L’été est en général une période pendant laquelle les inquiétudes, les soucis, les mauvaises nouvelles, sont mis de côté pour profiter pleinement de la douceur du temps, des longues soirées en famille ou entre amis. Cette année, non seulement l’anticyclone ne protège pas la France des dépressions en provenance de l’Atlantique, mais une autre forme de dépression s’installe sur le pays qui pourrait bien perdre ses dernières illusions.
Sur le plan économique, la reprise annoncée, promise, n’est pas au rendez-vous. Le chef de l’Etat, comme son prédécesseur, s’est fait des illusions. Il a longtemps été convaincu que la reprise allait arriver, qu’elle était là, que le cycle touchait à sa fin. L’économie est affaire de cycles, c’est dans les livres ! Au début de l’année 2009, les experts s’interrogeaient : Est-ce que la crise sera en V, c’est-à-dire qu’après une chute brutale, le redémarrage de l’économie pourrait être aussi rapide ? Est-ce que la crise sera en U ? Dans ce cas, le redémarrage de l’économie ne pourra se produire qu’après une période de stagnation au point bas. Ne serions-nous pas en présence d’une crise en L se demandaient les plus pessimistes, convaincus qu’après la chute, l’économie mondiale allait connaître une longue période d’atonie comme celle que connaît le Japon depuis près de vingt ans. Nombreux sont ceux qui, par devoir, se sont faits des illusions.
Pour que l’économie reparte et que le scénario d’une crise en L ne se réalise pas, il fallait que quatre conditions soient réunies : Premièrement, que les Etats-Unis parviennent à restaurer la confiance et à remettre en marche son économie. La politique monétaire de la Fed y est parvenue, mais à quel prix ! Deuxièmement, que les banques, aidées par les Etats, recommencent à se prêter entre elles et à faire leur véritable métier, ce qui supposait une restauration de la confiance. Les Etats ont fait leur devoir, les banques un peu moins. De graves erreurs ont été commises. L’addition est lourde et l’injection de liquidités colossales prépare la prochaine crise. Troisièmement, que les produits dits « toxiques » soient localisés, identifiés, recensés et cantonnés, pour que l’état des lieux puisse être dressé de manière « sincère et véritable ». Quatrièmement, que des instances internationales se montrent capables d’édicter, et faire respecter, de nouvelles règles de surveillance et de contrôle de la finance internationale. Ce fut fait en partie. Le monde est passé très près de la catastrophe. Nicolas Sarkozy s’est beaucoup vanté d’avoir sauvé le Monde et la France en particulier. Il est vrai que pour la pugnacité et la modestie, il ne craint personne ! Il n’en reste pas moins que la crise est en L et que l’économie, notamment européenne, est durablement atone. Les dirigeants politiques et économiques, dans l’ensemble, se sont faits des illusions.
La situation, à la fin de l’été 2014, est préoccupante. Entre une faible inflation et la déflation, la frontière est mince. Quand les prix baissent, quand on commence à penser que demain, les prix seront moins élevés, l’effet richesse négatif s’enclenche. Ce n’est pas encore le cas, mais certains événements sont alarmants. Depuis l’annonce de l’embargo russe sur l’agroalimentaire européen, par exemple, les agriculteurs français, déjà très éprouvés, demandent la mise en place d’un mécanisme de compensation des pertes au niveau de la marge brute des producteurs et que soit retiré un important volume de fruits du marché pour soutenir les cours. Ils craignent que les pays européens, en particulier les Espagnols et Italiens, se livrent une concurrence agressive susceptible de mettre en péril la filière. Une forte baisse des prix, stimulée par la distribution, pourrait alimenter la déflation.
En France, tous les voyants sont au rouge. La croissance est nulle, le PIB en volume stagne, tous les moteurs de croissance, ou presque, sont en panne, l’inflation est très faible. Résultat, le déficit dépassera 4% du PIB en 2014. Que d’illusions perdues !
En Allemagne, le PIB vient de subir un coup de frein au 2 T, en raison de la baisse des investissements et de la contraction du commerce extérieur. La Chancelière, plus préoccupée qu’elle ne le montre, affirme que c’est provisoire et que l’économie allemande pourrait redémarrer, car la consommation des ménages et les dépenses publiques se portent bien. Il n’en reste pas moins que la balance commerciale, point fort de l’Allemagne, est maintenant négative et en dégradation constante. Le fait que les exportations stagnent et que les importations augmentent a de quoi préoccuper. Le taux d’emprunt à 10 ans de l’Allemagne était tombé pour la première fois de son histoire sous les 1%. Ce n’est pas un bon signe. En un mot, le moteur franco-allemand est en panne.
En Italie, les espoirs d’amélioration ont été de courte durée, l’économie rechute. La « renzimania » a laissé la place à la déprime. Il était évident qu’il faudra des années avant que les réformes annoncées aient un impact significatif sur l’économie
Croire que des politiques d’austérité, des mesures drastiques dans la plupart des pays européens, ne se traduiraient pas par de la récession et un risque de déflation, était une illusion, pour ne pas dire une faute. Les réformes, nécessaires, doivent être faites en période de bonne conjoncture – c’est ce qu’avait fait l’Allemagne – et non en période de crise. Conduites brutalement elles ne font, dans un premier temps, qu’aggraver la crise. CQFD.
L’ensemble de la zone euro a vu son Produit intérieur brut (PIB) stagner au deuxième trimestre, après avoir progressé de seulement 0,2% au trimestre précédent. Ce n’est vraiment pas la reprise espérée et attendue ! Illusion collective.
