Crise du logement


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En 2012, j’ai publié une histoire de la politique du logement en France qui est en accès libre sur ce blog. Le constat était déjà consternant. En plus d’un demi-siècle de prospérité économique, la France n’avait pas été capable de fournir un toit décent à tous ses habitants. Les raisons invoquées, nombreuses, pour expliquer l’absence de véritable politique à long terme de l’habitat, étaient à la fois politiques, économiques, financières et techniques. S’y ajoutaient la longueur du processus de construction et la part de plus en plus importante du foncier dans le coût du logement. En l’absence de politique de maîtrise des sols, cette évolution a créé en permanence des déséquilibres qui se sont avérés insurmontables.

Peut-on encore parler de « crise », quand un problème, jamais résolu, perdure depuis plus de soixante-dix ans ? Le terme est d’ailleurs, de moins en moins employé, les indicateurs chiffrés, avec un nombre de mal-logés de l’ordre de quatre millions, se passent de commentaires. La Fondation Abbé Pierre les rappelle chaque année dans son rapport.

Le logement n’est pas un bien comme les autres qui pourrait répondre à la simple loi de l’offre et de la demande. C’est un bien qui répond à un besoin, à une nécessité vitale pour laquelle l’État doit avoir une politique. Avoir un toit, c’est avoir une adresse, une identité. C’est la raison pour laquelle de très nombreux ménages consacrent à leur logement, la part la plus importante de leur budget familial.

« Gouverner, c’est choisir » ! Le logement n’a jamais été considéré comme une priorité à long terme. La France est le seul pays occidental qui n’a jamais réussi à loger décemment tous ses habitants.

Nicolas Sarkozy, peu de temps après son élection, le 11 décembre 2007, avait évoqué, à Vandœuvre-lès-Nancy, le problème du logement, en ces termes, avec une certaine lucidité :

« Qui sait aujourd’hui, que l’effort public réalisé pour le logement, s’élève à 30 milliards d’euros chaque année ? Qui sait qu’un ménage français sur quatre bénéficie d’une aide au logement versée par l’État ? Qui sait que plus d’un logement neuf sur deux bénéficie d’une aide publique ? On se demande avec cet effort, pourquoi il y a une crise. Je ne dis pas que ces dépenses sont inutiles. Elles ont certainement permis de relancer fortement la construction au cours des dernières années. Mais en matière de logement, comme dans d’autres domaines, je voudrais dire que le véritable enjeu, c’est de mettre fin aux erreurs, je prends mes responsabilités, sur lesquelles se fondent nos politiques du logement depuis plus de trente ans.

Depuis trente ans, on empile les aides et les dispositifs, sans ligne directrice et sans continuité. Depuis trente ans, une bonne partie de ces dépenses sert à alimenter la hausse des prix. Je ne veux pas que l’intervention de l’État serve à gérer la pénurie. Je veux la combattre. »

Il n’a pas réussi à résoudre le problème. François Hollande, non plus, Emmanuel Macron, encore moins ! Dans son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le 2 février 2024, le Premier ministre Gabriel Attal n’a consacré que quelques mots au logement. Il a simplement proposé d’intégrer le logement locatif intermédiaire aux quotas de logements sociaux imposés aux communes (loi SRU), afin d’encourager la construction de logements et ainsi créer un « choc d’offre ». Pour les socialistes, c’est une « bombe sociale », Deux jours avant le 70e anniversaire de l’appel au secours de l’abbé Pierre, cette annonce a suscité plus d’inquiétude, chez les acteurs du logement social, que d’espoir. Dans ce domaine, comme dans d’autres, le gouvernement semble avoir la conviction que le marché et moins d’État, régleront tous les problèmes. La politique du logement se réduit à la gestion de l’urgence. Ce n’est pas une politique.

