L’ancien président de la République, décédé hier, 2 décembre 2020, avait, à de multiples reprises, manifesté son attachement à l’Institut des hautes études de défense nationale et souligné l’importance qu’il attachait la mission des auditeurs définie par le décret du 30 janvier 1949 qui précise que « l’Institut reçoit la mission de préparer de hauts fonctionnaires, des officiers généraux ou supérieurs et des personnes particulièrement qualifiées aux points de vue économique et social à tenir les emplois les plus élevés dans les organismes chargés de la préparation et de la conduite de la guerre ».
C’est dans cet esprit que, fait exceptionnel, Valéry Giscard d’Estaing avait reçu, à l’Elysée, en 1975, une délégation d’auditeurs et cadres de l’Institut, conduite par Pierre Schwed, le président de l’association nationale, à qui il avait adressé, quelques mois plus tard, le 10 décembre 1976, une lettre de félicitation « pour l’action que vous avez menée avec tant de dynamisme et d’enthousiasme. » Pierre Schwed venait de quitter ses fonctions et de confier à son successeur, Jacques Houyvet, le soin de poursuivre son action et d’entretenir avec le chef de l’Etat, des relations de confiance.
C’est ainsi que le 9 décembre 1977, Valéry Giscard d’Estaing avait, à nouveau, reçu, à l’Elysée, une délégation d’auditeurs conduite par Jacques Houyvet. Le président de la République, avant ces entretiens, n’avait jamais reçu l’IHEDN. C’était tout à fait inhabituel.
Pendant cette période, c’est-à-dire au début de son septennat, Valéry Giscard d’Estaing, le 1er juin 1976, avait tenu à prononcer le discours de clôture de la 28e session de l’Institut, en présence du Premier ministre, Jacques Chirac, du ministre de la Défense, Yvon Bourges, et du directeur de l’IHEDN, le général Jean-Paul Etcheverry. L’Institut dépendant du Premier ministre, il est de tradition que le président de la République ne visite l’IHEDN qu’une fois au cours du septennat, devenu le quinquennat. Le Premier ministre, Jacques Chirac, avait, comme c’est la tradition, prononcé le discours d’ouverture de la session en septembre 1975.
J’ai souvent entendu Philippe Massoni, qui deviendra préfet de police de Paris, Jacques Alexandre, présentateur du journal de TF1 et Raymond Bourgine, journaliste économique très connu à l’époque, mais aussi la professeure Andrée Martin-Pannetier qui, plus tard deviendra ma vice-présidente, et Paule Ameller, directeur de recherche au CNRS, auditeurs de cette session, raconter ce qui avait été alors, un événement.
Valéry Giscard d’Estaing, dès la fin de l’année 1974, c’est-à-dire peu de temps après son élection, avait fait une entrée très remarquée sur la scène politique internationale. Pas moins de trois » sommets « , avec M. Leonid Brejnev, les chefs d’État et de gouvernement des neuf pays de la Communauté européenne et avec le président des Etats-Unis, M. Gerald Ford, avaient été organisés, montrant ainsi une volonté de changement, au moins dans la forme, des relations internationales. Le style de la rencontre entre les présidents français et américain, à la Martinique, avait, de ce point de vue, était significatif et avait fait dire à Raymond Tournoux, dans PARIS-MATCH, que « l’image de deux chefs d’État plongés dans l’eau baptismale d’une piscine de la Martinique, un dimanche 15 décembre, avait mis fin à une brouille et décrispée et débarrassée de ses tabous », les relations internationales ».
Dans la presse de l’époque, l’allégeance atlantique de la diplomatie de Giscard d’Estaing avait été très critiquée, alors que le nouveau chef de l’Etat était déterminé à mener une diplomatie indépendante et, sur un ton gaullien, bien décidé à montrer au monde que la politique de la France ne se décidait pas à Washington.
Sur le plan militaire, la doctrine était claire. Il n’était pas question de s’en remettre à un allié qui peut, à tout moment, modifier, selon les circonstances et ses intérêts du moment, ses conceptions et ses objectifs. La France devait avoir des forces terrestres, maritimes et aériennes, et une capacité de combat suffisante pour protéger notre territoire. C’était la doctrine du général de Gaulle. » La première mission de la défense est de sauvegarder l’indépendance nationale « . Le monde était en pleine guerre froide.
