Le 8 septembre, quand les Jeux paralympiques ont pris fin, la crise politique ne s’était pas dénouée comme par enchantement. La France pouvait être fière de ce bel été. La presse internationale avait unanimement salué ce moment de joie et de rassemblement. Ce furent peut-être les plus beaux Jeux olympiques de l’histoire. Douze millions de billets avaient été vendus, un record ! Jamais, une ville, ses monuments, son peuple, n’avait autant communié avec une Olympiade. Tony Estanguet avait fait un sans-faute. Il avait fait preuve de tous les talents, de sérieux, d’organisation, de rigueur, de ténacité. Des talents unanimement reconnus. La comparaison avec le paysage politique, sa mesquinerie, sa médiocrité, son irresponsabilité, son « droit à la paresse », revendiquait par Sandrine Rousseau, n’en était que plus cruelle.
La vasque, qui avait si brillamment symbolisé l’espoir, pendant la durée des Jeux, était à peine éteinte, que les médias recommencèrent à bombarder les Français de mauvaises nouvelles. Les comptes publics feraient apparaître un déficit beaucoup plus important que prévu. C’était incompréhensible, inexplicable. En 2024, le déficit public devrait dépasser les 6 % du PIB, loin de la prévision gouvernementale de 5,1 %. Le dérapage serait de l’ordre de 100 milliards d’euros depuis janvier, La dette, par voie de conséquence, ne cesse d’augmenter. Le chiffre de 3 000 milliards d’euros donne le vertige !
L’été 2024 était renversant ! À une longue période d’insouciance, succéda, à nouveau, l’inquiétude. Le réveil était douloureux. Sidérés, à l’annonce de la dissolution, consternés, quand ils ont connu les résultats des élections législatives, les Français se sont passionnés pour les JO, notamment les Jeux paralympiques, si émouvants. Ils se sont enthousiasmés pour les exploits de nos représentants, ils ont provisoirement oublié leurs soucis, avant d’atterrir dans le champ de ruines démocratique qu’est devenu notre beau pays.
Par manque d’expérience et de sens politique, notre jeune et brillant président de la République s’est pris les pieds dans le tapis ! Il a provoqué une situation inextricable, inédite sous la Ve République. Il a été bon sur le choc d’offre, l’appareil productif, mais il a échoué sur la réforme de l’État, l’accumulation des normes, des réglementations. Bruno Le Maire, ironise : « Je ne m’en vais pas parce qu’il faut bien qu’il reste un adulte dans la pièce ». Le « quoi qu’il en coûte », une drogue dure, a rendu fou, mais il ne fallait pas gâcher un si bel été
La France, au début du mois de septembre, n’avait toujours pas de gouvernement. Aucun des trois blocs représentés à l’Assemblée nationale, n’est en mesure de gouverner seul. Il faut donc constituer une coalition, comme sous la IVe République, mais, en raison de la proximité probable de nouvelles élections législatives et de la prochaine élection présidentielle, personne ne veut sacrifier à cette pratique gouvernementale, fréquente dans la plupart des démocraties européennes.
Le ridicule, avec les initiatives de quelques anciennes gloires politiques, qu’il serait inutilement cruel de nommer, l’a souvent disputé au pathétique. Les sportifs français s’étaient couverts de gloire, les politiques, avec leurs misérables petits calculs, ont, en cette fin d’été, offert un bien triste spectacle que le succès du Comte de Monte-Cristo, avec ses différentes formes de vengeance, illustrait magnifiquement.
La France n’avait toujours pas de Premier ministre. Les responsables politiques ne s’intéressaient qu’à leur avenir personnel. Laurent Wauquiez n’avait aucune envie de prendre le moindre risque. Marine Le Pen, vexée, après ce qui s’était passé, attendait son heure en jouant au chat et à la souris ! Elle posa ses conditions dans « Le Parisien ». Elle ne s’opposerait pas immédiatement à un Premier ministre qui ne traiterait pas le RN « comme des pestiférés » et respecterait ses élus, qui s’engagerait à introduire la proportionnelle aux législatives, qui « n’aggraverait pas le problème de l’immigration, l’insécurité » et qui ne « raserait pas les classes populaires et modestes dans son budget ». En compétition pour la médaille d’or du ridicule, Éric Ciotti annonça que son mouvement porterait désormais le nom de UDR pour « Union des droites pour la République ». Il fallait oser ! Ségolène Royal se déclara « disponible pour Matignon ». Pour les Français, encore au spectacle des Jeux, c’était à se taper sur les cuisses.
