Europe : La fin des illusions (5)


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« Pour la Russie, ça n’a pas toujours été facile. Je veux que ce pays réussisse », disait la Chancelière Angela Merkel, en 2006 !

Illusions, complaisance, naïveté ou, tout simplement, « business as usual » ? Il est vrai que peu de temps avant, le président Eltsine affirmait qu’il voulait rapprocher la Russie de l’Occident et de la démocratie !

En janvier 2008, deux bombardiers russes à long rayon d’action s’exerçaient dans le golfe de Gascogne, au large des côtes françaises et espagnoles, en effectuant des tirs de missiles, dans le cadre de manœuvres aéronavales russes sans équivalent depuis l’époque soviétique. Dans le même temps, dans son rapport annuel 2008, Human Rights Watch reprochait aux Occidentaux de tolérer que « des autocrates se posent en démocrates » et d’accepter régulièrement « les élections les plus douteuses lorsque le gagnant est un allié stratégique ou commercial ». Le rapport visait particulièrement la Russie, où, à l’approche de l’élection présidentielle soigneusement organisée, pour ne pas dire, manipulée, le régime de Vladimir Poutine « réprimait la société civile et la liberté de réunion » et continuait à violer les droits de l’homme en Tchétchénie. « Les critiques internationales de l’attitude de la Russie en matière de droits de l’homme se sont tues, et l’Union européenne a manqué de façon consistante et soutenue à ses exigences en la matière », dénonçait le HRW.

À la fin du mois de mai 2008, les journalistes du Monde, Marie Jégo, Rémy Ourdan et Piotr Smolar, qui s’interrogeaient sur l’organisation du pouvoir en Russie depuis l’élection de Dimitri Medvedev, obtinrent un entretien avec le nouveau Premier ministre. C’était l’occasion, entre autres questions, de lui demander « En quoi une éventuelle adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN serait-elle une menace pour la Russie ? La réponse de Vladimir Poutine est intéressante à relire aujourd’hui :

« Nous sommes opposés à l’élargissement de l’OTAN en général. L’OTAN a été créée en 1949. […] Son objectif était la défense et la confrontation avec l’Union soviétique, pour se protéger d’une éventuelle agression, comme on le pensait à l’époque. […] L’Union soviétique n’existe plus, la menace non plus, mais l’Organisation est restée. D’où la question : contre qui faites-vous « ami-ami » ? Admettons que l’OTAN doive lutter contre les nouvelles menaces : la prolifération, le terrorisme, les épidémies, la criminalité internationale, le trafic de stupéfiants. Pensez-vous que l’on puisse résoudre ces problèmes au sein d’un bloc militaro-politique fermé ? Non. […] Ils doivent être résolus sur la base d’une large coopération, avec une approche globale et non pas en suivant la logique des blocs. […]

Élargir l’OTAN, c’est ériger de nouvelles frontières en Europe, de nouveaux murs de Berlin, invisibles cette fois mais pas moins dangereux. La défiance mutuelle s’installe, c’est néfaste. Les blocs militaro-politiques conduisent à une limitation de la souveraineté de tout pays membre en imposant une discipline interne, comme dans une caserne.

Nous savons bien où les décisions sont prises : dans un des pays leaders de ce bloc. […] Nous craignons que l’adhésion de ces pays à l’OTAN ne se traduise par l’installation, chez eux, de systèmes de missiles qui nous menaceront. […] On parle sans arrêt de la limitation des armements en Europe. Mais nous l’avons déjà fait ! Résultat : deux bases militaires ont émergé sous notre nez. Bientôt il y aura des installations en Pologne et en République tchèque. […]

Je ferai une autre remarque : la démocratie, c’est le pouvoir du peuple. En Ukraine, près de 80 % de la population est hostile à une adhésion à l’OTAN. Nos partenaires disent pourtant que le pays y entrera. Tout se décide donc par avance, à la place de l’Ukraine. L’opinion de la population n’intéresse plus personne ? C’est ça, la démocratie ? »

En 2012, quand Vladimir Poutine a annoncé devant son Conseil de sécurité, son intention d’investir 23 000 milliards de roubles (environ 563 milliards d’euros) dans la modernisation de son outil de défense, l’Occident n’a pas mesuré le danger que représentait ce réarmement. Cet effort était pourtant comparable à celui qu’avait fait Joseph Staline dans les années 1930. Effort qui s’accompagnait d’une nouvelle doctrine militaire destinée à « protéger les droits des Russes à l’étranger », c’est-à-dire partout où des populations russophones pourraient se sentir en danger.

