Dimanche prochain, les Français, un peu perdus, épuisés, sont appelés à voter pour le premier tour de l’élection présidentielle, alors que le pays est confronté à des crises de toutes natures, pandémie, terrorisme, guerre en Europe, catastrophes écologiques, effondrement des partis de gouvernement, qui rendent l’avenir imprévisible.
Qui, parmi les douze candidats, sera, durant les cinq années à venir, le « chef » que le général de Gaulle a voulu pour la France ?
Dès les premières pages du second volume de ses « Mémoires d’espoir », intitulé « L’Effort », le général de Gaulle explique pourquoi il a voulu que le président de la République, « le chef de l’État, le « guide de la France », soit élu par le peuple. « Depuis longtemps, je crois que le seul moyen est l’élection par le peuple du président de la République. Celui-ci, s’il était désigné par l’ensemble des Français – personne d’autre n’étant dans ce cas – pourrait être « l’homme du pays -, revêtu, par là, aux yeux de tous et aux siens d’une responsabilité capitale, correspondant justement à celle que lui attribuent les textes. Sans doute faudrait-il, en outre, qu’il voulût porter la charge et qu’il en fût capable. Cela, bien évidemment, la loi ne peut le garantir. Car, en aucun temps et dans aucun domaine, ce que l’infirmité du chef a, en soi, d’irrémédiable, ne saurait être compensé par la valeur de l‘institution. Mais, à l’inverse, le succès n’est possible que si le talent trouve son instrument et rien n’est pire qu’un système tel que la qualité s’y consume dans l’impuissance. »
Suivent, soixante-dix pages, dans l’édition Plon de 1971, nécessaires, aux yeux du Général, pour expliquer le combat qui fut le sien, pour imposer sa « doctrine que le peuple français doit trancher lui-même dans ce qui est essentiel à son destin. » Seul, contre tous, mais pas contre le peuple, il se permet d’ironiser, au moment d’écrire ses Mémoires, sur « l’antique propension française à se disperser en tendances verbeuses et à s’amuser des jeux politiques comme on le fait des luttes du cirque ou des concours au mât de cocagne, enfin l’aversion des intérêts organisés à l’égard d’un pouvoir fort, les partis restaureraient leur primauté et remettraient en marche le déclin. Il va de soi que je suis résolu à faire échouer leur tentative. Mais cela implique que, contre eux tous, les Français me donnent raison. »
Le 28 octobre 1962, le peuple français a décidé que le président de la République serait élu désormais au suffrage universel. Sur 28 185 000 inscrits, 21 695 000 ont voté. Il y a eu 21 125 000 suffrages exprimés, dont 13 151 000 Oui – soit plus de 62 % – et 7 974 000 Non.
Trois ans après, le général de Gaulle, qui n’avait aucune raison de douter de sa réélection, annonça sa candidature tardivement, le 4 novembre 1965, à la télévision, à 20 heures, en ces termes : « Que l’adhésion franche et massive des citoyens m’engage à rester en fonction, l’avenir de la République nouvelle sera décidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu’elle s’écroulera aussitôt ».
Sûr de son succès, le général n’avait aucunement l’intention de débattre avec Monsieur Jean-Louis Tixier-Vignancour ou Monsieur Marcel Barbu. Les Français le connaissaient. À quoi bon utiliser son temps de parole de campagne à la télévision. Les sondages faisant pourtant état d’une surprenante baisse des intentions de vote en sa faveur, le Général revint sur sa décision et accepta de participer à la campagne officielle à la télévision dont François Mitterrand, candidat de l’Union de la gauche, et le centriste Jean Lecanuet avaient compris l’importance. En ballottage au premier tour, à la surprise générale, le général de Gaulle l’emporta au second tour avec 55,2 % des suffrages exprimés face à François Mitterrand qui représentait, à ses yeux, tous les défauts de la IVe République. Le 8 décembre 1965, en Conseil des ministres, il reconnut « Je me suis trompé… C’est moi, et moi seul, qui ai confondu élection et référendum ».
Trois ans plus tard, en mai 1968, le régime vacilla, pendant quelques heures !
