La Plage Bonaparte a une histoire. C’est une longue et belle plage de sable fin au pied des hautes falaises de Plouha. Elle est accessible par un tunnel à l’intérieur duquel deux plaques commémoratives ont été apposées. En 1940, un Canadien, Lucien Dumais fut recruté par l’Intelligence Service M.I.9 (service secret britannique) pour organiser et diriger un réseau – le « réseau Shelburn » – chargé de l’évacuation des aviateurs alliés en France. Ce réseau de « logeurs » et de « convoyeurs » fut mis en place à Paris et à Saint-Brieuc. La traversée de la Manche devait se faire par une unité spéciale de la Royal Navy composée de navires très maniables, puissants et silencieux.
Provenant d’un peu partout en France, les aviateurs alliés étaient pris en charge par les membres du réseau Shelburn et regroupés secrètement à Paris. Après quelques jours d’hébergement à Paris, les aviateurs étaient acheminés à Saint-Brieuc, munis de faux papiers avec des noms bretons et hébergés provisoirement chez des résistants locaux. Lorsqu’une nuit sans lune s’annonçait et qu’un voyage était confirmé par radio (avec le message « Bonjour à tous dans la Maison d’Alphonse« ), les membres du réseau Shelburn préparaient l’opération d’évasion en réunissant l’ensemble des aviateurs dans la maison de Mr J. Gicquel dite « la Maison d’Alphonse« , située à deux kilomètres de l’Anse Cochat, plage choisie pour les opérations d’évacuation.
Cette plage fut appelée « Plage Bonaparte » par les résistants. La première exfiltration par la Plage Bonaparte, classée aujourd’hui »Haut lieu de la résistance française », se fit le 28 Janvier 1944 avec 18 aviateurs regagnant l’Angleterre. Conduits de nuit par les résistants Plouhatins qui connaissaient bien les falaises, les aviateurs étaient amenés sur la plage à marée basse en passant au travers de la lande et d’un champ de mines, puis marchaient dans l’eau jusqu’à la taille et attendaient des barques qui les transportaient à trois kilomètres du rivage où une vedette de la Royal Navy les attendait. Les Allemands, dans leur unique blockhaus en haut des falaises de l’Anse Cochat, ne se rendirent compte de rien. L’opération a pu être menée à bien à huit reprises, permettant le départ de 142 américains, canadiens et agents secrets.
Le 23 juin 1946, fut apposée, en présence de la population plouhatine, la première plaque commémorative de cette histoire de résistance. Cette première plaque qui fut suivie d’autres monuments commémoratifs, fut déplacée au début de l’année 1990, pour être associée à la stèle en granite rose édifiée au-dessus de la plage Bonaparte, à la gloire de tous les réseaux français d’évasion. La plage Cochat est ainsi devenue la « Plage Bonaparte », en mémoire de cette extraordinaire opération d’évasion réussie. La stèle commémorative, a été posée en haut des falaises, qui culminent à plus de cent mètres, à côté de l’unique poste d’observation allemand. Le temps clair nous a permis d’apercevoir au loin, c’est-à-dire à près de 80 kilomètres, Erquy et le Cap Fréhel.
En regardant la côte, certes difficile d’accès, la ligne de crête, la configuration des falaises, nous nous sommes interrogés sur les raisons qui avaient conduits l’organisation Todt à négliger cette portion de côte et, plus généralement, sur l’efficacité réelle du Mur de l’Atlantique. Dans une excellente étude sur « Le Mur de l’Atlantique dans le Trégor-Goëlo » (http://passion.histoire.pagesperso-orange.fr/mur.htm), Michel Guillou rappelle que le maréchal Rommel effectua « cinq inspections sur le rivage des Côtes du Nord de novembre 43 à avril 44, et que lors de son deuxième passage il pensait que cette côte ne pouvait faire l’objet de débarquements importants mais pouvait être utilisée pour de petites opérations ». Il ajoute qu’en effet « les services secrets anglais préféraient utiliser la Bretagne pour la dépose et la récupération des agents par vedettes rapides », comme on vient de le voir.
En fait, dans le Trégor-Goëlo, le mur de l’Atlantique fut très théorique. Michel Guillou précise que dispositif pour le secteur Plouha-Ploubazlanec, se limitait à « 54 ouvrages dont 15 en construction pour une longueur de côte de 43 km, 38 pièces pouvaient recevoir un canon, un canon antiaérien, un canon antichar ou une mitrailleuse; sur les 54 ouvrages 53 étaient destinés à l’Armée de Terre. Le dispositif d’obstacles sur les plages avait une longueur de 13 km de protection, soit 30% seulement de la côte à protéger ». Dans sa conclusion, ce chercheur écrit très justement que « Le mur de l’Atlantique, pour important qu’il fût, aura incontestablement gêné les troupes chargées de l’assaut mais n’aurait certainement pas, de part sa conception même, empêché la reconquête de l’Europe par les alliés. Par manque de temps les allemands avaient conçu le mur en fonction de la nature des côtes et de l’arrière pays ainsi qu’en estimant les endroits probables d’attaque, les alliés ne manquèrent pas d’exploiter ces faiblesses.
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