À quoi rêvent les enfants ?


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Les Gaulois craignaient que le ciel leur tombe sur la tête. Moi aussi ! Enfant, j’avais de bonnes raisons de les comprendre. Le ciel n’était pas synonyme d’espérance, mais de menace. Au début des années cinquante, encore, je sursautais à chaque fois que j’entendais un avion. Le souvenir des avions allemands, puis anglais et américains était gravé dans ma mémoire, depuis ce jour du mois d’août 1943, où, à Dinan, une bombe était tombée sur le garage Rebourdais. Un avion de chasse anglais, poursuivi par un Messerschmitt, était passé à moins de cinquante mètres au-dessus de nos têtes. Le mitraillage avait été effrayant. Quelques jours plus tard, nous entendîmes un grondement sourd dans le lointain. Par la fenêtre, qui donnait sur le toit de l’église Saint-Malo, nous aperçûmes, haut dans le ciel, sept groupes d’environ soixante minuscules points noirs qui se déplaçaient du nord vers le sud. De toute évidence il s’agissait de bombardiers qui se dirigeaient vers Saint Nazaire. Deux heures plus tard, le bruit reprit et le nuage d’avions reparut à l’est, dans des conditions de visibilité parfaite malgré l’altitude ; le ciel était d’un bleu franc. Des avions de chasse allemands prenaient de la hauteur puis piquaient dans la masse des bombardiers en les mitraillant. Ceux-ci ripostaient et l’on voyait les petites lueurs des tirs. Des avions furent touchés et, en fin d’après-midi, un véhicule allemand qui transportait deux aviateurs américains qui avaient sauté en parachute, est passé rue de la Ferronnerie à toute vitesse. Il était fréquent, le matin, de voir, au sol, des petits morceaux de papier brillant lâchés par les avions pour tromper les radars allemands.

À quoi rêvaient les enfants, pendant l’Occupation ? Ils jouaient aux Résistants, à la guerre. Le livre d’histoire n’était-il pas un livre de guerre, d’empires, de royaumes, de conquêtes. Combien d’heures ai-je passé à rêver en feuilletant la collection de timbres de mon père, sa collection du Journal des Voyages et le Grand Atlas d’Onésime Reclus ? Le Dahomey, L’Indo-Chine, l’Oubangui Chari, l’Amazonie, étaient des noms qui faisaient rêver ! Les aventures des explorateurs, navigateurs, qui parcouraient des distances incroyables au travers des mers et océans, découvraient des territoires inexplorés, avaient quelque chose de fascinant. Sans parler du « Tour du monde en 80 jours », avec sa couverture en lettres d’or, édité par Hetzel, que j’ai toujours, en bonne place dans ma bibliothèque, mais qui a souffert de l’Occupation !

Dans les mois qui suivirent la Libération du territoire, « Les Enfants du capitaine Grant » ont remplacé « Le Tour du monde en 80 jours », pour poursuivre les rêves d’aventures.

« Objectif Lune », l’album d’Hergé dans lequel le Professeur Tournesol invite Tintin et le Capitaine Haddock à le rejoindre en Syldavie où il travaille sur l’envoi d’une fusée sur la Lune, ne m’a laissé aucun souvenir. En 1953, les jeunes filles et le foot tenaient une place trop importante dans mes rêves !

Un homme, dont je fis la connaissance beaucoup plus tard, contribua à me permettre d’évacuer les mauvais souvenirs que j’avais conservé de ce qui pouvait se passer dans le ciel. Il s’appelait Georges Héreil. À Cahors, où il avait fait ses études au lycée Gambetta, il était, avec Maurice Faure et Gaston Monnerville, l’homme le plus populaire. Aux élections municipales de 1958, des bulletins à son nom, nombreux, avaient été trouvés dans les urnes, alors qu’il n’était pas candidat… Président de Sud Aviation, son nom était attaché à la Caravelle, le premier moyen-courrier à réaction français qui faisait la fierté de la France et des Cadurciens, en particulier.

Un an auparavant, le 4 octobre 1957, l’URSS avait réussi à mettre un engin de 83 kg sur orbite. Il tournait autour de la Terre en 98 minutes à une altitude de 230 et 950 km en émettant un « bip-bip » qui entra dans l’histoire. C’était le début de l’ère spatiale et de nouveaux rêves.

L’URSS, en compétition avec les États Unis d’Amérique, depuis la fin de la guerre, avait un programme spatial très ambitieux qui se concrétisa avec l’envoi de la chienne Laïka, en 1957, et le 12 avril 1961, de Iouri Gagarine qui fut le premier homme à être expédié dans l’espace et à boucler une orbite complète autour de la Terre.

Humiliés, les Américains décidèrent de prendre tous les risques pour rattraper leur retard sur les Soviétiques. Le 5 mai 1961, trois semaines après l’expédition de Gagarine, l’astronaute américain, Alan Shepard, à bord de la capsule Mercury fut expédié dans l’atmosphère au moyen d’une fusée beaucoup moins puissante que la fusée Vostok. Ce fut suffisant pour que JFK formule devant le Congrès l’ambition des États Unis d’envoyer des Américains sur la Lune avant la fin de la décennie.

Qualifié de rêve d’enfant, cet objectif était jugé irréalisable dans un si court délai. Les États-Unis ne disposaient pas d’un lanceur assez puissant et des technologies nécessaires pour aller sur la Lune et revenir.