J’ai, à plusieurs reprises, écrit sur ce blog, ce que je pense de l’élection du président de la République au suffrage universel. Inutile, pour l’instant, de revenir sur le sujet. C’est fait, c’est fait…
Cinquante-huit ans après, les risques que ce mode de scrutin portait en germe dès son institution, en 1962, n’ont fait que s’accroître. Ne soyons pas excessifs, le pays n’est pas en dictature, comme le prétendent certains, mais notre démocratie est malade, peut-être même en danger ! Le paysage politique est en ruine, l’offre politique très moyenne, l’électorat désabusé, le débat sur l’avenir, les enjeux, les défis, à peu près inexistant. Comme seules réponses, des drapeaux agités, du son, des effets de lumière, des injures, des outrances, et surtout, ce que craignaient les principaux opposants à la volonté du général de Gaulle : un concours de démagogie assez souvent ridicule et des promesses irréalisables qui n’engagent que ceux qui les écoutent ! Les Français, depuis longtemps, ne se font plus d’illusions !
Une Présidentielle manquée !
Quand la volonté nationale ne s’exprime pas clairement sur les principaux sujets ; quand le mandat qui sera donné au vainqueur, ne se dégage pas avec un minimum de précision, comme l’avait voulu le Général, la campagne est manquée ; elle n’a pas répondu à sa raison d’être. Il y a, alors, un problème que le président élu ne pourra résoudre que par l’autoritarisme, lors des décisions à prendre, en raison du nombre beaucoup trop élevé de contestataires sur la plupart des sujets. Sur l’Europe, notamment, les thèses défendues par des candidats qui représentent plus de 40 % des intentions de vote, remettent en cause les traités et institutions européennes. Leur mise en œuvre pourrait conduire à la sortie de la France de l’Union européenne, comme vient de le faire le Royaume Uni. Ce serait tout simplement la fin de la construction européenne, de l’euro, de la solidarité. Bref, le chaos !
Les menaces, mises en garde, avertissements sur le risque d’illégitimité du prochain président, sont également des signes que le régime politique n’est plus aussi solide que le général de Gaulle le pensait avec les institutions qu’il avait voulues pour la France.
Une campagne manquée, une campagne pour rien, parce que la population est lasse. La durée de la pandémie, des confinements, des restrictions de libertés, des peurs, ont sans doute épuisé psychiquement et physiquement une population inquiète, sous état d’urgence quasi permanent, qui a perdu ses repères et semble attendre, en vain, un guide qui n’est apparu, pour l’instant, que sous la forme d’un polémiste conservateur, nationaliste, qui s’est éteint très vite, comme jadis, le général Boulanger.
La démocratie résiste difficilement à des guerres permanentes : « guerre contre le terrorisme », « guerre contre le virus », « guerre en Ukraine ». La Ve République, institutionnellement solide, apparaît aujourd’hui hésitante, dépassée, incapable de protéger les Français dans l’unité nationale, sans les infantiliser. Ils se sont pourtant montrés, dans une très grande majorité, obéissants, disciplinés, ces Français si souvent moqueurs, ironiques et frondeurs.
Tout se passe comme si l’électorat était invité à voter alors qu’il est encore en réanimation. Il n’y aurait rien de surprenant, à ce que, dans cet état, de nombreux Français s’abstiennent, ou votent blanc, le 10 avril. Ce qui serait inédit dans une Présidentielle, le mode de scrutin préféré des Français.
La compétition oppose plusieurs droites et plusieurs gauches, plus extrêmes que crédibles. Les intentions de vote, qu’enregistrent les organismes de sondages, ne correspondent pas au souhait du corps électoral, de ne pas revoir le second tour de 2017. Faute d’offre de meilleure qualité, probablement !
Les médias et instituts de sondages portent une part de responsabilité dans cette situation. Quand, à longueur de journée, pendant des mois, on vous raconte un film, l’envie d’aller le voir, perd de son intérêt ! Emmanuel Macron, aussi, porte une part de responsabilité ; adoré à l’international, détesté en France ; étrange, non ?
Marine Le Pen semble s’être remise de son désastreux débat d’entre-deux-tours en 2017, mais, dans un contexte de tensions internationales, son inexpérience gouvernementale, comme celle de ses proches, suscite de vives inquiétudes. Ivanne Trippenbach et Franck Johannès, journalistes au journal Le Monde », ont récemment « passé au crible le projet de la candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle. Ils en concluent que « Les modifications de la Constitution qu’elle prévoit visent à la mise en place d’un État autoritaire. » Quant au talentueux Jean-Luc Mélenchon, il termine la campagne au pas de charge, mais au service d’un programme de rupture, hors sol, qui a peu de chance de réunir une majorité de Français. Il a beau jeu d’ironiser : « Monsieur Macron, c’est le programme économique de Madame Le Pen, plus le mépris de classe. Madame Le Pen, c’est le programme économique de Monsieur Macron, plus le mépris de race ».
