Qui connait Louis Boussenard et « le Journal des Voyages », de nos jours ?
Dans la préface de « La vie à Dinan sous l’occupation », j’ai écrit que mon père, à la fin de l’année 1944, m’imposait la lecture des anciens numéros du « Journal des Voyages » qui avait ébloui sa jeunesse à tel point qu’en octobre 1929, au moment d’accomplir son service militaire, il avait été très fier d’être affecté au 2ème Zouave à Oujda, le régiment de « Brise-tout », le héros de son enfance.
« Le tour du monde d’un gamin de Paris » et « Le zouave de Malakoff », de Louis Boussenard, m’étaient donc familiers quand le 28 février 1946, le « Journal des Voyages » reparu après le départ des Allemands. Je précisais dans cette préface que je possède la collection complète de la nouvelle édition du « Journal des Voyages ».
Le 10 juin dernier, un professeur de français dans l’Oise, Mr Thierry Chevrier, laissait un commentaire sur ce blog pour me dire qu’il travaille à un ouvrage consacré à Louis Boussenard et que, dans le cadre de ses recherches, il souhaiterait en savoir plus sur le « Journal des Voyages » d’après 1946. Nous avons échangé des mails et, le 8 juillet, Thierry, comme « Brise-tout », a enfourché sa moto et fait 600 kms dans la journée pour se rendre à Deauville, découvrir – et emporter – la précieuse collection que je lui ai prêtée.
Thierry Chevrier est un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre de Louis Boussenard. Il a déjà écrit une biographie de cet écrivain (Louis Boussenard : « Le Globe-Trotter de la Beauce », in Cahiers pour la Littérature populaire, Hors-série n°3 (1997), 171 pages-épuisé) et poursuit ses recherches sur cette œuvre à laquelle il intéresse ses élèves. Il a, entre 1998 et 2003, dirigé l’Association des Amis du Roman Populaire, dont il est membre, et écrit plusieurs articles dans Rocambole, le bulletin des amis du roman populaire, (http://www.fictionbis.com/rocambole/pages/index.php) qui ont contribué à faire revivre l’œuvre de Louis Boussenard dont le nom est souvent associé à celui de Jules Verne.
Qui était donc Louis Boussenard?
Louis-Henri Boussenard (1847-1910) n’avait qu’une idée en tête, devenir explorateur. Après des études de médecine, il a beaucoup voyagé dans les colonies françaises, surtout en Afrique, qui ont été pour lui une source d’inspiration. Il voulait écrire, devenir écrivain, écrire des romans d’aventure. Il. Ses nouvelles ont paru, sous forme de feuilletons, dans Le Figaro et Le Petit Parisien. Dans ses premiers livres : À travers l’Australie : Les Dix Millions de l’Opossum rouge (1879), Le Tour du monde d’un gamin de Paris (1880), Les Robinsons de la Guyane (1882), et Aventures périlleuses de trois Français au pays des diamants (1884, situé dans une caverne mystérieuse sous les chutes Victoria), son humour et son style lui assurent très vite un grand succès populaire. Son sens aigu de l’observation fait de lui un disciple de Jules Verne, dont il a retenu toutes les recettes. Il s’en démarque cependant par la précision et l’exactitude des détails géographiques, mais sacrifie beaucoup moins à l’anticipation. Homme de science, il écrit cependant, avec beaucoup de sensibilité, plusieurs romans de science-fiction tels que Les Secrets de Monsieur Synthèse (1888) et Dix mille ans dans un bloc de glace (1890), mais ses «voyages extraordinaires» ne parviendront pas à lui assurer la notoriété de son illustre ainé. Louis Boussenard était, de 1880 à 1908, l’auteur favori des Français. Les coloniaux, notamment, louent sa verve pittoresque, le félicitent et l’encouragent. Il a certainement donné le goût de l’aventure à de très nombreux jeunes gens. La littérature populaire avait beaucoup de succès au début de la IIIe République.
Homme de son temps, Louis Boussenard est un fervent républicain, marqué par la guerre de 1870, où il fut blessé durant la bataille de Champigny. C’est aussi un humaniste, certes un peu raciste – il n’était pas le seul à cette époque – ; c’est un colonialiste farouchement nationaliste et anti clérical. Dans ses récits, les ennemis sont presque toujours des Allemands ou des Anglais, qu’il déteste. Le Capitaine Casse-Cou (1901), un de ses ouvrages les plus connus, se déroule pendant la Seconde Guerre des Boers.
Presque totalement oublié en France, Louis Boussenard est très connu en Russie où presque tous ses romans (quarante volumes) ont été publiés. Fidèle auteur du « Journal des Voyages », dans lequel ses romans paraissaient sous forme de feuilletons, son œuvre fut ensuite éditée par Flammarion et Tallandier. Ses nombreux (une quarantaine) romans firent de lui un auteur apprécié. Dans « Les Mots », Jean-Paul Sartre avoue avoir été fasciné par certains de ses ouvrages.
Ce qui est beaucoup moins connu, c’est que Louis Boussenard, pendant neuf ans, de 1902 à 1910, a écrit pour l’hebdomadaire « Le Gâtinais », des articles en patois beauceron, intitulés « Lettres d’un paysan », sous le nom de « François Devine ». Dans ces lettres, l’écrivain se faisait l’écho des préoccupations des gens de la terre dont la presse ne parlait jamais.
Le professeur Thierry Chevrier, dans le cadre de ses recherches, a pu prendre connaissance de ces lettres et obtenu de la directrice de la Bibliothèque Durcy de Montargis, Mme Catherine Leclerc, l’autorisation de les reproduire.
Ces lettres sont très intéressantes dans la mesure où elles évoquent les grands problèmes qui agitaient cette époque : évolution de la condition paysanne, opposition entre principes républicains et conservatisme, traditions et privilèges des possédants, anticléricalisme et socialisme naissant. « François Devine » y abordait également des questions étonnamment modernes : le travail du dimanche, la peine de mort, l’évolution de la condition féminine, le nombre de fonctionnaires, l’influence des médias, les bienfaits de la lecture.
Louis Boussenard livrait, sous un pseudonyme, ses pensées les plus profondes. Il le faisait dans le langage imagé que permet le patois et avec souvent beaucoup de férocité.
En cette période de commémoration du centenaire de la Grande Guerre, je trouve qu’il est utile de rappeler ce qu’était le contexte économique et social de notre pays, « l’air du temps ». L’œuvre de Louis Boussenard, mais aussi ces « Lettres d’un paysan » et « Le journal des Voyages et des Aventures de Terre et de Mer », sont des témoignages précieux. Pendant l’été, je publierai quelques une de ces lettres.
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