« Trop, c’est trop ! »


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En mai 2019, nous avions publié, Jean-Paul Benoit et moi, les entretiens que nous avions eus, sur l’état de l’Union européenne et son avenir. Sous le titre, volontairement provocateur, pour bien exprimer nos opinions respectives, « L’Europe : l’être ou le néant ? », nous avions abordé franchement les questions qui fâchent. La Politique agricole commune, la première politique commune de l’Union européenne, créée en 1962, avait, bien entendu, été évoquée. La journaliste qui nous interrogeait, nous avait demandé si, en 2019, la PAC était toujours compatible avec le libéralisme ?

Ma réponse avait été la suivante :

S’il est un domaine dans lequel les concepts de patriotisme et de souveraineté européenne prennent tout leur sens, c’est bien celui de l’agriculture. La Politique agricole commune, a permis de relever le défi de l’autosuffisance alimentaire en Europe et, au fil des années et des réformes, a obtenu des résultats significatifs en matière de performance économique de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire. Elle s’est adaptée aux menaces qui pèsent en permanence sur les échanges agricoles dans un monde globalisé, en maintenant un modèle d’exploitations familiales sur l’ensemble des territoires.

Depuis sa création, la PAC a beaucoup évolué. On n’en est, je crois, à la cinquième réforme. Elle a aujourd’hui deux piliers : le soutien du marché, des prix et des revenus agricoles et le développement rural. Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le Parlement européen est co-législateur avec le Conseil, au même titre que les États membres. Environ 40 % du budget total de l’UE (166 milliards d’euros), soit près de 60 milliards d’euros, sont consacrés à la politique agricole commune. La France reçoit plus qu’elle ne contribue. Elle reçoit 9,8 milliards d’euros d’aides du premier pilier et 1,4 milliard d’euros d’aides du deuxième pilier. Le plus gros contributeur net est l’Allemagne, bien que la France demeure la première puissance agricole de l’UE.

La PAC illustre l’état dans lequel est l’Europe, laissant entrevoir la concurrence farouche et les différends qui règnent entre les États membres, en l’absence d’harmonisation sociale et fiscale. Pour être concis, dans ce domaine, comme dans les autres, deux thèses s’opposent ; les libéraux et les protectionnistes. Les partisans du libéralisme et de la mondialisation, majoritaires aujourd’hui, ont tendance à réduire les aides et à ouvrir le marché communautaire à la concurrence internationale, en application des traités. Les protectionnistes affirment que la fin des mécanismes de stabilisation a mis les agriculteurs à la merci des distributeurs et de l’industrie agroalimentaire. Ils réclament la sortie de l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce et un retour à des outils de régulation du marché.

Entre les deux, la Commission définit une politique conforme aux traités et applique la politique décidée. La politique agricole commune, actuellement en vigueur, arrive à échéance au 31 décembre 2020. La suivante durera sept ans jusqu’au 31 décembre 2027. Après de longs travaux de préparation, la Commission propose une nouvelle PAC qui imposerait à chaque État membre de définir un plan stratégique avec des règles conformes aux objectifs fixés, en lui laissant davantage de marge de « subsidiarité ». La Commission recommande de décentraliser au maximum les prises de décision. Les critères de versement des fonds ne seraient plus décidés par les fonctionnaires européens mais par les pays, qui établiraient des « plans stratégiques nationaux agricoles » à faire valider par la Commission. Cette dernière garderait quand même la main sur les objectifs généraux de la PAC.

Les organisations professionnelles, et leurs experts, mettent en garde. Si les conditions d’attribution des aides ne sont plus uniformisées pour l’ensemble de l’UE, il y aura de sérieux risques de divergences et de concurrences déloyales entre agricultures nationales. Les détracteurs considèrent que ce projet est une renationalisation déguisée de la PAC.

Ce qui est certain, c’est que les propositions de la Commission européenne contiennent des « coupes budgétaires » drastiques, estimées à 11 % et 28 % respectivement pour le premier et le second pilier, ainsi qu’un changement de l’esprit de la PAC. La France risque de perdre près de 5 milliards d’euros d’aide directe sur la période 2021-2027.

