Il y a 75 ans, le 2 août 1944, les Américains libéraient la ville de Dinan.
J’ai raconté ces années noires dans un livre : “La vie à Dinan sous l’Occupation” qui est en accès libre sur ce blog.
En souvenir des journées historiques du 2 au 6 août 1944, je publie aujourd’hui, les passages consacrés à le liberation de la ville.
Dinan –2 aôut 1944 – 10 h 30
L’approche des troupes alliées était annoncée à Pontorson, puis à Dol. Les Allemands semblaient décidés à tenir Dinan. À la mairie, autour du maire, monsieur Aubry, il régnait une ambiance de veillée d’armes. L’artillerie américaine, le 802ème Rank Destroyer Battalion, était en batterie sur les hauteurs de Lanvallay.
Mon père, directeur des services techniques de la ville, monta avec M. Hingamp, le contremaître principal, au premier étage de la mairie pour examiner l’état du drapeau qui était dans le placard, sous la fenêtre. Tout était prêt mais il fallut encore patienter. En redescendant, ils virent monsieur Balquet, un adjoint, qui portait dans ses bras un obus de 105 fendu dans le sens de la longueur et dont l’explosif, jaune clair, était apparent. « Il est tombé à l’église Saint-Malo sans exploser, » disait monsieur Balquet. « On nous bombarde ». À dix heures trente, les premiers fusants tombèrent sur le quartier de l’église Saint-Malo et sur le Jardin anglais. Les soldats allemands, en alerte, étaient nerveux. Des patrouilles circulaient dans les rues et vérifiaient les identités. Tandis que les explosions se multipliaient, les boutiques fermaient et chacun prenait ses dispositions. Il était onze heures quand les Allemands installèrent, dans le Jardin anglais, des mitrailleuses lourdes et des canons antichars braqués en direction de Lanvallay.
Vers midi et demi, les abris étaient surpeuplés, les rues désertes. Mon père entendit un bruit sourd de piétinement ; par la fenêtre de son bureau, il vit déboucher de la rue des Rouairies, deux colonnes de soldats allemands en tenue de combat, chargés de munitions et l’arme au poing. Chaque colonne, de soixante hommes environ, rasait les murs, en file indienne. Elles se dirigeaient vers la rue de la Ferronnerie puis, au-delà, vers le viaduc. Depuis le début du bombardement, chacun était à son poste. Monsieur Aubry était arrivé presque aussitôt à la mairie. Pendant l’incendie des Galeries, monsieur Aubert, le premier adjoint, apporta une aide efficace aux pompiers.
Ma mère, qui avait vu la mort de si près, me réconfortait. Je m’étais réfugié entre le mur et le lit de sa mère. Elle me rassurait quand elle m’entendait pleurer et prier : « Petit Jésus, ramenez-moi mon papa ». Réflexe d’autant plus étonnant que je n’avais reçu aucune éducation religieuse. « Quand tu entends le sifflement, c’est que l’obus est déjà tombé », me disait ma mère, pour me rassurer. Des obus étaient déjà tombés au 12 et au 20 rue de la Croix, des maisons voisines. Des hommes de la défense passive, en casques blancs et brassards, entrèrent dans la maison en criant : « Est-ce qu’il y a des morts ici? ». Dans la cuisine, le repas était sur le feu !
Vers 13 heures, quelqu’un dit qu’il faudrait informer les Américains de l’absurdité de ce bombardement qui ne touchait que des Français. Mon père croisa, dans la rue, le chirurgien de la clinique de la Sagesse qui courait vers la clinique avec, dans ses bras, son fils blessé qu’il ne put sauver. L’odeur âcre de la poudre mêlée à celle qui provenait des incendies, rendait l’air irrespirable.
Mon père, inquiet, envoya deux agents de police rue de la Croix pour transporter sa femme, sur un brancard, dans l’abri, déjà plein, qui était sous l’Hôtel-de-Ville. Il me prit par la main et, en courant, nous traversâmes la Place Duclos. Le temps pour moi, cependant, d’apercevoir sur la bascule de l’octroi, un soldat allemand qui, l’arme au poing, menaçait un homme à genoux. Quelques instants après, Meheut, un des agents de police qui avait transporté ma mère arriva sur un brancard avec une horrible plaie au cou. Il avait l’air mort. Il aurait dit à un soldat allemand, en montrant son fusil : « Donne-moi ça, ça ne te servira plus ». L’allemand avait tiré.
L’agent de police mort était étendu dans la salle Aristide Briand. Quelques minutes plus tard, arriva un très jeune soldat allemand en uniforme brun clair qui voulait savoir où était le revolver de l’agent de police et pointait le sien, sur la poitrine de mon père qui ne savait de quoi il s’agissait. Il demanda à M. Hingamp qui était près de lui. Quelqu’un lui souffla : « Dans la corbeille à papier de la salle Aristide Briand ». M. Hingamp dit : « J’y vais » et hérita du même coup du jeune sauvage. Ils se rendirent dans la salle Briand et, là, M. Hingamp feint de chercher, butta, comme par mégarde, dans la corbeille à papier ; celle-ci se renversa et fit apparaître le revolver. L’allemand s’en empara et l’épisode se termina là sans plus de drame.
De douze heures à dix-huit heures, le bombardement fut intense. Les incendies se multipliaient. La relève des blessés et des morts était de plus en plus difficile. La nuit du 2 au 3 août fut assez calme. Quelques tirs d’infanterie des deux côtés de la Rance, le pillage des maisons détruites par des soldats allemands, des déplacements de troupes et de blindés allemands annonçaient la retraite.
A suivre…
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