J’ai la passion du football depuis que, dans la cour de mon collège, à Dinan, en 1944, pendant l’Occupation allemande, je frappais, à la récré, sur une boule de papier entourée d’un morceau de mauvaise ficelle. Avais-je un petit talent ? Probablement, deux ans plus tard, je jouais dans l’équipe minime du lycée d’Angoulême qui affrontait chaque année les autres établissements scolaires dont le collège Saint Paul, l’école libre dans laquelle François Mitterrand occupait le poste de gardien de but quelques années avant. Sélectionné du Centre ouest en cadet, j’ai joué au football à Angoulême, puis à Cahors jusqu’à ce que les études supérieures m’éloignent des terrains de sport. La passion demeure. Aussi, tous les quatre ans, je consacre un ou plusieurs articles à la Coupe du monde de football.
Je me souviens…
Le mardi 24 juin 1958, j’avais prévu de « voir » à la radio, comme on disait à l’époque, la demi-finale qui se déroulait à Stockholm quand l’entraîneur de l’équipe de rugby de Cahors – André Melet – et le demi de mêlée – Roland Lavaud m’ont embarqué dans leur 4 CV Renault pour aller voir le match à la télévision chez le père Nadal à Mercues, à quelques kilomètres de Cahors. On ne recevait pas la télé à Cahors, il fallait être en haut d’une des collines environnantes pour la capter tant bien que mal. Le journal télévisé de l’unique chaîne, la RTF, avait été avancé pour permettre la retransmission intégrale du match, à partir de 19 heures. Depuis le début de la Coupe du monde, tout le monde parlait football dans ce pays du rugby !
La France avait sombré, après la fracture de la jambe du demi-centre Jonquet qui, à l’époque, ne pouvait être remplacé. Les Kopa, Fontaine, Piantoni, malgré leurs exploits et les deux buts marqués n’avaient pu endiguer la fougue et le talent d’un jeune brésilien de 17 ans nommé Pelé qui avait marqué trois buts à la France. Cette défaite a pris le caractère d’une victoire dans le souvenir des Français. Jean Dutourd avait raison : « La France est le seul pays où tout revers a sa médaille ! »
Le 16 juin 1982, le Journal du Dimanche invita un certain nombre de personnalités à assister au premier match de l’équipe de France de football lors de la Coupe du monde qui se déroulait en Espagne. Nous partîmes donc pour Bilbao, un peu inquiets car ce premier match opposait la France à l’Angleterre. La liste des invités était alléchante : Anouk Aimée, Elie Chouraqui, Georges Cravenne, Richard Ducousset, Jean-Luc Lagardère, Maurice Lévy, Guy Merlin, Etienne Mougeotte, Jacques Ribourel, Yves Sabouret, Roger Thérond, Arnaud Lagardère, pour ne citer que les plus connus. Il faisait une chaleur torride à notre arrivée à Bilbao. Le déjeuner, dans une très belle auberge basque, fut joyeux, peut-être même un peu trop. Je ne résiste pas au plaisir de raconter l’étonnante situation à laquelle il me fut donné d’assister à la fin du repas. Nous bavardions par petits groupes dans le parc. À un moment donné, Etienne Mougeotte, entouré de Jean Luc Lagardère, Yves Sabouret et quelques autres, nous dit : « Ne vous retournez pas, je vais vous commenter la scène ! » J’entends encore nos rires quand Etienne Mougeotte nous décrit avec talent et précision le spectacle qui se déroulait sous ses yeux ébahis. Merlin, le promoteur immobilier, qui sévissait à l’époque sur les côtes de France, était, en chemise et bretelles, en train de vider sa vessie dans un bosquet de ce magnifique parc, au vu et au su de tous les invités, comme il avait sans doute coutume de le faire en pareille circonstance. C’était un client important du Journal du Dimanche. Je ris encore en écrivant ces lignes.. En arrivant au stade de San Mames, la célèbre « cathédrale » où joue habituellement l’Athletico de Bilbao, la chaleur était insupportable. Nous n’avons pas ri longtemps. À la première minute de jeu, l’Anglais Bryan Robson « fusilla » le gardien de but français Ettori. Nous étions venus assister à la première victoire de l’équipe de France qui s’était soigneusement préparée à Font-Romeu, au lycée climatique dirigé par mon condisciple au lycée d’Angoulême, Jean Férignac, longtemps gardien de but et capitaine de l’équipe de France de handball, qui en était le proviseur. Nous étions consternés. Les Français perdirent ce jour-là par 3 buts à 1 mais on connaît la suite, trois semaines plus tard, ils étaient en demi-finale contre l’Allemagne.
