Roman populaire, roman populiste, roman policier.


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Populaire, populiste, policier, le roman a, de tout temps, et souvent à tort, était classé dans une catégorie à part de la littérature ; une « littérature de masse », « de gare ». Cette connotation remonte au temps où les écrivains écrivaient pour vivre, feuilletonnaient pour gagner leur vie ». Payés à la page, les auteurs allongeaient les descriptions, négligeaient parfois un peu le style. Accolé à la qualité de romancier, le terme « populaire » est, semble-t-il, apparu pour la première fois dans les commentaires sur « Les Mystères de Paris » d’Eugène Sue (1843). N’est pas Dostoïevski, Alexandre Dumas, Balzac ou Victor Hugo, qui veut ! Ces derniers n’ont pourtant pas caché qu’ils s’étaient parfois inspirés des récits d’Eugène Sue, Paul Féval, Emile Gaboriau, Ponson du Terrail, tombés dans l’oubli. Dostoïevski reconnaissait qu’il collectionnait les écrits d’Émile Sue et s’en était inspiré pour écrire « Crime et châtiment ». Dans l’ensemble, les critiques étaient sévères. Pour avoir grâce à leurs yeux, il était préférable d’écrire pour l’élite que pour le peuple. Le nombre d’ouvrage vendu n’était pourtant pas le même !

Le site de l’association des amis du roman populaire

Populiste est un beau mot. Sous ce titre, j’avais consacré, en 2016, un article à Hugo Boris qui venait de recevoir le « Prix Eugène Dabit du roman populiste » pour son livre POLICE. Dans cet article, je rappelais que le sens du mot « populisme » avait changé au cours des époques. Il désigne, le plus souvent, l’instrumentalisation de l’opinion du peuple par des personnalités politiques qui prétendent exprimer l’opinion du peuple. C’est devenu une des formes de la démagogie. Est aujourd’hui populiste, le parti qui s’oppose aux élites, au « système ».

Rendant compte de la remise du Prix, pour le journal La Croix du 22 décembre 2016, la journaliste Valentine Goby avait admirablement rendu toute sa noblesse au mot populiste, en ces termes :

Ce soir-là, 16 décembre, à l’hôtel du Nord à Paris, on remet le prix Eugène-Dabit du livre populiste. L’hôtel du film, pourrait-on écrire, tant Marcel Carné, la gueule « d’atmosphère » d’Arletty et sa gouaille y sont à jamais attachés. Mais le film était d’abord un livre, l’auteur s’appelait Eugène Dabit. C’est un nom intriguant que celui de ce prix, qui habille d’une référence au colossal capital de sympathie un adjectif suscitant la méfiance, voire le mépris. Populisme, n’est-ce pas un synonyme de démagogie ?

C’est justement pourquoi on lui a récemment ajouté le patronyme du premier lauréat en 1931 – Jules Romains, Jean-Paul Sartre, Emmanuel Roblès ou Leïla Sebbar, entre autres, lui ont succédé. Des mots quittent la langue familière, de nouveaux apparaissent, certains changent de sens au gré de l’usage et de leur collusion à l’histoire ; « populisme » est victime de l’opportunisme des fous de pouvoir, ils lui ont ôté sa beauté. En Russie dans les années 1870, il incarnait la foi en la transmission entre gens dits « éduqués » et paysans modestes ; on est aujourd’hui légitimement tenté de railler pareil paternalisme, mais c’est bien cet esprit humaniste qui fonde les centaines d’universités populaires à travers le territoire. En France, le roman populiste a son manifeste depuis 1929, né d’une « réaction contre une littérature bourgeoise prenant pour cadre unique les sphères les plus fortunées ». Diable ! Marqué par les grands combats politiques et sociaux de l’entre-deux-guerres, le manifeste voyait dans l’art une déclinaison de la lutte des classes, et souhaitait que la littérature puisse faire, en quelque sorte, réparation. À présent, il s’agit surtout de distinguer un texte qui, en plus de ses qualités littéraires, préfère mettre en valeur des personnages et des milieux populaires, et dont « il se dégage une authentique humanité ». Moins un prix pour Balzac et Proust, donc, que pour Zola, c’est sûr…

