Pendant que de nombreux civils sont toujours bloqués dans le complexe sidérurgique d’Azovstal à Marioupol, assiégé par les forces russes et que la situation sanitaire et humanitaire devient catastrophique ; pendant que la Russie renforce ses troupes à la frontière avec l’Ukraine ; pendant qu’en Antarctique, la banquise connaît une fonte inédite et préoccupante ; Léa Salamé et Gilles Bouleau se préparent à conduire le dernier débat de la campagne électorale dans une curieuse ambiance. Les Français en ont assez de cette campagne peu convaincante. Ils en ont assez des émissions de télé qui mélangent les genres, comme « Face à Baba » qui, avec Zemmour, un bon client, faisaient surtout de l’audience et donc de l’argent. ; Assez des émissions à l’américaine qui dénaturent la politique, dénaturent l’élection présidentielle. Le débat, attendu comme un PSG – OM, sur le terrain et dans les tribunes, a des allures de jeux du cirque. Les Français attendent des « petites phrases », de la castagne, du KO, comme en 2017. Ce n’est pas très sérieux.
La dernière enquête réalisée par Ipsos-Sopra Steria, en partenariat avec le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès pour « Le Monde », révèle un avantage pour le chef de l’État sur Marine Le Pen, chiffré à 56 % contre 44 % des intentions de vote. Ce panel est considéré comme le plus fiable en raison de son amplitude, puisque l’échantillon utilisé est de 12 706 personnes. Les intentions de vote sont calculées à partir des sondés « certains d’aller voter ayant exprimé une intention de vote », soit 7 563 personnes. La marge d’erreur est en principe, faible.
Dans mon dernier article, j’ai raconté, en quelques mots, les circonstances dans lesquelles s’était déroulée la première élection présidentielle au suffrage universelle voulue par le général de Gaulle et une majorité de Français, les 5 et 19 décembre 1965, trois ans après le référendum du 28 octobre 1962. Le général de Gaulle, qui n’avait aucune raison de douter de sa réélection, annonça sa candidature tardivement, le 4 novembre 1965, à la télévision, à 20 heures. Sûr de son succès, le Général n’avait aucunement l’intention de débattre avec Monsieur Jean-Louis Tixier-Vignancour ou Monsieur Marcel Barbu. Les Français le connaissaient. À quoi bon utiliser son temps de parole de campagne à la télévision. Les sondages faisant pourtant état d’une surprenante baisse des intentions de vote en sa faveur, le Général revint sur sa décision et accepta de participer à la campagne officielle à la télévision dont François Mitterrand, candidat de l’Union de la gauche, et le centriste Jean Lecanuet avaient compris l’importance. En ballottage au premier tour, à la surprise générale, le général de Gaulle l’emporta au second tour avec seulement 55,2 % des suffrages exprimés face à François Mitterrand.
Quelques heures avant le débat, Emmanuel Macron est donc le favori, mais le président sortant pourrait bien être réélu « par défaut », et gagner parce que les électeurs se mobilisent contre Mme Le Pen, sans adhérer pour autant à son projet.
Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, qui fait rarement dans la dentelle, écrit que « contre Le Pen, il faut voter dans la douleur pour conjurer l’effroi ; parce que l’extrême droite n’a jamais été si près du pouvoir. Parce qu’elle est la pire ennemie de l’égalité, des droits et des libertés, voter contre sa candidate est la seule option antifasciste dans le cadre électoral. Mais ce sera dans la douleur, l’autre bulletin étant au nom du premier responsable de cette catastrophe, Emmanuel Macron. »
La frustration des électeurs s’observe dans les sondages. Comme en 2017, 43 % des sondés souhaitent la victoire de M. Macron, 33 % celle de Marine Le Pen (+ 5 points en cinq ans), mais 24 % ne souhaitent la victoire d’aucun des deux. Un rejet des deux prétendants que l’on trouve à hauteur de 52 % chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 33 % chez ceux de M. Jadot et 35 % chez ceux de la candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse.
