La question se pose. Elle n’est pas nouvelle. Le 21 août 2021, déjà, l’éditorial du Monde s’intitulait : « L’emprise tentaculaire des mafias dans le monde ». Le journal du soir avait consacré, chaque samedi de l’été, une série d’articles à la « Géopolitique des mafias ». Le constat était sans appel. « Le crime organisé transnational est devenu une puissance à part entière ». « Les organisations mafieuses investissent chaque année davantage le champ des économies légales ». Avec « des moyens colossaux », provenant en grande partie du commerce de la drogue, les cartels « façonnent le champ politique ». En Italie, où la mafia a été la première à partir à la conquête du monde, au Mexique, dans les Balkans, en Russie, en Chine, où les triades collaborent avec le gouvernement chinois, les liens entre l’État et la mafia sont documentés. La mondialisation, le développement des réseaux sociaux, la circulation de l’information en temps réel, la création des monnaies virtuelles, qui facilitent le blanchiment de l’argent du crime, l’extorsion de fonds à l’échelle planétaire, bouleversent, pour ne pas dire ébranlent, l’économie mondiale, les institutions, fragilisent les régimes politiques, les États. L’opposant russe Alexeï Navalny avait été un des premiers à appeler les dirigeants politiques à réagir avant qu’il ne soit trop tard.
Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard ?
Les récentes déclarations de Donald Trump sont de plus en plus troublantes. Le général John Kelly, son ancien chef de cabinet, dans une interview publiée par le New York Times le mardi 22 octobre, est arrivé à la conclusion que « l’approche dictatoriale dans la manière de gouverner » de Donald Trump, est de nature « fasciste », fasciné qu’il déclare être, pour Hitler qui pouvait faire ce qu’il voulait. « J’ai besoin de la sorte de généraux qu’avait Hitler, des gens qui lui étaient totalement loyaux, qui suivaient les ordres », aurait-il dit récemment pour justifier qu’il pourrait avoir à employer l’armée contre les « ennemis de l’intérieur », ces démocrates qui sont de la « vermine » qu’il faudra extirper. Le degré zéro de la démocratie !
D’autant plus troublant, qu’un électeur américain sur deux s’apprête à voter Donald Trump le mardi 5 novembre prochain. Comment et pourquoi, après de telles déclarations, l’électorat républicain demeure-t-il pareillement acquis à Donald Trump qui, manifestement, peut tout dire et tout faire, sans perdre une voix. Il qualifie sa rivale de « communiste », de « fasciste », d’« idiote », de « déséquilibrée mentale » et refuse à dire à l’avance qu’il se soumettra au résultat des urnes. Donald Trump n’a jamais caché sa sympathie pour Vladimir Poutine. Dans son récent livre « War », le célèbre journaliste Bob Woodward rapporte les propos de Mark Milley, chef d’état-major des forces armées, pendant la présidence de Donald Trump, qui qualifiait Donald Trump de « fasciste total » et d’homme « le plus dangereux dans le pays ». Bob Woodward fait dans ce livre un certain nombre de révélations stupéfiantes sur les liens entre Trump et Poutine.
Sur les liens entre les politiques et les mafias, il faut regarder le remarquable documentaire réalisé par Antoine Vitkine, intitulé : « Opération Trump : Les espions russes à la conquête de l’Amérique ». Diffusé par la 5, le 20 octobre 2024 à 21 h 06, il est disponible en replay sur le portail de France TV, jusqu’au 25 avril 2025. Ce récit de « cinquante ans de l’histoire secrète de l’emprise russe sur la droite américaine, par des espions, semi-espions et agents d’influence au service de la Russie », se regarde comme un film d’espionnage. C’est effrayant ! C’est l’histoire d’une « opération spéciale » dans laquelle Donald Trump est l’un des pions les plus importants. Anciens de la CIA, du FBI et du KGB, anciens conseillers de Trump, dissidents et avocats témoignent. C’est ahurissant !