Longtemps après avoir quitté le pouvoir, Valéry Giscard d’Estaing était resté fidèle à l’IHEDN et à ceux qui entretenaient la flamme. Quand Jean-Pierre Mazery, successeur de Pierre Schwed à la présidence de l’association nationale des auditeurs de l’IHEDN, demanda à François Léotard, Ministre d’Etat, Ministre de la Défense, à l’occasion du 20ème anniversaire du prix Vauban, de remettre le prix 1993 à Jean-François Deniau de l’Académie Française, ancien ministre, une très belle réception fut organisée dans le salon d’honneur de l’Hôtel National des Invalides le 23 février 1994 à 19h. Ancienne salle du conseil, ce grand salon offre, grâce à sa position centrale, une vue majestueuse sur l’esplanade des Invalides, le pont Alexandre III et la Seine, ainsi que sur la cour d’Honneur de l’hôtel, l’église Saint-Louis et le Dôme. Il y avait tellement de monde, que Valéry Giscard d’Estaing, arrivé en retard, ne put accéder au salon et resta dans la coursive d’accès au milieu des autres retardataires, pendant les discours.
Toujours pas remis de l’immense déception qu’avait été pour lui le rejet du projet de constitution européenne auquel il avait consacré, avec une extraordinaire passion, de nombreux mois de travail collectif, Valéry Giscard d’Estaing était venu à l’Ecole militaire, en 2015, si mes souvenirs sont bons, présenter Europa – La Dernière Chance de l’Europe, un essai de l’ancien président de la République française Valéry Giscard d’Estaing dont la préface est écrite par l’ancien chancelier fédéral d’Allemagne Helmut Schmidt. Cet essai, que j’ai lu et relu, quand nous avons, avec Jean-Paul Benoit, publié « L’Europe : L’être ou le néant ? » était sorti le 2 octobre 2014 aux éditions XO
Incorrigible militant optimiste de la construction européenne, VGE avait, récemment encore, le 23 Avril 2020 signé une tribune avec une vingtaine de personnalités parmi lesquelles, l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta, le ministre espagnol des Universités, Manuel Castells, l’ex-président du Parlement européen Hans-Gert Pöttering et la présidente de la Foundation for European progressive studies, Maria João Rodrigues. Cette tribune avait été publié dans une douzaine de grands journaux européens dont La Repubblica, Die Welt ou Le Soir.
En hommage à l’ancien chef de l’Etat et à son esprit européen, que je partage, je reproduis cette tribune.
Depuis plusieurs mois maintenant, le monde et l’Europe sont confrontés à la pandémie du Covid-19, une crise sanitaire d’ampleur mondiale mais dont la gestion reste, pour l’instant, nationale et intergouvernementale. Rien de bien étonnant à cela car ne dispose que l’UE ne dispose que d’une compétence d’appui en matière de santé publique d’une compétence d’appui en matière de santé publique et s’attache donc à coordonner au mieux l’action de ses Etats membres. Ceux-ci auraient-ils dû conférer à l’Union des compétences plus fortes en la matière ? Que nous apprendra cette pandémie ? Les questions que pose ce contexte d’urgence nous mènent à une réflexion plus générale sur le fonctionnement de l’Union : notre système est-il encore adapté aux enjeux actuels ?
Au cours des dernières semaines, les citoyens européens ont démontré à quel point notre société était solide. Des régions transfrontalières ont organisé des transferts de patients d’un pays à l’autre, des personnels médicaux ont pu exercer dans les endroits où l’on avait besoin d’eux. Les scientifiques travaillant ensemble ont pu obtenir en quelques semaines des résultats qui prennent normalement plusieurs mois. Cette solidarité concrète montre que la coopération européenne existe, et chacun réalise que ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous pourrons sortir d’une crise qui dépasse nos frontières.
Le paradoxe d’aujourd’hui est que nous savons que nous avons besoin d’une Union européenne plus forte et plus résistante, mais que les crises de la dernière décennie ont provoqué des réactions nationalistes qui compliquent des efforts supplémentaires vers de vraies solutions. Nous sommes conscients qu’une partie de la confiance des citoyens européens a été ébranlée, ces dernières années, et nous espérons que l’esprit de coopération et d’unité saura prévaloir.