Le 22 novembre 1963, le président américain a été assassiné. Le site de Cap Canaveral a été renommé Cap Kennedy.

Pour comprendre ce que fut ce défi, cet exploit, il faut se rendre en Floride, au Kennedy Space Center Visitor Complex, situé à côté du « John F. Kennedy Space Center », le gigantesque complexe de lancement spatial de l’armée de l’air américaine et de la National Aeronautics and Space Administration (NASA).

1987 – Jérôme à Cap Kennedy

Dans le Kennedy Space Center Visitor Complex, sont exposés tous les types de lanceurs et des reconstitutions des capsules spatiales Apollo, Gemini et Mercury. Il y avait une longue file d’attente pour voir la maquette grandeur nature de la capsule Apollo et la reconstitution du centre de contrôle des missions Apollo, le jour d’août 1987 où, accompagné de mon fils Jérôme, j’ai emprunté la route qui longe le bâtiment d’assemblage des véhicules et celle que prennent les navettes spatiales pour aller jusqu’au pas de tir. Mon fils était fasciné. Il réalisait un rêve et moi, je finissais de chasser le souvenir des bombardiers qui se dirigeaient vers Saint Nazaire et des Messerschmitt et avions de chasse anglais et américains qui passaient au-dessus de nos têtes, en 1943.

Le 16 juillet 1969 à 13 h 32, le lanceur Saturn V, et ses 3 000 tonnes, a emporté Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins à bord d’Apollo 11. Devant mon poste de télévision, j’ai photographié ma femme et mes enfants, pour conserver le souvenir de ce moment historique. Quatre jours plus tard, quatre jours de décisions à prendre, quatre jours de stress, le module Eagle s’est posé dans la mer de la Tranquillité (!) , à 7 km du lieu prévu. Six heures après, Armstrong est descendu du LEM (module lunaire) avec ces mots inoubliables : « That’s one small step for man, one giant leap for mankind ». Pour la première fois, un homme a marché sur la Lune.

1969 Apollo 11 Armstrong Collins Aldrin

Le vendredi 23 avril 2021, quatre astronautes, dont le Français Thomas Pesquet, ont rejoint la Station spatiale internationale (ISS), pour une des dernières missions sur cette station, à 400 kilomètres au-dessus de la Terre. Fruit de la coopération des services américains, russes, européens, canadiens et japonais, cette station arrive en effet à son terme. La Chine et la Russie projettent de disposer de leurs propres bases en orbite pour affronter le nouvel ordre spatial. La Lune et Mars sont les nouveaux objectifs.

Thomas Pesquet, spationaute, ingénieur, scientifique, pilote, photographe, musicien, pédagogue, excellent communicant, judoka, star des réseaux sociaux, capable de s’exprimer dans six langues, est la personnalité préférée des Français. Il personnifie le courage, la volonté, l’intelligence, le rêve des enfants et, sans doute de nombreux adultes.

« Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité », écrivait Saint-Exupéry. Que pèsent alors les propos maladroits, décalés, de la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy ? Bien peu de chose !

1969-16 juillet- Dany, Jérôme et Laure

Chantal Delsol rappelait, il y a quelques jours, ce qu’écrivait Kant : Le rêve est « l’art d’emmener notre esprit en voyage ». Elle ajoutait que le rêve donne à voir l’imaginaire d’un monde. Il reflète les aspirations d’une époque, ses héros et ses mythes. Ceux qui pensent sincèrement que l’aérien appartient au monde d’avant, comme la viande, le Tour de France et les sapins de Noël, ont perdu le sens du réel, de l’histoire. Ils font fausse route, comme, en son temps, le marxisme, qui interdisait les romans. Le souci écologique, la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, est un combat vital. Nul ne le conteste aujourd’hui, mais les progrès de la science sont plus efficaces que les discours idéologiques.

Sans satellites, que seraient devenues les prévisions météo, la prévention des catastrophes, le travail des exploitants agricoles, la communication entre les hommes, l’information ? Les technologies spatiales sont à l’origine de quantité d’innovations, du détecteur de fumée à l’airbag, en passant par les panneaux solaires ou les « stents », ces ressorts placés dans les artères pour permettre au sang de circuler. La Nasa vient d’annoncer que son Rover Perseverance avait réussi à transformer le dioxyde de carbone de l’atmosphère de Mars en oxygène. Grâce à Moxie, un appareil conçu au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Perseverance a produit 5 grammes d’oxygène et démontré l’efficacité d’une technologie qui pourrait à la fois aider les astronautes à respirer, et permettre de propulser des fusées depuis Mars.

C’est pour faire avancer la recherche scientifique que Thomas Pesquet va séjourner dans la station spatiale. Thomas Pesquet se réjouit à l’avance de « faire rêver les enfants » !

La raison accompagne le rêve.

Rêver est un besoin vital pour lutter contre l’insatisfaction, les frustrations inhérentes à la vie courante. Il n’est évidemment pas donné à tout le monde, de réaliser ses rêves, ses désirs. Mais partager la réalisation des rêves de quelques-uns, est déjà une satisfaction que connaissent ceux qui jouent chaque semaine, dans l’espoir de gagner. « Il faut toujours viser la Lune, disait Oscar Wilde. Car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles. »


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