Le départ du Clemenceau


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Le Clem n’emporte pas seulement son amiante. Il emporte aussi ses souvenirs, nos souvenirs. Dans les années 60, il n’était pas rare de le découvrir, au mouillage, au milieu de la rade de Villefranche-sur-Mer. Jeunes mariés, ma femme et moi habitions alors dans une maison qui bénéficiait d’une vue panoramique sur la rade. Le matin, en se levant, nous nous précipitions vers les fenêtres, impatients de découvrir le navire qui, pendant la nuit, était venu se mettre à l’abri. La curiosité nous a poussés, un dimanche de 1967, à aller voir le bateau de plus près. Il n’avait pas encore ses super-Etendars et Crusaders mais, affecté à l’escadre en Méditerranée, il permettait au Général de Gaulle d’affirmer sa politique d’indépendance à l’égard de l’Alliance atlantique et la souveraineté de la France. Les officiers et les marins étaient heureux de recevoir des visiteurs et d’expliquer les missions du porte-avions. Nous écoutions attentivement tout en cherchant à apercevoir notre maison, un peu en dessous de la moyenne corniche, dans l’axe de la baie. Vingt ans plus tard, avec ma promotion de l’Institut des hautes études de défense nationale, j’ai eu le privilège de me rendre à bord de son frère jumeau, le Foch. L’arrivée en Super Frelon, au large de Toulon, et les exercices auxquels nous avions assistés, étaient très impressionnants. Tous ceux qui ont eu ce privilège sont intarrissables quand ils racontent les procédures de décollage et d’appontage, la puissance des catapultes. En 1991, peu après la guerre du Golfe, nous avons manqué notre rendez-vous avec le Clemenceau qui était alors commandé par un de nos amis. Nous avions réservé une chambre au Cipriani, mon hôtel préféré à Venise, pour nos vingt-cinq ans de mariage. L’arrivée du bateau à Toulon avait été retardée de 24h, nous n’avions pas pu l’attendre. Ce n’était heureusement que partie remise ; l’année suivante, au cours de l’été, le nouveau commandant du Clemenceau nous invitait à déjeuner à bord avec quelques amis et Laure, notre fille qui pose fièrement devant le fauteuil du Pacha.
Dernièrement, le remarquable logiciel de navigation Earth offert par Google permettait de survoler le porte-avions, en rade de Toulon, sous tous les angles. Bien que désarmé depuis 1997, et après avoir fait parler de lui à de nombreuses reprises, le Clem était encore là, chez lui, dans son port.
Le 31 décembre 2005, aussitôt après les vœux du Président de la République qui s’efforçait de galvaniser les énergies de ses compatriotes, le 20h, volontairement ou involontairement, ouvrait le journal sur le Clemenceau s’éloignant lentement vers l’horizon, tiré par un remorqueur. Il ne symbolisait plus la puissance de la France, son indépendance, tout ce qui avait fait sa gloire depuis son lancement en 1963, une « certaine idée de la France », mais l’impuissance, la délocalisation, la fin d’une époque. Le Tigre, qui avait donné son nom à cet instrument de souveraineté dont très peu de pays disposent, devait être triste, nous aussi.
Décidément, il était temps que l’année 2005 se termine


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