«Nous proposons qu’à l’avenir, dans le cas d’une pandémie, la santé publique soit décidée à l’échelon communautaire. Cela peut nécessiter des ajustements des traités»
La solidarité étant la clé de voûte de notre Union, elle doit jouer encore plus dans les moments de crise qu’en temps normal, car c’est alors que l’on vérifiera qu’elle n’est pas lettre morte. En tant qu’Européens, nous ne sommes pas dans un jeu à somme nulle ; nous gagnerons ou perdrons ensemble. Un Conseil européen vital se tient ce jeudi. Le temps n’est plus aux hésitations ou aux réticences anciennes. Que les dirigeants européens fassent preuve de courage et parlent d’une même voix pour apporter toute l’aide nécessaire aux pays les plus cruellement touchés par le coronavirus !
Nous proposons qu’à l’avenir, dans le cas d’une pandémie, la santé publique soit décidée à l’échelon communautaire. Cela peut nécessiter des ajustements des traités mais serait nécessaire pour mieux affronter une maladie à dimension continentale.
Trésor commun. Pour la crise actuelle, des décisions fortes doivent être prises. Il ne s’agit pas de mutualiser les dettes du passé mais de mutualiser la dette qui naîtra de la mise en place des moyens nécessaires pour répondre à la crise du coronavirus. A terme, un « Trésor public européen de la zone intégrée » devrait gérer les besoins d’emprunt des Etats. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027 devrait également être revu à la hausse pour devenir un instrument de solidarité plus puissant et adapté aux situations d’urgence comme celle-ci.
Le Centre de coordination de la réaction d’urgence qui achemine l’aide sous forme d’expertise, de matériels de secours ou d’équipes de protection civile vers les pays touchés devra être pleinement opérationnel, la recherche médicale mieux coordonnée au niveau européen, tout comme la collecte et l’interprétation des données épidémiologiques.
Lorsque cette pandémie prendra fin, elle laissera des marques importantes dans la société. Des milliers de personnes auront succombé et notre système économique sera disloqué. Nous devrons saisir cette occasion pour réinventer une organisation économique et sociale plus juste, plus durable et résistante. Ce serait un résultat essentiel !
Cela implique que nous maintenions et cultivions l’agilité gagnée dans la prise de décision et dans l’action. Des hôpitaux et équipements médicaux ont pu être réalisés en quelques jours là où des procédures bureaucratiques freinent habituellement toute démarche créatrice. L’Union européenne pourrait et devrait être, avec sa communauté de 446 millions de citoyens, une force active dans ce changement.
Imaginez à quoi ressemblerait notre économie si nous arrêtions de nous concurrencer fiscalement ? Les citoyens paieraient, où qu’ils vivent en Europe, les mêmes impôts et recevraient les mêmes services de la part des Etats. Les grands groupes technologiques ne pourraient pas déroger à leurs responsabilités en cherchant à éviter de payer l’impôt. Nous pourrions éliminer les subterfuges que permet notre système actuel et réinventer un système où tout le monde contribue, sans que le fardeau ne pèse injustement sur les épaules des ménages ou des petites entreprises. Un système qui stimule l’emploi au lieu de le taxer. Il conviendra de proposer un calendrier précis pour cette unification fiscale en Europe.
Dans un monde qui retombe dans la tentation des luttes de pouvoir, à Pékin, Washington, Moscou, Delhi et Ankara, nous, Européens, devons défendre les valeurs qui fondent notre Union, à savoir la dignité de l’être humain, la liberté, la démocratie, l’État de droit et la paix. Cela est unique au monde. Ce n’est qu’en donnant à l’Europe une dimension politique à part entière que nous pourrons construire la société de demain et empêcher le monde de retomber dans les tragiques erreurs du passé.
Le Parlement européen et la Commission européenne nouvellement élus doivent se montrer prêts à promouvoir ce changement de fond.
Le Covid-19 nous a fait réaliser que nous avons besoin de nouvelles idées pour surmonter les défis actuels et nous adapter à un monde de plus en plus globalisé et dématérialisé.
L’Europe est une idée et un projet qui nous appartiennent à tous. Pour qu’ils réussissent, nous devons rejeter les opinions négatives – parti pris politique, ego prononcé et peur du changement – et, en nous appuyant sur les fondements de notre histoire, croire avec ambition en l’espoir de construire l’une des grandes civilisations du XXIe siècle.
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