Bernard Cazeneuve, un homme sérieux qui connaît très bien le fonctionnement de l’État, ne demandait rien. Reçu à l’Élysée, il exigea du Président une clarification sur la répartition des rôles avant d’accepter une mission « impossible ». Il voulait être sûr qu’il s’agirait bien d’une cohabitation. Ce n’est pas ce que cherchait le chef de l’État qui consultait sans désemparer. Les jours passaient ! Pour compliquer un peu plus le vaudeville qui se déroulait devant les Français, Édouard Philippe annonça : « Je serai candidat à la prochaine élection présidentielle ». Les Français qui avaient exprimé dans les urnes, une demande de sérieux, d’autorité et de liberté, avaient dit également qu’ils ne voulaient accorder une majorité absolue, ni au RN, ni au Nouveau Front Populaire. Comme clarification, on peut faire mieux !
Décidément, l’été 2024 était étonnant. Rien ne se passait comme prévu !Les électeurs RN avaient le sentiment qu’ils n’avaient pas gagné l’élection législative, en raison d’une union diabolique entre des gens qui ne sont d’accord sur rien. Les électeurs de gauche considéraient, eux, qu’ils avaient gagné et que ce qui se passait depuis le 7 juillet était un « déni démocratique », un « coup d’État institutionnel ». Lorsque près de deux tiers des électeurs ont le sentiment de s’être fait voler une élection, il y a un problème !
Pendant ce temps, j’allais écrire, pendant la fête, le compteur tournait, le déficit augmentait. Le gouvernement sortant laisserait un déficit à 154 milliards d’euros. Comment est-ce possible ? Pendant la pandémie de Covid, il a été nécessaire de soutenir l’activité économique et les entreprises. Personne ne le conteste, mais pourquoi a-t-on tant tardé à remettre un peu de rigueur dans la dépense publique. Pour l’instant, les marchés financiers sont calmes. Ils pensent, à tort ou à raison, que la Banque centrale européenne sera toujours là pour aider la France. En cas de gouvernement avec le Nouveau Front populaire ou le Rassemblement national, le risque serait de s’opposer à la Commission européenne en décidant de ne plus respecter les règles européennes. La BCE et les marchés financiers ne l’accepteraient pas. Les esprits sont troublés. Il faut vite un Premier ministre pour remettre de l’ordre dans la maison France.
Des noms circulent. Celui de Thierry Beaudet, le président du Conseil économique, social et environnemental, qui incarne la société civile, les syndicats, le patronat et les associations. Très proche de Laurent Berger, l’ancien secrétaire général de la CFDT, il aurait donné son accord au chef de l’État. Les noms de Bernard Cazeneuve et de Xavier Bertrand, également. Les anciens présidents de la République, François Hollande et Nicolas Sarkozy, sont consultés. Il faut du courage pour accepter une mission de cette nature, dans le contexte actuel. Le nouveau Premier ministre va connaître un enfer parlementaire. Bernard Cazeneuve souhaite revenir sur la réforme des retraites, ce que refuse le chef de l’État, qui aurait maintenant dans l’idée de nommer Xavier Bertrand. Gérard Larcher, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau ne s’y opposeraient pas, mais demandent au Président de s’assurer auprès des formations politiques qu’un tel scénario serait accepté, notamment par le RN. Xavier Bertrand, au moins, ne serait pas censuré par les siens, comme Bernard Cazeneuve !
Nommer un Premier ministre est une chose, mais pour faire quoi ? Avec quelle majorité de députés pour faire adopter un budget 2025 qui ne satisfera personne ? Pendant combien de temps ? À la merci d’une motion de censure qui pourra être votée à tout moment !
De nouveaux noms firent leur apparition, notamment celui de Michel Barnier. Emmanuel Macron le reçoit, est convaincu et tranche : ce sera lui. Il appelle Gabriel Attal, Gérard Larcher, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée, pour les prévenir : Michel Barnier sera son cinquième Premier ministre.