Trois jours avant l’élection présidentielle de 2012, Vladimir Poutine reçut à dîner à la datcha gouvernementale de Novo-Ogorevo, quelques représentants de journaux étrangers (Le Monde, The Times, Handelsblatt, La Republica, le Japonais Asahi Shimbun, le Canadien Globe and Mail), sélectionnés parmi les pays du G8, pour parler de sa vision du monde. Et, visiblement, tenter de rassurer ses partenaires occidentaux après des propos et des textes de campagne qui ont parfois rappelé les plus belles heures de la guerre froide.

Sylvie Kauffmann raconta ce dîner dans l’édition du Monde du 2 mars 2012. Vladimir Poutine semble vouloir donner, ce soir, une image, sinon d’ouverture, du moins de modération, écrit-elle. Prêt à se soumettre « à toutes les questions », celui qui était encore Premier ministre pour quelques jours encore, dit au sujet d’Alexei Navalny, le nouveau héros de la rue, le jeune avocat qui sur son blog dénonce, avec une efficacité redoutable, des affaires de corruption à haut niveau, documents à l’appui ? « J’ai entendu ce nom », dit d’abord, un brin dédaigneux, le Premier ministre, avant de l’attaquer sur son expérience passée auprès d’un gouverneur de région. « Mais bien sûr, toutes les initiatives contre la corruption sont utiles. Mais vous parlez de la corruption comme si chez vous il n’y en avait pas ! Elle existe, y compris dans vos gouvernements. »

Président de la Fédération de Russie pour la troisième fois, Vladimir Poutine apparut très vite sûr de lui, grisé par le succès, avec une nouvelle communication le présentant comme « le mâle dominant, un homme sain, sportif, audacieux ». « Se prendrait-il pour Dieu ? », s’interrogeait l’écrivain Dimitri Bykov. Le magazine Forbes le désigna « homme de l’année 2013« . Puissant, il l’est. « Si je le veux » est maintenant sa devise. C’est ce qu’il a dit le 11 avril aux députés de la Douma, la chambre basse du Parlement. Un groupe de fervents orthodoxes de la région de Nijni-Novgorod, voit même en lui la réincarnation de saint Paul ! Il faut dire que le brochet de 21 kg qu’il sort de l’eau, a de quoi troubler les esprits les plus équilibrés !

Il a maintenant l’ambition de restaurer l’Empire éternel et de reprendre à son compte la théorie messianique d’une « Moscou IIIe Rome« . Un concept né au XVIe siècle, donnant à Moscou la mission de protéger la foi orthodoxe et les traditions de la Rome impériale après la chute de Constantinople.

Pour atteindre son but, Vladimir Poutine est convaincu qu’il doit être un monarque absolu dans la tradition tsariste. Seulement, voilà, la vie quotidienne des Russes est difficile. Ils sont confrontés à un système de santé défaillant, à un système judiciaire indigne d’un grand pays, aux élections truquées, à l’arbitraire et à une corruption institutionnalisée.

Fin novembre 2013, la décision du président ukrainien Ianoukovitch de suspendre le processus devant conduire à la signature de l’Accord d’association avec l’Union européenne déclenche un mouvement populaire baptisé la « Révolution de la dignité » : « Euromaïdan ». Des soldats russes cagoulés et sans insignes, des « petits hommes verts » prennent le contrôle des points stratégiques de la Crimée le 27 février 2014. Le 16 mars 2014, un « référendum » d’indépendance et de rattachement à la Fédération de Russie est organisé. Cette annexion n’a pas été reconnue par la communauté internationale.

Emmanuel Macron et Vladimir Putin dans la Galerie des Batailles du Château de Versailles Palace, le 29 mai 2017 May 29, AFP PHOTO / POOL / STEPHANE DE SAKUTIN FRANCE-RUSSIA-DIPLOMACY

Au même moment débute à l’Est de l’Ukraine une opération « spéciale » de déstabilisation destinée à appuyer les manifestants qui appellent à l’indépendance de ces régions. Le 11 mai, la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Louhansk » proclament leur indépendance à la suite d’un « référendum » jugé illégal par l’Ukraine et qui ne sera pas reconnu par la communauté internationale.