Des filières peuvent disparaître si nous ne les protégeons pas et si nous ne protégeons pas ce bien précieux que sont notre agriculture et la santé des consommateurs. L’agriculture européenne doit notamment être protégée des normes imposées par les non Européens. Un agriculteur sur deux va prendre sa retraite à l’horizon 2022. Dans cinq ans, il ne restera, en France, que 300 000 exploitants si nous ne faisons rien.

L’Union européenne est la première puissance agricole mondiale. Face aux défis, auxquels elle est confrontée, elle doit faire bloc, être unie. Sinon, le risque est grand de voir les marchés agricoles européens devenir un champ de bataille. La communautarisation n’est pas incompatible avec la subsidiarité.

En résumé, il y a sans doute mieux à faire dans le cadre d’une réforme de la gouvernance de la zone euro. Il faut réinventer la PAC et ne pas se contenter de la renationaliser. La PAC, dotée d’un budget propre, est un début de fédéralisme budgétaire. C’est d’ailleurs, pour cela, qu’elle suscite, depuis 1962, tant de débats et de passion.

Le premier ministre, Gabriel Attal, en déplacement dans l’exploitation d’un éleveur de bovins à Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne)

Elle devrait, au contraire, servir de modèle pour élargir à d’autres secteurs, le champ des compétences de l’Union européenne. Les États membres ne doivent pas se diviser au moment où l’agriculture européenne est en danger. C’est l’idée même de l’Europe qui est en jeu.

 Les mises en garde, les avertissements, non pas étaient entendus. L’esprit de la PAC, qui permettait à une diversité d’exploitations de coexister sur le même marché, a été abandonné. Le marché, la libéralisation, la productivité, voilà la nouvelle boussole. La fin des prix garantis, remplacés par des prix de référence qui ont baissé de 50 %, compensés par des aides directes compliquées et difficiles à percevoir, provoquant de la paperasserie, du stress, de l’exaspération, a dénaturé l’esprit de la PAC. La folle inflation de normes aurait-elle pour but, de décourager les exploitants ? La Commission européenne a poursuivi la baisse du budget européen en faveur de l’agriculture et multiplié les accords de libre-échange, sans tenir compte des inconvénients qu’ils comportent pour l’agriculture française, pourtant jugée stratégique. La poursuite des négociations sur le Mercosur, en est l’illustration. La Commission a négligé l’importance du choc que constitue la volonté de concilier la performance économique et la performance environnementale. La technocratie européenne et française n’a pas pris en compte la gravité de ce choc et ses conséquences. C’est une défaillance coupable, une faute, qui doit être corrigée, mais il n’est jamais facile de faire rentrer le dentifrice, dans le tube !

Si l’agriculture européenne est aussi stratégique que les dirigeants l’affirment, alors il faut en tirer les conséquences politiques et budgétaires d’urgence.

Cinq années ont passé depuis la publication de « L’Europe : l’être ou le néant ? Les Britanniques ont quitté l’Union européenne, la Covid19 a ébranlé le monde, la Russie a envahi l’Ukraine. La guerre bouleverse les équilibres de puissance. La perspective d’accueillir au sein de l’Union européenne, l’agriculture ukrainienne et ses trente millions d’hectares qui augmenteront la surface agricole de l’UE, avec ses centaines d’exploitations de plus de mille hectares, alors que la moyenne des fermes françaises est autour de 70 hectares, a bouleversé la donne.

Dans ce contexte nouveau, les citoyens européens sont à nouveau invités au mois de juin, à élire leurs représentants au Parlement européen. Les nationalistes espèrent, cette fois-ci, obtenir la majorité au Parlement européen. Geert Wilders, le Néerlandais, Victor Orban, Matteo Salvini, le chef de file de la Ligue, l’AFD, en Allemagne, et le Français, Jordan Bardella, sont optimistes, même si le « cordon sanitaire » est encore solide.

Les exploitants agricoles, en Allemagne, en France, en Belgique, en Lituanie, qui avaient déjà de bonnes raisons de craindre pour leur avenir, sont désespérés. Quand ils sont désespérés, leur désespoir se transforme en colère ! Ils manifestent. Des agriculteurs de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs de la région parisienne promettent, demain, un « siège de la capitale », parce que « Trop, c’est trop » !

 


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