Le 5 septembre, près de deux mois après les élections législatives et la démission de Gabriel Attal, le président de la République nomme Michel Barnier, 73 ans,par voie d’un communiqué. Il a pour lui ses qualités de négociateur, sa capacité à trouver, sans se renier, des compromis au nom de l’intérêt général et non pour des raisons d’ambition personnelle. Il est tenace, patient, sérieux, modéré, persévérant et très travailleur. Autant de qualités qui lui seront nécessaires quand il va devoir affronter l’Assemblée nationale et faire voter un budget pour 2025. La France est sous procédure de déficit excessif. La tâche s’annonce rude pour ce négociateur expérimenté qui a été le négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit lorsque le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne. Il a bénéficié, pour accéder à Matignon, de la bienveillance du Rassemblement national (RN), qui a décidé de lui laisser sa chance, au moins un certain temps ! Pour se maintenir le plus longtemps possible à Matignon et éviter de se faire renverser, Michel Barnier peut espérer réunir 235 sièges, avec le bloc central (166 sièges), les LR (47) et le groupe centriste LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, 22), loin de la majorité absolue (289). J’ai déjà raconté la passation de pouvoirs entre Gabriel Attal et Michel Barnier. Je n’y reviens pas ! Le contraste entre cet homme d’un autre temps et son prédécesseur, de 35 ans son cadet, est saisissant.
Les dirigeants socialistes défilent sur les plateaux des chaînes d’info en expliquant pourquoi ils censureront Michel Barnier. Quelle désespérante mauvaise foi ! Il aurait suffi qu’ils acceptent de soutenir Bernard Cazeneuve, seul, à gauche, capable de constituer une coalition, pour éviter un Premier ministre de droite ! Ils ont commis une erreur stratégique majeure qu’ils vont mettre longtemps à regretter,
À l’Élysée, on ne veut pas parler de cohabitation. On emploie un mot-valise qui mélange le début d’un mot et la fin d’un autre. On parle de « coalitation » pour « relativiser » la cohabitation qui s’annonce ! Pour adoucir ce mot connoté, on parle aussi de « coresponsabilité », de « coexistence exigeante » pour expliquer que la répartition des rôles entre l’Élysée et Matignon sera équilibrée.
Les problèmes s’accumulent. À l’international, la guerre en Ukraine prend une tournure inquiétante. Aux États-Unis, c’est l’incertitude, à quelques semaines de l’élection américaine de novembre prochain. Le renoncement de Joe Biden a changé la donne. L’élection s’annonce très serrée entre Donald Trump et Kamala Harris. L’Union européenne traverse une période difficile. Au Proche Orient, la stratégie de vengeance du gouvernement israélien, après le 7 octobre, peut conduire à un embrasement dans la région. Quelle attitude adopter face à la Chine menaçante et conquérante ? Sans parler de la débandade de la France en Afrique. À l’Assemblée, une majorité pro russe, antiaméricaine, eurosceptique, peut à tout moment s’exprimer ! Bruno Le Maire, accusé d’avoir menti, triché, dissimulé, s’est défendu, le lundi 9 septembre, lors de son audition par les députés de la commission des finances. Son image de « père la rigueur », en a pris un coup !
La composition du gouvernement clarifiera, on peut l’espérer, le degré d’indépendance du nouveau Premier ministre. Un sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro, révèle que deux tiers des Français souhaitent que le président de la République laisse Michel Barnier gouverner. Pour composer le gouvernement, une seule personnalité recueille une petite majorité d’opinion favorable : Tony Estanguet (51 %). Toutes les autres personnalités testées suscitent davantage de rejet que d’adhésion.
Le 12 septembre, des milliers de spectateurs se sont massés le long des Champs Elysées pour assister à la grande parade des athlètes, qui met un point final aux Jeux de Paris 2024.
Le19 septembre, la constitution du gouvernement se fait toujours attendre, deux semaines après la nomination de Michel Barnier à Matignon. Après avoir essuyé de nombreux refus, à gauche comme à droite, Michel Barnier a dû se résoudre à offrir des postes ministériels à des personnalités sans poids politique, sans notoriété, assez inexpérimentés.
Le Secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, le samedi 21 septembre à 19 h 49, annonce enfin la composition du gouvernement Barnier, qui se réunira pour un Conseil des ministres dès ce lundi 23 septembre à 15 heures Jamais gouvernement de la Ve République n’avait été aussi long à voir le jour.
Jusqu’au dernier jour, cet été, l’été 24, aura été surprenant, étonnant, à nul autre pareil. Rien ne s’est passé comme prévu ! Pour toutes ces raisons, il aura une place particulière dans l’histoire de notre pays
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