Le cauchemar des Parisiens


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Se déplacer dans Paris, entre les tribunes en construction et les panneaux de chantier, devrait être une discipline olympique ! Dans le journal L’Opinion, Jean-Michel Salvator s’interroge : « Faut-il y voir de la désinvolture, de l’improvisation ou de l’incompétence ? (…) Les conséquences de plusieurs décisions préparatoires aux JO ont été manifestement sous-estimées. C’est le cas de la fermeture de la place de la Concorde, du pont Alexandre III ou des réductions de circulation devant les Invalides, autour du Trocadéro et du Champ de Mars ! Passer d’une rive à l’autre devient inextricable pour les automobilistes comme les scootéristes ou les cyclistes. À ce tableau noir, il faut ajouter les désagréments de cette semaine de commémoration du Débarquement et la neutralisation du pont d’Iéna le dimanche. En présentant le plan de circulation pour les Jeux, la Maire de Paris avait crânement affirmé « qu’on n’a pas fait tout ça pour que ça soit un cauchemar ». Ça commence à y ressembler. » Le journaliste énumère un certain nombre de désagréments : « Les carrefours sont devenus infranchissables, les autobus ne passent plus, les chauffeurs de taxi ou de VTC enragent, les livreurs et les artisans se découragent, les deux roues se convertissent au gymkhana et les automobilistes perdent leurs nerfs. Les commerçants se demandent si ces JO sont une si belle affaire. »

Il y aurait 7 533 chantiers ouverts dans la capitale, 50 jours avant l’ouverture des jeux Olympiques de Paris 2024. Autant dire que Paris est un gigantesque chantier depuis de nombreux mois. Les Parisiens n’en peuvent plus. Ils en ont assez de devoir contourner des palissades, de changer de trottoir, d’avoir à enjamber des obstacles, de se heurter à des rues fermées. Ils sont furieux ! Comme tous les chantiers, celui de Paris s’accompagne d’une impression de désordre, d’amas de détritus, de saletés, d’inorganisation, d’abandon, avec des tranchées dans la chaussée, liés à la rénovation des réseaux électrique, de gaz ou de chauffage urbain. Ces tranchées sont ouvertes, refermées, réouvertes sans coordination rationnelle apparente. Les services techniques de l’Hôtel de ville assurent que les travaux d’infrastructures des JO seront livrés en temps voulu, c’est-à-dire à partir du 15 juin. La circulation est très difficile et le restera pendant la durée des Jeux. La porte Maillot est en chantier depuis plus de sept ans. Les riverains sont à bout de nerfs.

En 1900, Paris avait accueilli les Jeux Olympiques et une Exposition universelle. Dès que la décision fut prise, en 1892, d’organiser ces deux événements, les sceptiques, les rabat-joie, les éternels pessimistes, qui traversent toutes les époques, prédisaient que les travaux envisagés ne seraient jamais prêts à temps. Ils n’avaient pas complètement tort, le 14 avril 1900, le jour de l’inauguration, un certain nombre de chantiers n’étaient pas terminés, des rues et places étaient encore aux mains des ouvriers. Il faut dire que construire les gares de Lyon et d’Orsay, le Grand Palais, le Petit Palais, la première ligne Vincennes-Maillot du métropolitain, qui fut inaugurée la 1er juillet 1900, n’était pas une mince affaire. Ceux qui ne voulaient pas que l’on dérange leur petite vie, étaient nombreux ! La vie quotidienne était compliquée. Les réseaux sociaux n’existaient pas, mais les lettres en témoignent. Le mécontentement était général.

Il faut dire que la France avait vu grand. Elle avait l’ambition de recevoir au moins 50 millions de visiteurs, plus que la population de notre pays cette année-là. 216 hectares avaient été réquisitionnés pour accueillir les nombreux pavillons. Le Champ de Mars, l’Esplanade des Invalides, les quais de la Seine, mais aussi une centaine d’hectares sur la commune de Vincennes, avaient été affectés à ce projet.

Le 15 juin 1900, le jour de l’ouverture au public, tout était prêt : La fête pouvait commencer.

Le monde avait un maître : l’Occident, et une capitale, Paris, la ville Lumière !

Quand l’Exposition ferma ses portes, les organisateurs étaient satisfaits. L’objectif de 50 millions de visiteurs n’avait pas été atteint, mais il était sans doute trop ambitieux. Avec quarante millions de visiteurs, la France pouvait être fière de son exposition. Les deux événements avaient pour but d’exprimer l’ambition, la détermination, l’enthousiasme et la volonté, au tournant du siècle, de donner de la France une image de grandeur, de puissance, de grande nation.

La France voulait épater les nations du monde entier avec une exposition exceptionnelle qui réunisse des centaines de bâtiments de tous styles. Elle voulait montrer les richesses de son empire colonial, son excellence dans le domaine technologique, imposer le « style 1 900 » et faire de Paris, la « Ville Lumière ».

Voici en quels termes l’éditeur du Livre d’Or de l’Exposition de 1900 s’adresse à ses lecteurs en préface de l’ouvrage richement illustré de 324 pages.

« Ignorantes de toutes les crises, victorieuse de tous les obstacles, l’Exposition est vraiment aujourd’hui debout. En dépit de tous les pessimismes, les murs, où s’abriteront bientôt des richesses de toute la terre, ont monté plus vite même qu’on ne l’espérait ; et les échafaudages qui les ont si longtemps masqués aux yeux des promeneurs tombent, un à un, faisant apparaître hors de sa gaine, pour ainsi dire, l’œuvre que le monde entier se prépare à venir admirer, au printemps prochain.

L’Exposition universelle de 1900 a eu des ennemis par-delà nos frontières, son succès a fait des jaloux, la certitude de son triomphe a réduit peu à peu ses adversaires au silence. Les industriels étrangers, accourus en si grand nombre qu’il a fallu leur mesurer la place dans l’enceinte de l’Exposition, apportent par leur empressement même, le témoignage le plus sûr que tous les peuples, exacts au rendez-vous que la France leur a donné pour le 15 avril 1900, seront représentés par de grandes foules à ce pacifique tournoi des civilisations.

Notre pays peut donc, dès maintenant, se glorifier des solennités qui se préparent. Il a le devoir de les connaître dans tous les détails.

Le labeur immense dont Paris, et particulièrement le quartier où sera l’Exposition, a été et continue d’être le théâtre, est d’un puissant intérêt, en attendant l’intérêt, plus puissant encore, qui accompagnera l’heure grandiose des résultats. »

Les Français étaient fiers. Fiers d’être Français. Les désagréments étaient oubliés. L’époque était belle. C’était la Belle Époque !

La France était, alors, avec le Royaume uni, la plus grande puissance du monde. Aujourd’hui, en 2024, la France n’est plus qu’une puissance moyenne, dans un monde en plein chambardement. Les Français sont au bord de la dépression. Ils ne croient plus en l’avenir.

Les désagréments, au quotidien, sont beaucoup moins supportables


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