Les représentantes des partis dits de gouvernement, sont à la peine. Valérie Pécresse et Anne Hidalgo, des femmes d’expérience, ne peuvent que constater qu’elles n’ont pas d’espace politique. Le chef de l’État sortant a dynamité leurs formations politiques, débauché leurs meilleurs éléments et parfois, pillé leurs idées. Quant aux Verts, ils ont l’art de détruire leurs succès récents, lors d’une élection nationale.
Emmanuel Macron, visiblement fatigué par les crises successives et éprouvantes, en manque d’enthousiasme, cherche, en la circonstance, à s’inspirer de Gaulle et Mitterrand, dans le but de rassurer l’électorat. Il s’efforce de calmer son généreux caractère et de commettre le moins d’erreurs possible jusqu’au 24 avril. La photo de son image de campagne, qui se veut rassurante, exprime, je trouve, une certaine lassitude. Sa stratégie n’est pas sans danger. Les courbes se resserrent un peu plus chaque jour.
Dramatiser l’enjeu, comme le font les soutiens d’Emmanuel Macron, est peut-être tactiquement habile, mais dangereux. Marine Le Pen, au deuxième tour, bénéficiera d’une réserve de voix dans l’électorat d’Éric Zemmour et dans celui de Valérie Pécresse, qu’Emmanuel Macron n’a pas. Le barrage à l’extrême droite sera plus difficile à faire qu’en 2017. L’hypothèse d’un succès dès le premier tour, comme le pensaient certains, le 24 février, quand les Russes ont envahi l’Ukraine, s’est envolée !
Les enquêtes, à la sortie des usines, en milieu rural, dans la périphérie des grandes villes, sont révélatrices de l’état de l’opinion, du désintérêt pour le scrutin, à la veille de cette consultation électorale, pourtant si importante. Florilège de réponses recueillies récemment par le journal Le Monde : « Aucun candidat ne me séduit, c’est toujours pareil. Rien ne change. » « Je ne me retrouve dans aucun candidat ». « Ce n’est pas vraiment une campagne, c’est plus une foire d’empoigne. On n’entend rien de très intéressant », « J’irai voter, mais je ne sais pas encore pour qui. » « Cette campagne est marquée par les discours démagos, faciles. D’un côté, ceux qui vous disent que tous les problèmes, c’est la faute des immigrés. Et de l’autre, que c’est la faute des riches ». « La campagne ne m’intéresse pas. J’ai lâché depuis 12 ans, j’ai arrêté la télé… Les politiques vivent dans leur monde, rien ne va changer pour moi. »
Une présidentielle catastrophe !
La campagne électorale arrive à son terme, dans un brouillard médiatique, sans avoir vraiment commencé, sur l’essentiel. Le déni, empreint de résignation, traduit mal le choc que pourrait en être le résultat. Marine Le Pen n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Comme en 2017, elle apparaît dans toutes les hypothèses de second tour avec une dynamique en sa faveur et un score dans ce qu’il est convenu d’appeler, la marge d’erreur. Le scénario ressemble à celui de 1981. Les soutiens du président sortant, craignent une présidentielle catastrophe, improbable, imprévue, mais qui se réalise.
Le Général l’a voulu ainsi. Le 24 avril prochain, le peuple français désignera le – ou la – « Guide » de la Nation à l’issue d’une campagne introuvable ; introuvable, parce que la vie démocratique dans notre pays, s’est lentement, mais régulièrement, érodée.
Les élections législatives des 12 et 19 juin, qui suivront, apporteront-elles une solution avec un gouvernement de coalition dont la légitimité ne pourra être contestée. Il faut le souhaiter en ces temps de guerre. Car nous sommes en guerre, sans la faire !
Le mouvement de mai 1968, trois ans après la première élection du président de la République au suffrage universel, avait significativement compromis les efforts déployés par le général de Gaulle pour redresser le pays.
Est-ce que cette élection présidentielle au suffrage universelle, sera la dernière ? Est-ce que la Ve République y survivra, quel que soit le vainqueur ? Je n’en sais rien. Nul ne le sait, mais, nombreux sont ceux qui se posent la question, parce qu’ils constatent un déficit démocratique en France, dans un monde où les démocraties sont en danger et les autocraties à la mode.
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