers des Français soient propriétaires.

Le chef de l’État n’ignorait pas le renversement de tendance qui se dessinait aux États-Unis et le risque que la crise financière touchât également la France. Les clignotants commençaient à passer au rouge. À la Bourse, le début d’année fut catastrophique. Il devenait plus difficile d’emprunter et l’euro ne cessait de monter face au dollar. Dans les milieux économiques et financiers, l’inquiétude grandissait. L’immobilier, qui est souvent un bon baromètre de l’activité, commença à se contracter. Les ventes de logements neufs baissèrent de plus de 33 % au deuxième trimestre de 2008 par rapport au deuxième trimestre de 2007. La Banque de France avait mis en garde depuis de nombreux mois : « Une hausse des prix de vente trop importante désolvabilise les candidats à l’achat d’un logement ». Les professionnels de l’immobilier, comme au début de chaque crise, se voulaient rassurants : « Les fondamentaux du marché sont bons. La situation en France n’est pas comparable à celle des États-Unis, de l’Espagne et du Royaume Uni. Il n’y a pas de subprimes en France, les banquiers ne prêtent pas inconsidérément ».

Durant la semaine du 14 septembre 2008, le monde apprenait la faillite de Lehman Brothers que la banque centrale américaine, la Fed, avait décidé de ne pas sauver pour faire un exemple. La suite est connue. Un vent de panique submergea le monde économique et financier. Crise de liquidité, crise de confiance, krach boursier, firent craindre une crise systémique que les gouvernements et banques centrales eurent le plus grand mal à endiguer. La récession, commencée dès le début de l’année, ne pouvait être stoppée malgré les plans de relance financés par la dette qui furent énergiquement engagés pour éviter la catastrophe et maintenir en vie le système économique et financier.  Le chef de l’État prit l’engagement de faire adopter et appliquer très vite des dispositions qui permettent de mener à bien les programmes immobiliers en cours et la libération de terrains appartenant au secteur public sur lesquels seront construits des logements qui, en augmentant l’offre, freineront la hausse des prix. Une nouvelle fois, le logement était frappé de plein fouet par la crise. C’était la cinquième depuis 1963. Pour soutenir l’activité et accessoirement faire baisser les prix de vente devenus fous, le gouvernement s’engagea à racheter aux promoteurs immobiliers des opérations représentant 30 000 logements dont les travaux n’avaient pas encore commencé faute de clients.

Les professionnels de la construction, et les médias, ont passé deux années, 2007 et une grande partie de 2008, dans le déni. Les commentaires des statistiques de ventes et de mises en chantier, publiées toujours avec un certain retard, étaient les mêmes qu’en 1991 : « En France, la situation est particulière », ou « Le marché va atterrir en douceur ! », ou encore « Il va y avoir un ralentissement de la hausse des prix mais certainement pas une crise. » Il n’était pourtant pas très difficile de comprendre que les prix de vente dans l’immobilier ne pouvaient pas continuer longtemps à augmenter cinq fois plus, chaque année, que le taux d’inflation général et les salaires. Les profits exceptionnels pouvaient à la rigueur s’investir, sans limite de prix, dans de très beaux appartements à Paris ou sur la Côte d’Azur, mais il n’était pas sérieux de généraliser.

Convaincus, comme au début de chaque crise, que les besoins étaient considérables, que la demande était très supérieure à l’offre et que toutes les conditions étaient réunies (taux des crédits peu élevés, absence de spéculation) pour que le marché reste soutenu, les professionnels n’eurent aucune difficulté, avec l’aide des médias, à convaincre les Français que la hausse des prix de l’immobilier était normale et inexorable. Or, tous ceux qui ont un peu de mémoire, savent que le déni, quand le retournement de tendance a commencé, est un facteur d’aggravation de la crise et d’allongement de sa durée.

Pour qu’une crise immobilière soit de courte durée, nonobstant l’environnement économique général, il faut que trois conditions soient réunies : Que l’ajustement des prix soit rapide et suffisant, que les taux de crédit soient incitatifs et que l’État prenne rapidement des mesures qui encouragent fiscalement l’investissement locatif et soutiennent le logement social. Il est indéniable que la « panne » économique survenue à la fin de l’année 2008 a aggravé la crise immobilière. La confiance a brusquement disparu. Les Français, inquiets, n’attendaient même plus que les prix baissent, mais avaient besoin d’y voir plus clair pour leur épargne, leur emploi, la valeur de leur patrimoine. Face au ralentissement de l’activité économique, la deuxième loi de finances rectificative pour 2011 a durci le régime des plus-values immobilières. Celles-ci ne seront plus effacées qu’après trente ans de détention. Les perspectives étaient donc sombres pour 2012. Les professionnels s’attendaient à une baisse du volume de transactions en raison des restrictions sur le bénéfice du PTZ + et de l’arrêt du dispositif Scellier de réduction d’impôt sur l’investissement locatif. S & P, l’agence de notation financière, prévoyait que les prix de l’immobilier allaient chuter de 15 %.