Dans ce contexte, l’abstention pourrait être importante. Les personnes se déclarant « certaines » et « presque certaines » d’aller voter s’élèvent à 79 %, soit 5 points de moins qu’en 2017. Les moins nombreux à se déclarer « certains d’aller voter » sont les moins de 35 ans, les ouvriers et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon.
Les conclusions de cette consultation commencent d’ailleurs à être tirées. Valeurs actuelles publient une enquête de l’IFOP pour la fondation Reboot, qui indique que 14 % de la population estime que l’élection présidentielle 2 022 pourrait être truquée. Tiens, il me semble que j’ai déjà entendu ça ! C’est, semble-t-il, ce que pensent des électeurs de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, qui s’informent beaucoup sur internet. Internet a pris une place importante dans les sources d’information. 31 % des Français déclarent qu’ils utilisent surtout Internet pour s’informer. C’est trois fois plus qu’en 2009. Toujours selon l’IFOP, 42 % de la population française a pour habitude de transférer du contenu politique sans en avoir vérifié la fiabilité. Et 30 % réagissent à ces contenus sans les avoir lus dans leur intégralité.
Internet est davantage utilisé par les moins de 34 ans, quand les plus de 65 ans demeurent attachés à l’information provenant de la télévision. Cette dernière reste le moyen le plus utilisé pour s’informer (42 %). Notamment grâce aux grands JT, qui sont toujours considérés comme des références de l’information politique, souligne l’étude.
Jean-Luc Mélenchon, sur BFM-TV, mardi soir, a demandé aux Français de l’élire « Premier ministre » en votant pour une « majorité d’Insoumis » et de « membres de l’Union populaire » aux élections législatives de juin prochain. Je rêve !
Dans une tribune publiée par Le Figaro, trois des quatre vice-présidents de Reconquête font appel aux partis de la droite pour former une grande coalition en vue de remporter les élections législatives. « Il faudra être en mesure de construire une majorité présidentielle autour de Marine Le Pen ou d’imposer une cohabitation à Emmanuel Macron afin d’éviter qu’il ne dispose des pleins pouvoirs législatifs pour les cinq années à venir. Il serait illusoire de penser que cette majorité puisse être atteinte sans alliances. Aucun parti ne peut espérer l’obtenir seul et les autres l’ont bien compris ».
Le Général, dans ses Mémoires, ironisait sur « l’antique propension française à se disperser en tendances verbeuses et à s’amuser des jeux politiques comme on le fait des luttes du cirque ou des concours au mât de cocagne, enfin l’aversion des intérêts organisés à l’égard d’un pouvoir fort, les partis restaureraient leur primauté et remettraient en marche le déclin. Il va de soi que je suis résolu à faire échouer leur tentative. Mais cela implique que, contre eux tous, les Français me donnent raison. »
Les Français lui ont donné raison en 1962. Mais, cinquante-huit ans après, le débat fait toujours rage sur certains sujets très importants. C’est le cas de l’utilisation du référendum pour modifier la Constitution et de la supériorité, ou non, du droit national sur le droit communautaire.
