Mai 1968 provoqua un choc qui permit au marché immobilier de se redresser. « Le pavé a relancé la pierre », s’écria le publicitaire Jacques Séguéla, jamais avare d’un bon mot. La hausse des salaires, la crainte de l’inflation et la nécessité de mettre à l’abri les capitaux affolés, accompagna ce sursaut. Le volume de construction annuel atteint enfin 550 000 logements dont 180 000 HLM et 150 000 logements aidés par la prime et les prêts du Crédit Foncier. Albin Chalandon, Ministre de l’Équipement et du Logement, de juillet 1968 à juillet 1972, entra dans l’histoire de la politique du Logement avec les 60 000 « chalandonnettes » qui furent construites par les constructeurs privés. La part du logement social demeurait cependant très insuffisante par rapport aux besoins.
Les belles années furent de courte durée. Le 17 octobre 1973, la décision de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole de quadrupler le prix du pétrole mit fin aux « Trente glorieuses », à l’énergie bon marché, au cartel des grandes compagnies pétrolières et fit prendre conscience aux sociétés occidentales que la prospérité, la consommation à tout va avaient atteint leurs limites. L’urbanisme, l’habitat, le tout automobile, cette civilisation fondée sur l’idée que l’énergie était peu chère et le serait pour l’éternité. Le choc ne fut pas seulement pétrolier. Il provoqua la deuxième crise de l’immobilier, une longue crise, aussi « historique » que la précédente !
Avant cette date, il faut bien admettre que les pouvoirs publics, pourtant peu avares de réglementations, ne pensaient pas à l’isolation thermique et aux économies d’énergie. La construction industrialisée, dans le souci de faire baisser les coûts, ne se préoccupait pas de cette particularité technique. Les entreprises furent vivement critiquées quand commença « la chasse au gaspi ».
Le pays entra très vite en récession, pour la première fois depuis la fin de la guerre. L’inflation grimpa à plus de 13 %. Un plan, dit de « refroidissement », destiné à lutter contre l’inflation, comportant un encadrement du crédit et une hausse des impôts, plongea immédiatement le marché immobilier dans une crise sévère, la deuxième.
En juillet 1975, un plan de soutien à l’économie devint nécessaire pour atténuer les mesures drastiques d’encadrement du crédit. Pour le président de la République et son ministre des Finances, convaincus que l’aide de l’État au financement du logement était le principal responsable de l’inflation, une aide massive n’était plus aussi nécessaire, maintenant que le volume de construction annuelle dépassait 500 000 logements. Le moment était venu de faire preuve d’imagination. Ils commandèrent deux rapports. L’un à Raymond Barre, le professeur d’économie politique, qui reçut pour mission de présider une commission chargée de faire des propositions pour réformer le financement du logement. L’autre à Simon Nora et Bertrand Eveno portait sur l’amélioration de l’habitat ancien. De son côté, l’Union nationale des fédérations d’organismes HLM publia un Livre blanc qui préconisait une politique sociale de l’habitat, une civilisation de l’habitat, basée sur l’aide à la personne avec pour objectif d’offrir pour chaque Français un habitat de qualité.
Ces rapports, de grande qualité, ont fourni au secrétaire d’État au Logement, Jacques Barrot, tous les éléments constitutifs d’une réforme du financement qui, en 1977, constitua un tournant dans la politique du logement. Jacques Barrot mit au point, avec ses services, deux nouvelles catégories de prêts. Les prêts aidés à l’accession à la propriété, les PAP et les prêts locatifs aidés, les PLA. Les PAP étaient réservés aux ménages dont les ressources ne dépassaient pas un plafond fixé par arrêté dans chaque zone géographique. La durée du prêt était de vingt ans avec un différé d’amortissement de deux ans et une progressivité des annuités de remboursement. La réforme institua également les prêts conventionnés, les PC, qui avaient pour caractéristiques essentielles de ne bénéficier d’aucune aide de l’État, d’avoir un taux plafond fixé périodiquement par les pouvoirs publics en fonction de l’évolution du marché obligataire, d’être réservés au financement de la résidence principale et d’être également accessibles aux acquéreurs d’un logement ancien. Ces prêts pouvaient atteindre 90 % du montant de l’acquisition. Mobilisable auprès du Crédit Foncier de France ou sur le marché hypothécaire, ce type de prêt eut beaucoup de succès. Pour compléter le dispositif, une aide personnalisée au logement – APL – destinée à aider les plus faibles – fut mise au point. Elle améliorait et remplaçait l’ancienne allocation logement. Son montant prenait en compte les revenus des ménages, la composition du foyer et son budget logement.
Mon ami Jacques Barrot fut un excellent ministre du Logement. Il a occupé cette fonction du 27 mai 1974 au 31 mars 1978. Ce qui lui a permis de mener à bien une des plus importantes réformes.
Le président de la République avait annoncé pendant sa campagne, en 1974, que, s’il était élu, il proposerait à la représentation nationale de taxer les plus-values comme le faisaient déjà la plupart des autres pays occidentaux et notamment la Grande Bretagne, les États-Unis et l’Allemagne. La loi du 19 juillet 1976 sur la taxation des plus-values immobilières, fut interprétée par la profession comme une déclaration de guerre. Raymond Barre, le nouveau Premier ministre, n’avait aucun sens politique. Il était déterminé à « abattre l’inflation » quoi qu’il en coûte. Il estimait que les besoins étaient en grande partie satisfaits et qu’il n’y avait pas lieu de s’alarmer. Les experts n’étaient pas de cet avis. Les besoins dans le secteur social étaient encore considérables et l’offre privée souvent inadaptée. Au surplus, le niveau de confort et la superficie des logements laissaient encore à désirer. Il y avait donc bien des besoins importants de renouvellement, de modernisation et d’entretien du parc. Un mois après son arrivée à Matignon, le « plan Barre » renforça l’encadrement du crédit et bloqua les prix et les tarifs publics. La reprise du marché immobilier qui s’amorçait fut immédiatement cassée. Les promoteurs immobiliers étaient furieux et le faisaient savoir dans la presse et auprès du ministre. La rechute donna à cette crise, son caractère « historique » dans la mesure où elle contribua à l’échec du président de la République, qui ne parvint pas à se faire réélire.
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