Le logement social ne peut qu’en souffrir. La baisse des aides personnalisées au logement (APL), au cours de l’été 2017, a constitué un tournant. Particulièrement, pour les organismes HLM qui ont vu le rendement des loyers baisser de près d’un milliard d’euros par an. Le modèle économique du logement social s’est trouvé remis en question. Les opérateurs doivent chercher de nouvelles ressources. Ils doivent « valoriser les actifs », avait expliqué le secrétaire d’État au Logement, Julien Denormandie, lors du congrès HLM de Strasbourg en septembre 2017. Notamment, en accélérant la vente de logements sociaux et en incitant les investisseurs, qui avaient abandonné le logement, dans les années 1990, à faire l’acquisition de logements intermédiaires.

Dix-sept ans après le discours de Nicolas Sarkozy, le 11 décembre 2007, à Vandœuvre-lès-Nancy, le préfet Michel Aubouin, explique, dans l’étude qu’il a remise à la Fondapol et l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, que le modèle de logements sociaux à la française a été détourné de sa vocation initiale, qui était d’être une solution provisoire pour les plus démunis, avant de pouvoir accéder à la propriété.

La France détient aujourd’hui un quart des 21 millions de logements sociaux de l’Union européenne. Et les HLM représentent dans l’Hexagone un quart du parc des logements urbains. Pourtant, l’offre ne rattrape jamais la demande, et il faut parfois attendre 10 ans pour pouvoir en bénéficier. Et ce, pour un budget dédié par l’État à la politique du logement de plus de 38 milliards d’euros.

Cette étude révèle que le nombre de logements sociaux construits (5,4 millions), augmente d’années en années, (près de 650 000 nouveaux logements ces dix dernières années), mais l’offre n’est jamais suffisante pour répondre, à la demande, « ne s’adresse plus à ceux qui ont besoin de se loger » et le taux de rotation annuel des occupants, est inférieur à 7 %. « Le logement social est devenu, pour certains bénéficiaires, une rente de situation à vie transmissible dans certains cas à leurs enfants et aux enfants de leurs enfants ».

Le système est dénaturé. Le logement social a cessé d’être une solution temporaire. Les « grands ensembles » et la concentration des logements sociaux ont conduit à un phénomène d’« appropriation communautaire ». Pour mettre fin à cette spirale inflationniste, l’ancien préfet propose de modifier les critères d’attribution, d’arrêter de construire et de réaffirmer le caractère temporaire du logement social avec un bail à durée limitée combiné à la possibilité de ne plus renouveler ceux des fauteurs de troubles ou ceux des propriétaires de résidences secondaires, ou à l’introduction de la nationalité comme critère de recevabilité d’un dossier « pour équilibrer les peuplements ».

« L’honneur d’un pays ne réside pas dans la beauté de ses monuments, mais bien dans le fait que tous ses habitants aient un toit » disait l’Abbé Pierre.


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Commentaires

2 réponses à “Crise du logement”

  1. Avatar de Musset Bernard
    Musset Bernard

    Merci Michel pour cet éclairage sur ce sujet primordial.

    Dans ce territoire de Dinan, dans lequel je vis et travaille depuis quatre ans, en m’apprêtant à le quitter, je vois effectivement et tristement à quel point cette question du logement est devenue cruciale et criante : c’est tout notre système du logement qui s’est grippé, avec un logement social que l’on ne quitte plus et ne répond plus à ses objectifs. Même à Dinan, l’absence de logement bloque l’accès au travail (ou alors dans des conditions indignes de notre société avec des solutions de fortune, souvent désespérées). Même à Dinan, sans logements à proposer, nous sommes incapables de reloger les personnes expulsées. Même à Dinan, sans logements disponibles, ce territoire perd de son attractivité. Même à Dinan, sans logements avec des prix raisonnables, ce sont les plus démunis qui trinquent.

    Quelle tristesse de découvrir que les aides publiques ne font aggravent la situation, ainsi que la triste position de la France dans ce monde occidental qui se voulait moderne.

    1. Avatar de Michel Desmoulin
      Michel Desmoulin

      Merci, cher Bernard, pour votre commentaire et le constat que vous êtes en mesure de faire de la situation à Dinan. En 1965, le gouvernement de l’Allemagne Fédérale avait annoncé que la crise du logement en Allemagne avait pris fin. Quelle honte!

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