Le vrai du faux


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Jeune fille à la perle

La vidéo dans laquelle Marine Le Pen présente ses vœux aux Français, en russe, le dimanche 31 décembre, a troublé les esprits. Si le porte-parole de Renaissance a publié son œuvre sur X, avec l’aide d’une intelligence artificielle, pour faire parler de lui, il a réussi, peut-être même au-delà de ses espérances. L’intelligence artificielle a permis de modifier la parole et la langue de Marine Le Pen, de manière étonnante. L’hyperréalisme que l’IA permet d’obtenir, fait peur. Son utilisation politique au moment où le Washington Post publie une enquête sur les méthodes employées par Vladimir Poutine pour influencer l’opinion publique française et tenter d’affaiblir le soutien à l’Ukraine, est de nature à renforcer le sentiment que nos concitoyens ont qu’il devient impossible de distinguer le vrai du faux.

Certes, ce n’est pas nouveau. Relire aujourd’hui ce que publiaient « Je suis partout », « Le Petit Parisien » ou « La Gerbe » la presse collaborationniste, pendant l’Occupation, peut faire sourire, sachant ce que nous savons, mais, à l’époque, le résultat était dramatique. Il est impossible de savoir quelle part de la population croyait vraiment au délire mensonger de cette presse. Il n’existait pas de sondage d’opinion. Pierre Dac est devenu célèbre à partir du moment où les Français ont commencé à chanter, comme lui, sur Radio Londres, « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand », sur l’air de La cucaracha.

Alexandre Soljenitsyne, en son temps, a dénoncé les pratiques de l’Union soviétique en faisant le constat que : « Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir ». L’Union soviétique a disparu, mais la pratique demeure et se répand dans de nombreuses régions du monde. Aux États-Unis, où le mensonge est pourtant durement réprimé, le constat que faisait Soljenitsyne, pourrait s’appliquer aux délires de Trump. Il en est de même dans tous les pays totalitaires et illibéraux, de plus en plus nombreux. Autant dire que l’exigence de vérité est en voie de disparition ! Vive la post-vérité !

Il y a des précédents à la vidéo dans laquelle Marine Le Pen présente ses vœux aux Français, en russe, dans de nombreux domaines. Yuval Noah Harari, l’auteur de Sapiens, dans le journal Le Point (1), craint tout simplement « que l’IA détruise les fondements de la démocratie ». Pour illustrer son propos, il cite l’artiste américain August Kamp qui a changé l’environnement de la Jeune Fille à la perle, peinte par Vermeer en 1665, à l’aide d’intelligence artificielle. Comme le faisaient déjà les Soviétiques, en supprimant des personnages sur des photos, il est possible, aujourd’hui de publier sur les réseaux sociaux « Un selfie avec Jésus ! ». Aux États-Unis, le Parti républicain invite les Américains à « Battre Biden », dans une vidéo réalisée à partir d’images générées par IA. En Chine, le procédé est purement et simplement interdit.

Le problème, c’est que les moyens modernes de communication aboutissent à ce que la mauvaise information, comme pour la mauvaise monnaie, chasse la bonne. Quand on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux, le mensonge n’existe plus. En prétendant être la vérité, il s’impose, devient légitime. C’est sur ce phénomène que les propagandistes, les complotistes et les sectes, prospèrent. C’est ainsi, en toute innocence, que s’installent les régimes totalitaires, que commence la tyrannie. Les réseaux sociaux, et en particulier celui d’Elon Musk, en refusant toute régulation sérieuse, porteront, de ce point de vue, une responsabilité historique. Le 17 février prochain, l’épreuve de force entre l’Union européenne et les plateformes promet d’être un rendez-vous important, dans ce domaine. L’IA est probablement l’événement technologique le plus important, avec l’IPhone, de ce début du XXIe siècle. Elle révolutionne de nombreux domaines, en bien et en mal, en particulier l’information.

Pendant une trentaine d’années, j’ai entendu un directeur de Paribas, que quelques lecteurs et lectrices reconnaîtront sans doute, citer ce proverbe créole de son enfance : « Crois la moitié de ce que tu vois et rien de ce que tu entends ». J’avais fini par le faire mien. Avec l’IA, je ne crois plus du tout à ce que je vois !

  • (1) https://www.lepoint.fr/sciences-nature/intelligence-artificielle-le-debat-choc-et-inedit-harari-le-cun-11-05-2023-

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Commentaires

2 réponses à “Le vrai du faux”

  1. Avatar de Bernard ROTH
    Bernard ROTH

    A ce sujet, essentiel de nos jours, je recommande vivement la lecture de l’ouvrage de Guiliano da Empoli « Les ingénieurs du chaos » , écrit avant « Le mage du Kremlin » et qui décrit les outils technologiques appliqués discrètement au marketing du populisme ; comment identifier, segmenter, convaincre ceux qui ne votent pas et se contenteront d’explications simplistes et de bouc émissaires ? Comment assurer ensuite que les populistes parvenus ainsi au pouvoir démontrent par leur incompétence qu’ils ne sont pas au mains des élites qui confisquaient le système à leur seul profit .
    Salvador Dali parlait souvent de l’entreprise de « crétinisation des peuples », on voit comment ça peut désormais fonctionner ….

  2. Avatar de Bernard ROTH
    Bernard ROTH

    « Les batailles perdues se résument en deux mots : trop tard. »
    Douglas Mac Arthur, officier général américain (1880-1964).

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