Les soixante-dix pages des Mémoires du général de Gaulle, consacrées à expliquer sa doctrine selon laquelle « le peuple français doit trancher lui-même dans ce qui est essentiel à son destin », n’ont pas purgé le sujet. Henri Guaino ne fait pas dans la nuance quand il dit que : « Proclamer que l’utilisation de l’article 11 de la Constitution par le président de la République qui lui permet de saisir directement le peuple par référendum sans passer préalablement par le Parlement serait un coup d’État constitutionnel est proprement hallucinant. C’est le retour de la horde des politiciens, des éditorialistes, des charlatans du droit constitutionnel qui en 1962, aveuglés par leur haine de De Gaulle et de la Ve République, hurlaient à la forfaiture quand ce dernier décida d’utiliser cette procédure pour soumettre au peuple français la réforme instaurant l’élection du président de la République au suffrage universel. La question de l’interprétation de la Constitution sur ce point, telle qu’elle est rédigée, a été définitivement tranchée par le peuple il y a soixante ans. Le véritable coup d’État constitutionnel et la forfaiture seraient de le contester. La fin ne justifie pas tous les moyens, et que des politiciens qui se sont toute leur vie, réclamés du gaullisme usent de cet argument dans le débat électoral les déshonore, même si la cause qu’ils prétendent défendre dans cet entre-deux tours a toute sa légitimité. Je termine par une remarque qui mériterait un plus long développement : la rédaction de l’article 11 telle qu’elle résulte de l’œuvre des constituants de 1958 et des réformes de 1995 et 2008 ne prévoit explicitement le contrôle du Conseil constitutionnel sur le texte soumis à référendum que pour le référendum d’initiative partagée et en aucun cas sur un référendum d’initiative présidentielle. Le Conseil constitutionnel, qui n’est pas chargé de réécrire la Constitution à sa guise, n’a donc rien à dire sur le fond d’un texte que le président de la République déciderait de soumettre au peuple, même si le Conseil s’est arrogé le droit de vérifier la régularité du décret qui organise la consultation électorale. En élargissant son contrôle en contradiction avec la lettre de la Constitution, il violerait ouvertement cette dernière, ouvrant la voie au chaos institutionnel et à un gouvernement des juges qui progresse déjà de façon inquiétante. Mais c’est un autre débat. Ce débat sur l’article 11 qui a l’air technique et rébarbatif est en réalité profondément politique, et la manière dont il est ouvert et manipulé par certains conduit à une dangereuse remise en cause de l’équilibre des pouvoirs dans notre République. C’est la raison pour laquelle il ne doit surtout pas être asservi à des considérations politiciennes et électoralistes. »
Henri Guaino, toujours lui, affirme que « La primauté du droit européen est une impasse démocratique ». L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy rappelle que, dans un arrêt du 30 juin 2009, la Cour constitutionnelle fédérale allemande prévenait que « la République fédérale d’Allemagne ne reconnaît pas une primauté absolue d’application du droit de l’Union » et que La Cour de Karlsruhe rappelle souvent que c’est le peuple allemand qui détient in fine ce qu’elle appelle « la compétence de la compétence », qui est une définition de la souveraineté. » Il évoque également, dans l’entretien qu’il a accordé à Alexandre Devecchio, pour Le Figaro, la décision de la Cour suprême espagnole, qui, l’année dernière, a maintenu en prison l’indépendantiste catalan Oriol Junquéras en passant outre l’arrêt de la Cour européenne, qui avait confirmé son immunité de député européen. Pour lui, il en est de même, de la réforme polonaise, qui affirme le principe de la primauté de la Constitution sur les traités européens. Selon Henri Guaino, la Cour constitutionnelle polonaise n’a fait que rappeler un principe général selon lequel aucune norme juridique, fut-elle européenne, n’est applicable dans un pays si elle est contraire à sa constitution. En France, ce principe a été consacré par le Conseil constitutionnel et étendu au respect des règles et des principes « inhérents à l’identité constitutionnelle de la France ». Les constitutions prévalent sur les traités européens, même si la Cour de justice et la Commission européenne pensent le contraire. La loi, en revanche, est subordonnée aux traités. »
Ces questions minent la démocratie française depuis 1958 et 1962. Trop juridiques, elles ne seront pas abordées ce soir. Elles sont pourtant un préalable « essentiel » à de nombreux éléments de programme qui seront débattus, puisque les deux candidats veulent remettre le référendum à la mode…..malgré les dangers qu’il comporte !
Il faudra remettre de l’ordre dans nos institutions si nous voulons continuer à vivre en démocratie et en paix, dans notre pays.
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