Elaborer un » projet stratégique pour la France « à l’horizon d’une décennie n’est pas seulement une bonne idée, qui ne mérite pas d’être raillée, mais un devoir, « une ardente obligation » aurait dit le général de Gaulle, pour que la France ait une chance de retrouver sa place et son rang. En d’autres temps, cet exercice avait un nom : la planification. Pour ne pas être à la merci des marchés, mais se donner une chance de changer, de transformer et d’améliorer l’état de choses existant, et non de se contenter de le gérer, il faut une analyse approfondie et lucide de la situation dans laquelle se trouve le pays et, sur la base de travaux d’experts, fixer des perspectives de moyen terme, des objectifs réalistes. Comme avait coutume de le dire Pierre Massé, l’un des premiers commissaires au Plan du général de Gaulle, cet exercice, le Plan, doit être un « réducteur d’incertitudes ».
Seulement voilà, depuis 1976, trois ans après le premier choc pétrolier et le ralentissement de la croissance, il est apparu de plus en plus difficile de planifier. L’environnement international, l’adaptation de l’industrie à la concurrence mondiale et la fragilité des entreprises françaises rendaient les scénarios de plus en plus aléatoires. En 1978, l’excellent Michel Albert, nouveau commissaire au Plan, expliqua que la crise économique « n’est pas une césure conjoncturelle » mais « une rupture structurelle ». Il estimait de son devoir de dire que c’est la mission du Plan que de rappeler que tout n’est pas possible en même temps. Pour ne pas reproduire les erreurs du Plan précédent, il fut décidé de supprimer les objectifs chiffrés.
A la suite des lois de décentralisation, la loi du 29 juillet 1982, portant réforme de la planification, mit en place un dispositif institutionnel complexe qui combinait une commission nationale de planification, et des programmes prioritaires d’exécution (PPE) héritiers des PAP, des contrats de Plan signés entre l’État et les Régions.
Dans le 10e plan, les trois fonctions de la planification étaient bien présentes. Eclairer l’avenir avec, pour le long terme, le rapport « Entrer dans le XXIe siècle » du groupe de prospective Horizon 2000 et, pour le moyen terme, un groupe « Perspectives économiques » qui associait des experts publics et privés, ainsi que ceux de la CEE et de l’OCDE, preuve que la concertation prenait maintenant en compte la dimension européenne.
Par la suite, autant dire les choses comme elles sont : La planification française n’était plus ce qu’elle avait été ; elle était en crise. De là à penser que nos difficultés actuelles et la gestion de la France, au fil de l’eau, date de cette époque, il n’y a qu’un pas
En 1993, une mission de réflexion sur « l’avenir du plan et la place de la planification dans la société française » avait été confiée à Jean de Gaulle, député de Paris, auteur d’un rapport intitulé « L’avenir du Plan et la place de la planification dans la société française » qui aboutit à ce que le Commissariat général au Plan, qui existait depuis 1946 soit, quelques années plus tard, en 2006, transformé en « Centre d’analyse stratégique », puis en 2013, c’est-à-dire récemment en « Commissariat général à la stratégie et à la prospective »..
On comprend mieux aujourd’hui pourquoi, dans sa dernière conférence de presse, le chef de l’Etat a beaucoup insisté sur le fait, quasiment unique au monde, que la France est « championne du monde du pessimisme ». « La société française n’a plus confiance en l’avenir parce qu’elle n’a plus confiance en elle-même » constate le commissaire, général à la stratégie et à la prospective, Jean Pisani-Ferry, chargé par le président de la République de lui remettre un Plan d’action avant la fin de l’année . Il faut donc conduire une réflexion et définir les moyens à mettre en œuvre pour que la France s’insère dans le nouveau monde avec les meilleures chances de succès et mette fin au déclin que certains, qui y ont sans doute intérêt, prédisent régulièrement.
