« La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir. » Attribuée à Pierre Dac, Mark Twain, Groucho Marx, Winston Churchill et bien d’autres, tant cette évidence relève de l’absurde, je propose, s’agissant de la planète Mars, d’attribuer cette citation au physicien Niels Bohr qui avait dit, un jour, en plaisantant, que « La prédiction est un exercice très compliqué, spécialement quand elle concerne le futur ». Il avait raison, prédire ce qui ne s’est pas encore produit, est amusant, mais il ne faut pas en abuser ! L’avenir réserve tant de surprises.
L’ambition, c’est autre chose.
Dans « La Guerre des mondes », Herbert G. Wells se risquait à dire : « C’est l’Univers entier, ou rien du tout. » C’est un fait que « L’homme a horreur de se sentir seul dans l’Univers ». Le grand, l’illustre, Hubert Curien, ancien ministre de la recherche et ancien président du CNES, n’avait aucun doute : « Mars, nous irons, vous verrez. L’humanité ne résistera pas à un tel défi. » « L’odyssée de l’espace », le film de Stanley Kubrick et le film « Seul sur Mars », en 2015, avec Matt Damon, ont contribué à stimuler cette envie, régulièrement entretenue par les ambitions de puissance des présidents des États-Unis successifs.
La seizième des 21 questions que posait « L’Avenir », le numéro de collection consacré au XXIe siècle conçu par les rédactions du Monde et de France Info, en 1999, avait pour titre : Objectif Mars ? L’espace se banalisera et deviendra un marché
Jean-François Augereau, dans son article, passait en revue les problèmes encore insolubles que posait un tel projet. « C’est une opération aux proportions si gigantesques que la raison défaille quand on suit à la lettre la recette que Christopher McKay (Ames Research Center, NASA) et quelques-uns de ses amis en avait donné en 1991 dans Nature. La voici. Procéder d’abord à l’injection massive dans l’atmosphère martienne de chlorofluorocarbones (CFC) produits artificiellement sur Mars. Ceux-là mêmes que l’on traque sur Terre parce qu’ils détruisent la couche d’ozone. Attendre que ce gaz élève la température et favorise ainsi la libération du gaz carbonique (CO2), puissant gaz à effet de serre qui, à son tour, fait monter le thermomètre. Durée de la cuisson : un siècle environ. Laisser reposer et ensemencer ensuite la planète avec des micro-organismes capables de synthétiser un autre gaz à effet de serre, l’ammoniac. Enrichir enfin le tout en oxygène grâce à l’introduction de quelques plantes et transformer la glace des calottes polaires en eau liquide. Christopher McKay concluait, formel : « Même si ça doit prendre cent mille ans pour rendre Mars habitable, c’est quand même plus rapide que les trois milliards d’années que la nature s’est octroyées pour faire de la Terre ce qu’elle est. » Soit. Mais si ce terraformage est un jour possible, « ne vaudrait-il pas mieux, s’interrogeait Nicolas Prantzos (CNRS), étudier et comprendre un monde avant de le modifier ? » Vaste débat que Kim Robinson, auteur américain de science-fiction, a magnifiquement évoqué dans sa trilogie Red Mars/ Green Mars/ Blue Mars…
Fort bien, mais, pourquoi aller sur Mars ? Est-ce bien nécessaire ? S’agit-il essentiellement d’une démonstration coûteuse de puissance depuis que Youri Gagarine a été le premier homme à aller dans l’espace en 1961 ? Un rapport du Conseil national de la recherche américain ne concluait-il pas, en 2014, qu’ « Aucune raison ne semble à elle seule justifier la poursuite des vols spatiaux humains. »
Pourquoi, dès lors, vouloir aller sur Mars ? Pour l’astrophysicien Francis Rocard, les raisons sont limitées. 500 milliards de dollars, c’est beaucoup d’argent pour de la R et D ; sur le plan scientifique, c’est discutable ; pour le tourisme, ce n’est pas sérieux ; pour sauvegarder l’humanité ailleurs que sur la Terre en cas de « troisième guerre mondiale » ? Simplement, pour réaliser un exploit. C’est une raison qui peut se défendre !
Il y en a un qui n’a aucun doute, a cette ambition et veut réaliser cet exploit. En 2000, il était inconnu. Il avait alors 29 ans. Il se nomme Elon Musk. Né à Pretoria, il émigre aux États-Unis en 1992, avec la nationalité canadienne, intègre l’université de Pennsylvanie, pour y étudier la physique et l’économie, et l’université Stanford, en 1995, dans laquelle il ne s’attardera pas, pressé qu’il est de créer son entreprise, tant il est fasciné par les perspectives qu’offre Internet.
Le lundi 13 décembre 2021, Elon Musk, à la tête d’une fortune estimée par Forbes à plus de 260 milliards de dollars, est désigné, à 50 ans, « personnalité de l’année 2021 » par le magazine Time. Bloomberg fait de lui, l’homme le plus riche du monde.
Quel parcours !
En mai 2002, Elon Musk a créé Space Exploration Technologies (SpaceX), avec, dans l’idée, d’abaisser le coût des lanceurs, de les rendre réutilisables, de pouvoir atteindre Mars et de s’y installer. C’est ainsi que SpaceX a développé les fusées Falcon 1 et Falcon 9 ainsi que le vaisseau cargo Dragon.