Je participe à ce jury depuis cinq ans. C’est Michel Quint qui me l’a proposé, comme Jean Vautrin lui en avait ouvert la porte, une filiation dans l’amour des mots et l’attrait pour les sans-grade. Je me tiens habituellement à distance de ces instances où se côtoient, d’une certaine façon, juges et parties. Ce qui m’a émue et décidée, c’est la mise en valeur d’une écriture qui fait la lumière où on ne l’attend pas, donne voix aux invisibles, aux lésés, à ces vies courageuses, persistantes comme on le dit des arbres qui résistent à l’hiver, sans pour autant, c’est un point essentiel, soumettre la langue à une doctrine qui en confisquerait la puissance – défaut récurrent d’une certaine littérature engagée. Il y a de cette générosité exigeante chez Violaine Schwartz (Le Vent dans la bouche), Thierry Beinstingel (Ils désertent), et dans le livre d’Hugo Boris, POLICE, primé cette année.

J’aime le naturalisme de ce roman, la peinture du quotidien des gardiens de la paix que l’auteur a documenté avec la précision d’un Zola, sur le terrain, dans la rue et le commissariat, incarnant formidablement ses personnages et restituant, page à page, avec délicatesse et lucidité, la langue et les gestes d’un métier. Il rend compte d’un paysage social déchiré – les policiers se disent « éboueurs de la société » qui a échoué à protéger les plus faibles (femmes et enfants battus, quartiers laissés pour compte…) –, tente de nommer sans les juger la détresse et la violence qui les traverse. J’en aime aussi les reflets hugoliens, le nom de l’un qui est prénom de l’autre, ils semblent se chuchoter des obsessions jumelles, elles se déploient dans la tempête sous un crâne qui constitue l’intrigue même du roman d’Hugo Boris où résonne une scène éblouissante des Misérables : chez Victor Hugo l’intérieur d’une voiture à cheval, chez Hugo Boris l’habitacle d’un véhicule de police ; là Javert, inspecteur, ici un trio de policiers en mission ; là un homme promis au bagne à vie que Javert a poursuivi sa vie durant, ici un clandestin reconduit à l’aéroport – sans doute à la mort. À cet instant et pour la première fois, Javert est le granit qui doute, écrit Victor Hugo ; et dans la voiture de police surgit à son tour la question de la désobéissance, le dilemme entre loi et conscience. La littérature m’émerveille, qui revisite des motifs anciens et en révèle la modernité.

Populiste était un beau mot. POLICE est un beau roman, qui contribue à rendre au prix qui le couronne son sens le plus noble. Sur les bords du canal Saint-Martin, Joseph Da Costa lève son verre, Wolinski nous observe peut-être depuis le firmament ou le fond d’une chope, lui qui fut une figure de ce prix. On tente, ce soir, de suturer les bords du temps.

Avec Thierry Chevrier, à Deauville, le 8 juillet 2016

Populaire aussi est un beau mot. J’ai raconté, en août 2016, les circonstances dans lesquelles j’avais fait la connaissance de Thierry Chevrier, professeur de français dans l’Oise. Il avait laissé un commentaire sur ce blog pour me dire qu’il travaillait à un ouvrage consacré à Louis Boussenard et que, dans le cadre de ses recherches, il souhaiterait en savoir plus sur le « Journal des Voyages » d’après 1946 dont je parlais dans la préface de « La vie à Dinan sous l’Occupation ». Nous avions échangé des mails et, le 8 juillet 2016, Thierry, comme « Brise-tout », le héros de Boussenard, avait enfourché sa moto et fait 600 km dans la journée pour se rendre à Deauville, découvrir – et emporter – la précieuse collection que je lui avais prêtée.

Thierry Chevrier est un des meilleurs connaisseurs de l’œuvre de Louis Boussenard. Il a déjà écrit une biographie de cet écrivain (Louis Boussenard : « Le Globe-Trotter de la Beauce », in Cahiers pour la Littérature populaire, Hors-série n° 3 (1997), 171 pages-épuisé) et poursuit ses recherches sur cette œuvre à laquelle il intéresse ses élèves. Il a, entre 1998 et 2003, dirigé l’Association des Amis du Roman Populaire, dont il est membre, et écrit plusieurs articles dans Rocambole, le bulletin des amis du roman populaire, (http://www.fictionbis.com/rocambole/pages/index.php) qui ont contribué à faire revivre l’œuvre de Louis Boussenard dont le nom est souvent associé à celui de Jules Verne.