Pour avancer dans cette voie, le président de la République a besoin de connaitre « les faiblesses, les forces et les atouts de la France ». Il considère que trois défis sont à relever. Celui de la souveraineté : Quelle place, quelle influence aura la France dans le monde, dans dix ans? Quelle sera sa réelle capacité de production et d’innovation et, dans quels secteurs d’avenir faut-il investir prioritairement ?
Pour ce faire, le gouvernement a donc organisé un séminaire qui a beaucoup fait parler de lui. Les ministres avaient été invités à rédiger une note dans laquelle ils devaient exposer leur vision de la France dans dix ans dans le domaine dont ils ont la responsabilité. Il est regrettable que le chef de l’Etat n’ait pas précisé que le devoir serait noté !
La ministre du Logement a remis une curieuse copie dans laquelle, après avoir dressé un constat connu depuis plus de soixante ans, elle exprime sa certitude que les réformes qu’elle a engagées, résoudront la crise du Logement en France en 2025. Nombre de ses prédécesseurs, comme je l’ai montré dans mon livre « La politique du logement en France », qui est en accès libre sur ce site, ont, avant elle, exprimé la même conviction. On sait ce qu’il en advint !
Ce plaidoyer pro domo, toujours risqué, ne répond pas à la question posée. Le volontarisme et l’optimisme ne suffisent pas à faire une politique. Penser que les mesures en chantier – La loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social ; le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) qui ne sera examiné qu’à l’automne à l’Assemblée nationale ; les ordonnances qui sont destinées à accélérer les procédures de construction, ainsi que les modifications apportées à la fiscalité immobilière – suffiront pour que la promesse du chef de l’Etat de construire 500.000 logements par an, soit respectée, relève de l’utopie, du rêve, pour ne pas dire de l’autosuggestion .
Penser sérieusement que, nonobstant l’évolution de la conjoncture internationale et les contraintes économiques de toutes sortes, notamment la hausse des taux d’intérêt, qu’avec ces mesures, « 6 millions de logements auront été construits en 2025 », c’est se moquer du monde. Je sais bien, comme le rappelle Edgar Morin , dans un récent billet pour Médiapart, que le candidat François Hollande, pendant sa campagne, avait dit: « Nous réussirons parce que nous commencerons par évoquer le rêve » , mais c’est à la réalité que le gouvernement est confronté depuis plus d’un an et il n’a pas l’éternité devant lui.
Penser sincèrement que les difficultés pour se loger, une des plus fortes préoccupations des Français, seront résolues en 2025, que la part du logement dans le budget des ménages aura significativement baissé et que « l’accès au logement pour chacun ne sera plus un facteur de stress et d’incertitude, mais une étape plaisante de la vie » peut aujourd’hui être ressenti par certains – les plus faibles – comme une provocation. Penser enfin, que les « 2 millions de logements vacants en 2013″ seront remis progressivement sur le marché » et que, grâce à cette augmentation de l’offre de logements, chacun pourra, en 2025, disposer « d’un toit et d’un environnement de qualité », n’est plus « l’ardente obligation » du général de Gaulle, mais demander aux Français de croire au Père Noël !
En attendant « ces lendemains qui chantent », tous les clignotants sont au rouge. Certes, le gouvernement ne dispose pas des moyens financiers considérables que Jean-Louis Borloo a eus en son temps. Moyens financiers qui, d’ailleurs, expliquent en partie l’endettement inconsidéré de la France. Attendons les ordonnances annoncées et le débat parlementaire pour y voir plus clair, mais pendant ce temps, les plus faibles souffrent.
Pour avoir participé, jadis, directement et indirectement, aux travaux préparatoires de la commission du Plan consacrée au logement, je sais en quoi consiste le travail d’expert. Ce n’est pas un moment de rêve ou d’utopie. Si, d’aventure le » projet stratégique pour la France « à l’horizon d’une décennie, ne devait servir qu’à démontrer que la politique engagée n’a pas encore produit ses effets, mais que dans dix ans, on verra ce qu’on verra ! Alors ce projet, très intéressant dans son principe, n’aurait aucune utilité.
Allons, courage, comme Paul Valéry dans son poème « Le Cimetière marin », crions « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ».
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