Convaincu, dès 2004, que l’industrie spatiale a « quasiment cessé d’évoluer depuis la conquête lunaire », Elon Musk entreprend de ringardiser Boeing, Lockeed Martin, Ariane. Rien de moins ! Avec l’aide de la NASA et les milliards de dollars du gouvernement américain.
En 2012, SpaceX a ravitaillé la Station spatiale internationale. En 2013, Elon Musk réussit à mettre en orbite un satellite de communication à 36 000 kilomètres de la terre à partir de Cap Canaveral. SpaceX prévoit de lancer 30 000 satellites de deuxième génération Starlink en orbite basse. Dans le même temps, Elon Musk déclarait qu’il voulait fonder une colonie sur Mars d’un million de personnes !
Le 6 février 2018, SpaceX a lancé Falcon Heavy, avec à bord la Tesla Roadster rouge d’Elon Musk, le constructeur d’automobiles électriques qu’il dirige. Le lancement, au son de Space Oddity, la chanson de David Bowie, est réussi. Il a placé les marques Tesla et Space X sur orbite !
Le 23 avril 2021, le lanceur Falcon 9 envoie vers la Station spatiale internationale quatre astronautes, dont le Français Thomas Pesquet.
À l’occasion des 20 ans de SpaceX, Elon Musk, son fondateur, a rappelé qu’il a l’intention de coloniser Mars et de faire de l’humanité une espèce interplanétaire. C’est pour cela qu’il a fondé SpaceX en 2002 et s’est enrichi. Il est plus que jamais décidé à envoyer des humains sur Mars au début des années 2030. Le véhicule qui les amènera sur Mars, le Starship, est en cours de développement.
L’« alien » Elon Musk est « partout sauf sur Terre », écrivait Corine Lesnes, la correspondante du « Monde » à San Francisco, le 11 septembre 2018.
« Fou » ou génie ? Quelle est la part de bluff dans les déclarations et le volontarisme d’Elon Musk ? L’avenir le dira ! « La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir. » En deux décennies, Elon Musk a révolutionné le secteur des fusées spatiales Son ascension était imprévisible en 2001, quand débuta le XXIe siècle.
Il est évident que pendant les vingt premières années du XXIe siècle, Elon Musk a stimulé la NASA. L’agence spatiale américaine, après Curiosity qui explore depuis 2012 la surface de Mars, a lancé la mission mars 2020 qui a mis au point un nouveau rover. Le 18 février 2021, le rover Perseverance, s’est posé sur la planète rouge. Tout s’est passé comme prévu : L’entrée dans l’atmosphère, le ralentissement et la protection de l’astromobile grâce au bouclier thermique dont la température montait à 1 300 °C, le déploiement du parachute, la séparation du bouclier, la mise en route du radar et du système de navigation pour bien atterrir dans la cible, le cratère Jezero, la séparation du parachute et le relais pris par le Sky Crane, cette structure assurant la descente finale grâce à des rétrofusées, le grutage de Perseverance jusqu’au sol.
À 21 h 55, heure de Paris, « Touchdown confirmed » (atterrissage confirmé ») a retenti dans la salle de contrôle de la NASA. Quelques minutes plus tard, Perseverance envoyait sa première image en noir et blanc. Emmanuel Macron, qui avait suivi l’événement du Centre national d’études spatiales, félicitait les scientifiques et les ingénieurs français qui avaient mis au point le spectromètre imageur SuperCam.
L’espace fascine. Attribut de puissance, nécessité stratégique, source de profit, il mobilise des milliards. ExoMars, européenne et russe, Huoxing-1 (ou HX-1), la Chinoise, Hope, lancée par les Émirats arabes unis à bord d’une fusée japonaise, les projets se multiplient. Discrètement, 200 000 Chinois œuvrent dans le domaine spatial. Ils ont déjà réussi l’atterrissage d’un engin sur la face cachée de la Lune lors de la mission Chang’e-4, en janvier 2019 et le premier rendez-vous entièrement automatisé entre deux vaisseaux en orbite lunaire, à l’occasion de Chang’e-5. ISpace, travaille au lancement d’Hyperbola-2, une fusée réutilisable comparable au Falcon-9 de SpaceX. Entre 2023 et 2027, les Chinois veulent se concentrer sur le pôle Sud de la Lune, qui recèle de l’eau sous forme de glace dans certains cratères toujours à l’ombre et un ensoleillement permanent. Deux bonnes raisons pour y construire une base lunaire et envisager plus loin encore !
Pour le centième anniversaire de la naissance du Parti communiste chinois, la Chine veut, elle aussi, poser son premier rover sur Mars. Source de profit, parce que l’Internet par satellites, suscite les vocations. SpaceX, avec Starlink, a pris de l’avance sur d’autres constellations de satellites. L’Europe est en retard dans le domaine de l’Internet à haut débit par satellite, l’espace 2.0. C’est pourtant un enjeu de souveraineté.
Enfin, pour conclure dans le domaine spatial, le télescope James-Webb vient de nous faire parvenir une image très intéressante de la galaxie de la Roue de chariot, à 500 millions d’années-lumière de nous. Elle avait déjà été observée par le télescope spatial Hubble, mais avec moins de précision. La NASA a publié cette image le 2 août dernier. Pour mémoire, le télescope James-Webb, qui a coûté 10 milliards de dollars, a été lancé de Kourou, en Guyane française. Il est positionné à 1,5 million de kilomètres de la Terre.
Il n’y a pas de doute, dans ce domaine, le XXIe siècle réservera des surprises.
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