Louis Boussenard, l’auteur du Le Tour du monde d’un gamin de Paris (1880), du Capitaine Casse-Cou (1901), du Zouave de Malakoff, est un des plus grands écrivains populaires français.

Au cours de notre entretien, Thierry Chevrier m’avait demandé si je connaissais Émile Gaboriau. Le nom me disait quelque chose, mais je n’avais pas le souvenir d’avoir lu un livre de cet écrivain. Thierry, en 2013, avait dirigé, pour Rocambole, une « enquête sur Gaboriau », écrit l’introduction et signé le premier article intitulé : « Gaboriau judiciaire… Simple facette d’une œuvre multiforme ». Il me fit découvrir la vie et l’œuvre de cet écrivain surnommé « le père du roman policier ».

Aussi, quand, récemment, un de mes voisins, à Deauville, m’a demandé si je connaissais Émile Gaboriau, je lui ai raconté la visite de Thierry Chevrier, en 2016. Il m’a alors proposé de me prêter le livre que Roger Bonniot, (Émile Gaboriau ou la naissance du roman policier, Paris, Vrin, 1985) a consacré à Émile Gaboriau. C’est le livre de référence sur l’œuvre de Gaboriau. Roger Bonniot, historien, écrivain, ancien professeur d’histoire-géographie, connu pour son « Gustave Courbet en Saintonge », publié en 1973, couronné par l’Académie française, était membre de la Société des gens de lettres, du Syndicat de la presse artistique française et membre de l’Académie de Saintonge.

C’est un livre passionnant. Le chapitre consacré à la guerre et la Commune, au moment où l’on célèbre les 150 ans de la Commune de Paris, est un témoignage particulièrement intéressant.

Emile Gaboriau, né le 9 novembre 1832 à Saujon, près de Royan, est mort, jeune, à 40 ans le 28 septembre 1873 à Paris, Il ne fut pas un excellent élève, mais il dévorait les romans d’aventures. Successivement clerc d’avoué, comme Honoré de Balzac, dont il avait lu toute l’œuvre, hussard en Afrique, il avait fait une multitude de petits boulots avant de « monter » à Paris pour y entamer des études de droit, de médecine. Il rêvait surtout d’écrire des chroniques, des nouvelles. C’est ainsi qu’il devint le secrétaire de Paul Féval, qui lui fit découvrir le journalisme. Son premier roman, « L’Affaire Lerouge », d’abord publié sous forme de feuilleton, en 1863, eut un grand succès populaire en 1866. L’auteur avait inventé le Père Tabaret, dit Tirauclair, et l’agent de la sécurité Lecoq, inspiré du chef de la sûreté Vidocq qui précéda le Vautrin de Balzac. Lecoq deviendra un policier célèbre dans les romans suivants. Il personnalise le détective malin, astucieux, capable de résoudre des énigmes grâce à son art de la déduction. Il est admis qu’il inspira Conan Doyle et Maurice Leblanc, mais son originalité réside également dans les descriptions magistrales de l’environnement social de l’époque.

Émile Gaboriau ne se résume pas à L’affaire Lerouge, au Crime d’Orcival, à Monsieur Lecoq, au Dossier 113 ou au Petit vieux des Batignolles. En peu de temps, il nous a laissé une description sociale extrêmement riche, de son époque.

Le numéro de Rocambole, consacré à Émile Gaboriau, complète l’excellent livre que Roger Bonniot. Thierry Chevrier, dans son introduction, souligne que « le dernier article de Pierre-Louis Coradin éclaire ce que Gaboriau rêvait d’être (et a été, même si la postérité ne l’a pas retenu) : un peintre social, capable de donner une idée fine et nuancée de son époque et de ses travers, rien moins qu’un « autre Balzac ». Ce texte resitue Gaboriau dans son siècle au milieu des événements qu’il connut, sur le plan technique que culturel, et étudie les éléments critiques contenus dans quatre de ses romans à tendance plus engagée…

Ce dossier sur Gaboriau est très complet avec des références aux adaptations de l’œuvre de Gaboriau au théâtre, au cinéma, à la radio, à la télévision et même en bandes dessinées.

Ce numéro spécial du Rocambole contribue à rendre à Émile Gaboriau la place qui lui revient dans la littérature populaire aux côtés de Balzac, Flaubert, Hugo ou Dumas.

Voilà qui change un peu de la pandémie, de la vaccination !


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