Dans le reste du Monde, ce n’est guère mieux. Les pays en conflit – ils sont nombreux – souffrent. Le Japon, par exemple, en crise depuis vingt ans, ne se fait plus beaucoup d’illusions. Le pays subit la plus forte contraction de son économie depuis le tsunami de 2011. Le PIB a chuté de 6,8% au 2e trimestre en rythme annualisé. Entre avril et juin, la hausse de la taxe sur la consommation nippone, équivalente à la TVA française, a fait plonger les dépenses des ménages de 5,2%, et celles des entreprises nippones de 2,5%.
Sur le plan des relations internationales également, que d’illusions perdues.
BHL écrit dans le Point : »Libye : non, bien sûr, je ne regrette rien ». C’est vite dit, c’est se donner bonne conscience à bon compte. Il est exact qu’au printemps 2011, il fallait s’opposer, d’une manière ou d’une autre, au massacre promis par Kadhafi. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, la Libye est dans une situation épouvantable avec un risque de radicalisme islamique que Kadhafi réussissait à endiguer. Que ceux qui se sont faits des illusions acceptent au moins de le reconnaitre et ne se contentent pas de dire qu’ils ne regrettent rien. C’est un peu court, jeune homme !
En Irak, que d’illusions ! Les Etats-Unis devaient, en intervenant en 1990 et en 2003, installer durablement la démocratie. Beau résultat ! Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient vu juste, avaient eu la bonne intuition. Ils ne se faisaient aucune illusion. La lutte à mort que se livrent sunnites et chiites dans la région ne peut être endiguée par des forces armées. La force peut tout au plus être utilisée, pour des raisons humanitaires, quand il s’agit de protéger des minorités comme c’est le cas avec les chrétiens d’Orient.
Ce qui se passe en Syrie devrait être riche d’enseignements. Que d’illusions encore quand les Etats-Unis – avec l’aide de la France – ont envisagé une intervention militaire. Interrompue à temps, cette intervention aurait sans doute déposé Bachar el-Assad, mais n’aurait pas résolu le problème et n’aurait, comme en Libye, fait qu’ajouter encore une dose d’incohérence au comportement de l’Occident dans cette région.
Que dire, enfin, de la politique extérieure de l’Union européenne ? Il ne s’agit même plus d’illusions perdues, tant elle est désastreuse et n’a donné lieu, depuis la création du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), le 1er janvier 2011, à aucune illusion. Laurent Fabius vient de la résumer en peu de mots, il y a quelques jours : « Quand il y a des morts, on rentre de vacances. » En commençant la lecture de la tribune d’Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et François Fillon, co-présidents de l’UMP et anciens premiers ministres, publiée par le journal « Le Monde », mercredi dernier, j’ai, un instant, eu l’espoir qu’enfin ces trois hommes d’Etat, avaient décidé de prendre un peu de hauteur et de donner une meilleure image de l’opposition. Malheureusement, en France, ce n’est, pas possible. S’opposer, c’est avant tout dire du mal, sans nuance, sans finesse. Cette tribune aurait pu marquer un tournant dans un moment assez dramatique. Patatras, la fin du texte a tout gâché avec des mots malheureux, insuffisamment réfléchis, de la part d’hommes qui oublient un peu vite qu’ils ont été aux affaires, avec toutes les difficultés que cela représente. De plus, le moment était mal choisi. Laurent Fabius se battait, avec énergie, pour sensibiliser ses partenaires européens à la situation en Irak et pour obtenir une réunion extraordinaire des responsables de la diplomatie européenne. Illusion, donc, l’opposition ne veut pas se montrer constructive et, dans l’Union européenne, un certain nombre de pays ne veulent pas se mêler des affaires du monde. L’Allemagne, qui reproche à la France de ne pas montrer le bon exemple en matière économique, devrait ouvrir les yeux sur ce qui se passe dans le monde. Elle ne pourra éternellement n’avoir d’autre ambition de puissance que dans le domaine économique et se laver les mains de ce qui se passe au-delà de ses frontières.
Sur la situation en Ukraine, humilier et sanctionner la Russie et Vladimir Poutine, c’est se faire des illusions. Comme l’a excellemment dit Hubert Védrine, « la haine de Poutine ne suffit pas à faire une politique ». Comment a-t-on pu laisser espérer un soutien financier à l’Ukraine à la hauteur de ses besoins et une forme d’association à l’Union européenne, alors que l’Ukraine a longtemps été russe et que sa population est profondément divisée entre pro-russes et pro-européens. Les sanctions ne résoudront rien, mais contribueront encore un peu plus à déséquilibrer les échanges économiques. C’est mettre de l’huile sur le feu. La Russie est un grand pays avec lequel il faut avoir des échanges équilibrés. Vladimir Poutine est un homme difficile, autoritaire, nationaliste. Raison de plus pour négocier en lui donnant le sentiment que son pays – et sa personne – sont pris en considération. Mettre l’OTAN en état d’urgence et l’utiliser pour gesticuler n’a aucun sens. C’est se donner une illusion de puissance.
Quant au conflit israélo-palestinien, auquel j’ai consacré mon dernier article, il ne faut pas se faire d’illusions, bombarder dissuade pendant un certain temps, mais n’apporte aucune solution. C’est à la table des négociations qu’une solution durable pourra être trouvée et nulle part ailleurs. Encore faut-il surmonter ses passions et faire preuve de sagesse. C’est pour l’instant une illusion ! Ni le Hamas, ni la droite israélienne ne sont disposés à faire cet effort et la fameuse communauté internationale est impuissante.
Le monde continuera donc à danser au bord du gouffre.
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