Alain Constant, dans Le Monde du 20 octobre 2024, restitue, en ces termes, un passage édifiant du documentaire : « Les témoins apportent des éléments éclairants sur les méthodes complexes d’espionnage et de manipulation employées par les agents russes pour approcher les cibles choisies. Oleg Kalouguine, dirigeant du renseignement extérieur du KGB entre 1974 et 1990, se souvient de la présidence de Ronald Reagan, le plus anticommuniste des présidents américains : « Notre ennemi avait des faiblesses que nous avons utilisées à notre avantage : à la fin des années 1980, nous avions une centaine d’agents infiltrés aux États-Unis ! » Vladimir Poutine, simple agent du KGB à l’époque, aurait bien voulu devenir un « infiltré », statut prestigieux, mais il fut recalé à l’examen. À la même époque, Donald Trump est un promoteur immobilier fort en gueule, mais en proie à de graves soucis financiers. Pour renflouer ses caisses, Trump vend en masse des appartements luxueux situés dans sa Trump Tower, au cœur de New York. Un tiers de ces appartements sont achetés par des clients liés au crime organisé russe ! Le premier contact de Trump avec le monde russe l’est donc avec sa mafia. Le KGB, intéressé par le personnage, facilite le rapprochement entre Trump et la Russie. En 1987, le promoteur est à Moscou pour évoquer un projet de Trump Tower dans la capitale russe. Comme par hasard, à son retour aux États-Unis, Trump, qui ne s’était jamais intéressé à la politique internationale, attaque l’OTAN sur CNN : « L’Amérique ne doit plus payer pour défendre des pays qui pourraient se défendre eux-mêmes. »
La Une du numéro 154 de Franc-Tireur, qui porte la date du 23 octobre 2024, est consacrée à « l’effrayante enquête d’Antoine Vitkine », avec ce sous-titre : Et si Trump était dans la main du Kremlin depuis 40 ans ?
Le Wall Street Journal rapporte que Elon Musk, de son côté, entretient des relations financières, sans doute, mais ambiguës, avec la Russie de Vladimir Poutine ; ambiguës, en raison des liens entre StarLink et le Pentagone.
L’ONU, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) basé à Vienne, notamment, se posent périodiquement la question de savoir si « Les profits tirés du crime permettent d’influencer des élections, des politiciens et même des militaires », en un mot si le monde n’est pas en train de passer aux mains des mafias. Ces rapports, ces mises en garde, ne sont que peu suivis d’effet.
Le 10 janvier 2024, dans ce blog, j’ai consacré un article au documentaire qu’Antoine Vitkine avait déjà réalisé sur l’inimaginable activité des mafias chinoises qui se sont engagées dans un combat à mort contre les démocraties, en général, et celle de Taïwan, en particulier. La veille, ARTE avait diffusé « Triades – La mafia chinoise à la conquête du monde ». Ce documentaire est terrifiant ! Il aide à comprendre la partie cachée de l’évolution géopolitique mondiale dont on ne parle jamais. Les triades, c’est le nom de cette pieuvre, qui prépare la récupération de Taïwan, par Pékin, sans avoir à engager des moyens militaires. Cet article peut être lu en consultant les archives de ce blog, en onglet.
Et les peuples, dans tout cela ? Ils assistent, impuissants, à cette évolution du monde. Les peuples ne croient plus aux élections, se désintéressent de la politique, des promesses, des programmes électoraux. Avec l’IA, ils ne croient plus aux images que les médias diffusent. La propagande a peu d’effets. Les peuples feignent, font semblant en public. Ne disent pas ce qu’ils pensent, quand ils sont interrogés par les sondeurs. La déception et la résignation sont immenses. La consommation de drogue ne cesse d’augmenter. Les populations, désemparées, sont, de plus en plus, prêtes à suivre le premier gourou qui passe et qui sait trouver des mots qui les rassurent, des mots qu’elles ont envie d’entendre. Ainsi, se propagent les rumeurs, naissent les complots.
Jusqu’à quand ?
»Peu à peu, il devint impossible d’échanger avec quiconque une parole raisonnable. Les plus pacifiques, les plus débonnaires étaient enivrés par les vapeurs de sang. Des amis que j’avais toujours connus comme des individualistes déterminés s’étaient transformés du jour au lendemain en patriotes fanatiques. Toutes les conversations se terminaient par de grossières accusations. Il ne restait dès lors qu’une chose à faire : se replier sur soi-même et se taire aussi longtemps que durerait la fièvre », a écrit Stefan Zweig, dans « Le monde d’hier ».
Laisser un commentaire