L’année 2011 est restée dans les annales comme la dernière année de vaches grasses de l’immobilier ? Le marché immobilier connaissait un début de correction, mais cette correction fut limitée. Les prix sont vite repartis à la hausse et le volume des transactions est revenu à son niveau d’avant-crise. « The Economist » constatait que le marché immobilier français était l’un des plus chers au monde, mais l’Insee n’observait pas de bulle dans l’immobilier.

Quand débuta l’année 2012, la France se trouvait dans une situation très particulière qui n’avait pas d’équivalent dans les pays développés. La valeur des biens immobiliers était déconnectée des loyers. La première phase de la crise, en 2008, avait stoppé la hausse des prix dans tous les pays sauf en France. Ceux-ci ont continué à augmenter comme si de rien n’était, au point d’atteindre une progression de l’ordre de 130 % depuis 2000. Cette déconnexion des prix et revenus, était une anomalie par rapport à une règle que les experts appellent « le tunnel de Friggit ». Les professionnels avançaient un certain nombre d’explications qui s’additionnaient. : La pénurie, la baisse des taux des crédits, l’allongement de la durée des prêts, la forte demande étrangère, la décohabitation familiale, les aides publiques, les incitations fiscales à l’investissement locatif. Tout se passait comme si les Français les plus aisés avaient la profonde conviction que les prix seront encore plus élevés demain et que « les arbres peuvent monter jusqu’au ciel ».

En effet, le patrimoine des Français, composé en grande partie de biens immobiliers (62 %), avait doublé en dix ans. Il s’élevait, d’après l’INSEE à 10 000 milliards d’euros, l’équivalent de 5 années de PIB pour la France. Ce patrimoine était composé pour 7 463 milliards d’euros (fin 2010) de biens immobiliers. Mais, cette récente enquête montrait aussi que le patrimoine était plus inégalement réparti que les revenus. En 2004, les ménages les plus riches en patrimoine (10 %) en détenaient 48 % et les 5 % les plus riches, 35 %). L’enquête révélait que les ménages les moins riches (50 %) n’en détenaient que 8 %. C’est dire si les inégalités étaient importantes. 22 % des ménages seulement, dans la moitié des Français les moins riches, étaient propriétaires de leur logement, alors que les ménages les plus riches étaient pratiquement tous propriétaires de leur logement. Thomas Piketty, professeur à l’École d’économie de Paris en concluait que « la France vit dans une période historique de très grande prospérité patrimoniale » et « qu’il faut remonter un siècle en arrière pour trouver un tel rapport entre les revenus et le patrimoine ». Investir dans la pierre, le plus souvent en empruntant, est considéré par les Français comme un placement refuge, un bon moyen de se constituer un patrimoine.  Ne fallait-il pas remonter le temps encore un peu plus que ne le faisait Thomas Piketty et se demander si la période ne correspondait pas à celle que décrivait Balzac. « Enrichissez-vous », aurait dit le protestant François Guizot, ministre de Louis Philippe. En fait, il avait dit à ses électeurs de Saint-Pierre-sur-Dives, dans le Calvados, au cours d’une campagne électorale : « Enrichissez-vous par le travail, par l’épargne et la probité ». Fondée sur l’effort et non sur la spéculation, cette formule traduit cependant bien ce que fut l’attitude de la bourgeoisie du XIXe siècle vis-à-vis de la richesse. La politique de la France, en entretenant en permanence la pénurie de logements, aura au moins permis à une partie de la population de s’enrichir comme le confirmait une récente enquête de l’Insee.

Logiquement, les prix immobiliers auraient dû fléchir en parallèle de l’effondrement de la demande. En 2012, il fallait 8 400 euros/m2 pour acheter à Paris, entre 2 400 et 3 800 euros/m2 dans une métropole et 2 600 euros/m2 en moyenne en France. Il n’était plus question d’un risque d’éclatement d’une bulle immobilière, mais d’un marché qui se régulait, qui s’adaptait à la demande. Le marché immobilier français a poursuivi sa hausse. Les prix ont atteint des niveaux records grâce à la capacité d’emprunt des ménages.

Cette crise ne fut pas une vraie crise. C’était une correction, une adaptation, tout au plus

À suivre…


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