« …L’an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses vœux. Là où je serai, je l’écouterai……», avait déclaré François Mitterand, visiblement ému, à la fin de son dernier message de vœux, le 31 décembre 1994. Ce moment avait bouleversé une grande partie de l’opinion publique. Le personnage de roman, balzacien, que les Français venaient d’avoir pour Président de la République pendant quatorze ans, soignait jusqu’au dernier moment l’image qu’il voulait laisser à ses concitoyens ; secret, distant, complexe, aimant par dessus tout gérer les contradictions. Dans le beau documentaire de Patrick Rotman diffusé hier sur France 3, André Rousselet résume admirablement le personnage en rapportant la conversation suivante qu’il avait eue un jour avec Mitterand : « A votre avis, celui qui vous connaît le mieux, quel est le pourcentage de connaissance qu’il a de vous……….» Mitterand fait la mou, réfléchit et répond : « 30% ». Mazarine Pingeot, sa fille, prétend, paraît-il, ne pas avoir reconnu le personnage de son père dans ce documentaire. « Il y manquait l’essentiel » dit-elle. Le temps passé avec elle aurait donc été plus « essentiel » que le temps passé aux affaires publiques, aux affaires des Français ! Quel homme a-t-elle connu ? Quel pourcentage de l’homme ?
Interrogés par l’institut de sondage CSA, le 21 décembre dernier, les Français, qui ont la mémoire courte, n’ont pas hésité à faire de cet homme le meilleur Président de la Vème République. Pourquoi ? Pour l’abolition de la peine de mort ? Pour les lois sociales, Pour les nationalisations ? Pour son goût de la liberté ? Pour son refus de subir la moindre contrainte ? Pour son romantisme ? Non, parce que les Français ont de tout temps, et à quelques exceptions près, eu besoin d’être conduit par un monarque à qui finalement ils pardonnent tout. Le successeur de François Mitterand, très différent, mais aussi très semblable par l’usage qu’il fait de la Constitution de la Vème République, a alterné les coups d’éclat ( Non à la guerre en Irak pour Chirac – « Le pacifisme est à l’Ouest, les euromissiles à l’Est », la photo la main dans la main avec Kohl à Verdun pour Mitterand) et les mensonges, les coups tordus et les erreurs grossières. Dans dix ans, le même hommage sera probablement rendu à Chirac, au nom de l’oubli et de la mémoire qui ne garde que les meilleurs moments.
Au moment où les Français, « paumés » comme dit Giscard, s’apprêtent à élire un nouveau Président de la République, le retour sur la politique des vingt cinq dernières années est instructif. Si les Français ne résistent pas à leur penchant naturel et s’ils sont de nouveau fascinés par un personnage de roman, le Pays a toutes les chances de continuer à décliner lentement, à se contenter de quelques « coups ». Les grandes entreprises françaises, mondialisées, n’en souffriront pas, leurs intérêts sont ailleurs ; les déficits publics continueront à dériver ; TF1 et sa Star Académie continueront à tenir lieu d’éducation nationale et les Français à exprimer leur mécontentement permanent. S’ils font le choix d’un homme, ou d’une femme, au tempérament bien trempé, d’une probité notoire, d’un courage au-dessus de la normale, et surtout ayant un sens de l’intérêt général et du bien commun placé beaucoup plus haut que son ego et le dernier sondage, alors la France pourra changer de cap. Il est peu probable, à mon avis, que les Français fassent ce choix. Faute de candidats ayant ces qualités, mais aussi parce que ces critères ne sont pas ceux qui les déterminent. Ils ont toujours préféré Pleven ou Edgar Faure à Mendès France, Chirac à Balladur, Delors ou Jospin, Mitterand à Rocard, Sarkozy à Juppé Le « rigide qui se marre », le protestant, l’homme de dossiers, peut présider la Commission européenne, le Fonds monétaire international, l’ OMC, de grandes entreprises, mais pas la France.
Alors, quel sera le prochain héros de la Comédie humaine……et des Illusions perdues !
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