En juin 2014, des pourparlers diplomatiques s’engagent à l’occasion des commémorations du Débarquement du 6 juin 1944 et à Minsk au sein du Groupe de contact trilatéral. Le 5 septembre 2014, le Protocole de Minsk, destiné à mettre fin au conflit est signé. Les 11 et 12 février 2015, le sommet des chefs d’État ou de gouvernement en format « Normandie » s’est réuni à Minsk pour décider un « Paquet de mesures pour la mise en œuvre des Accords de Minsk » afin de permettre de réintégrer les zones sous contrôle séparatiste dans le cadre de la souveraineté ukrainienne selon une organisation décentralisée.

Les soutiens de la Russie ne manquaient pas, tant dans le paysage politique que parmi les dirigeants du CAC40. Jean-Pierre Chevènement et Jean-Luc Mélenchon, à gauche ; François Fillon, Philippe de Villiers, à droite ; à l’extrême droite, Marine Le Pen. Vladimir Poutine était l’ami de nombreux dirigeants politiques français, y compris Nicolas Sarkozy. Il y avait une réelle proximité entre les deux hommes. François Fillon et Vladimir Poutine avaient noué une relation très étroite. Il y avait alors un net regain de russophilie en France.

En Crimée, l’Ukraine n’a pas recouvré sa souveraineté et son intégrité territoriale dans ses frontières internationalement reconnues. Dans l’Est de l’Ukraine, les violations répétées du cessez-le-feu ont continué de menacer directement les populations civiles et la situation humanitaire est demeurée très dégradée, en particulier concernant la situation des personnes les plus vulnérables. « Dans le cœur et l’esprit des gens, expliquait Vladimir Poutine, la Crimée a toujours été une partie inséparable de la Russie. »

Alexandre Orlov, l’ambassadeur de Russie en France, que j’ai le souvenir d’avoir rencontré à plusieurs reprises, pendant cette période, dans le cadre de réunions du comité de politique générale d’EuroDéfense- France, s’activait beaucoup, avec sa bonhomie habituelle.

« J’ai une certaine admiration pour un homme qui agit dans l’intérêt de son pays. Qui est attaché à la notion de nation, qui porte un modèle économique patriote », déclarait Marine Le Pen au Monde le 6 septembre. La présidente du FN s’est rendue à Moscou le 12 avril, quelques semaines avant les élections européennes. M. Mélenchon parlait de « l’Ukraine dirigée par des néonazis de la place Maïdan ». Pour Djordje Kuzmanovic, « la Russie a agi en état de légitime défense face à un putsch fomenté par des néonazis de la place Maïdan et soutenu par Washington ». « Ce qui s’est passé en Ukraine au moment de la chute de Viktor Ianoukovitch est un coup d’État soutenu par l’Occident et l’OTAN », s’indignait Thierry Mariani.

Les « gaullo-mitterrandiens », quant à eux, restaient attachés à maintenir des relations d’équilibre entre l’Europe et la Russie. Jacques Attali, Jean-Pierre Chevènement, notamment, défendaient la livraison des navires de guerre de type Mistral à la Russie, annulée par le président François Hollande.

Telles étaient, brièvement, les points de vue, les réflexions, les illusions, les complaisances, la naïveté ou, tout simplement, les intérêts, à la fin de l’année 2014. Ces points de vue sont à rapprocher des échanges entendus au cours du récent débat de la représentation nationale sur la situation en Ukraine dans un hémicycle clair semé et étonnamment calme. Le vote à l’Assemblée nationale a au moins eu le mérite de clarifier les positions des uns et des autres. Celles des « va-t-en-guerre », et celles des « Munichois » prêts, apparemment, à céder aux exigences de Vladimir Poutine. Un débat qui a fait tomber les masques.

Comme il parait loin, le temps où, tout juste élu en 2017, Emmanuel Macron accueillait Vladimir Poutine à Versailles pour commémorer Pierre le Grand.

À suivre…

 

 


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