Le 21 juin 1986, à vingt heures, Michel Drücker, notre voisin dans l’immeuble où nous habitions avenue Bosquet, qui commentait le match France-Brésil qui se déroulait au Mexique, à Guadalajara, fut interrompu par un flash d’information. Le Mystère 20 du GLAM, dans lequel Michel Roussin, chef de Cabinet du Premier ministre, Jacques Chirac, ramenait de Damas via Chypre, les otages de France 2, Philippe Rochot et Georges Hansen que la France attendait depuis plusieurs mois, venait d’arriver à Villacoublay. Dans son livre : « Le gendarme de Chirac », Michel raconte les conditions dans lesquelles il a ramené les otages au moment où commençait le match France Brésil. Ce 21 juin 1986 fut donc un jour de fête pour la France. Non seulement la France a gagné un des plus beaux matches de foot de son histoire, non seulement les otages étaient libérés, mais c’était la fête de la musique et le jour des résultats du bac. Nous avions plusieurs raisons d’être heureux. Après la victoire héroïque de l’équipe de France, nous sommes allés prendre l’air. Les Parisiens étaient fous de joie. Je me souviens qu’il y avait des orchestres amateurs à tous les coins de rue.
Quel beau souvenir !
Le 12 juillet 1998, le jour où la gloire est arrivée. L’équipe de France a plongé le pays dans le bonheur. Nous avons regardé le match avec notre fils qui était déjà malade. J’avais assisté avec lui, quatre jours avant, à la demi-finale France – Croatie au Stade de France et au concert donné par les 3 ténors sur le Champs de Mars. Le directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale nous avait invités dans son bureau, le salon des Maréchaux, à regarder et écouter Placido Domingo, Luciano Pavarotti et José Carreras. Le salon des Maréchaux est un des plus beaux bureaux de la Capitale avec une vue magnifique sur le Champs de Mars.
Enfin, c’est avec notre petit-fils Guillaume, qui venait d’avoir deux ans, que nous avions regardé la très convaincante victoire de la France sur le Brésil, le 1er juillet 2006. Il faisait très chaud à Paris ce jour-là. À deux heures du matin, il était difficile de trouver le sommeil. Par la fenêtre ouverte, parvenait encore le bruit des pétards et des coups de klaxon des supporters heureux – à en crier – de la victoire de la France sur le Brésil en quart de finale de la Coupe du monde qui se déroulait en Allemagne.
Cette compétition est un bien étrange spectacle ! C’est, tous les quatre ans, le seul moment où l’humanité tout entière se rassemble, semble unie, pour suivre les confrontations en tentant d’oublier les conflits, les menaces, la pauvreté, la solitude. Des favelas de Rio aux dorures des palais du Qatar, des bidonvilles de Johannesburg aux bars chics des beaux quartiers, cette compétition fascine et stimule les passions avec la même intensité. L’espoir longtemps entretenu de voir le pauvre vaincre le riche a disparu, mais riches et pauvres oublient un temps tout ce qui les divise.
Comment ne pas se prendre à rêver, comme l’avait fait Jacques Attali en 2002 déjà, que si, pendant cette compétition planétaire, chaque téléspectateur versait un euro au milliard d’êtres humains qui survivent avec moins d’un euro par jour, le monde serait un peu moins « coupé » en deux.
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