Quand l’instabilité gouvernementale provoque l’impuissance du régime


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 » En face de la stabilité de l’Amérique, de l’U.R.S.S., de l’Angleterre, de l’Allemagne « , quel spectacle offre la France ? Vingt-cinq gouvernements se sont succédé (…) Je dis à l’opinion publique de mon pays, qui, j’en suis convaincu, partage mon sentiment, que cet état de choses ne peut durer. À ceux qui douteraient de l’urgence d’une nécessité d’une réforme de la Constitution, à ceux qui se complaisent dans cette incertitude permanente et dans ce désordre, il faut répondre avec vigueur que la défense du régime parlementaire ne consiste pas à couvrir ses erreurs, à défendre ses vices, mais à les corriger. J’affirme ici avec une conviction profonde, avec toute l’ardeur de mon patriotisme, que l’instabilité gouvernementale provoque l’impuissance du régime et met en danger les intérêts permanents de notre pays (…) Du fait même de notre mode d’élection, aucune majorité cohérente ne pouvait se dégager pour assumer la responsabilité du pouvoir. Je ne crois pas avoir le droit, en la qualité qui est la mienne aujourd’hui, d’exprimer mes préférences personnelles quant au meilleur mode de scrutin. Au demeurant, sont-elles bien connues. Mais au moins m’est-il permis d’indiquer que certains modes de scrutin favorisent la dispersion des voix entre des partis toujours plus nombreux, et que d’autres modes de scrutin sont susceptibles de rapprocher les tendances de l’opinion et par conséquent de préparer, au lendemain de l’élection, des majorités plus solides et plus durables.

Ainsi s’était exprimé M. Félix Gaillard, président du conseil, le 13 janvier 1958, à Confolens, devant sept cents personnalités de son département. Nommé le 6 novembre 1957 à la tête d’une coalition qui comprenait des radicaux, des SFIO, des MRP, des CNIP, des RDA, des RS et des UDSR, la confiance lui fut refusée par l’Assemblée nationale le 15 avril. Le 20 avril : Georges Bidault (M.R.P.) fut alors « pressenti » comme nouveau président du Conseil. Le 23 avril, celui-ci renonça à former le nouveau gouvernement. Le 26 avril : René Pleven fut sollicité par le président de la République. Le 8 mai, il renonça à son tour, lâché par les socialistes puis par les radicaux. Le 9 mai, le président de la République demanda à M. Pierre Pflimlin de solliciter l’investiture. J’ai raconté les circonstances dans lesquelles l’investiture lui fut accordée le 14 mai 1958, à trois heures trente du matin et ce qu’il advint, les jours suivants, jusqu’à ce qu’il soit contraint à la démission le 28 mai, dix jours plus tard.

Le vendredi 23 mai 1958, à 20 heures, M. Pflimlins’adressa aux Français, à la Télévision et sur toutes les chaînes de la Radio nationale, en ces termes :

 » En ces heures d’inquiétude je sais que beaucoup d’entre vous mettent en doute la valeur de nos institutions, je sais que de gros changements sont nécessaires. Mais ces changements doivent être opérés dans l’ordre et la légalité. Il ne serait pas admissible qu’une fraction de la nation tente d’imposer sa volonté au pays tout entier. Je demande à tous les Français de comprendre, dans la métropole et en Algérie, que la nation risquerait d’être cruellement divisée si nous ne demeurions pas tous unis dans le respect des lois de la République. Le gouvernement fera son devoir en défendant l’ordre public, mais il est aussi résolu à opérer immédiatement les grandes réformes qui s’imposent. Il faut bien reconnaître en effet que nos institutions fonctionnent mal Depuis un an nous avons eu trois crises ministérielles ; chacune a duré plusieurs semaines, de sorte que pendant trois mois sur douze la France est restée sans direction. L’expérience m’a convaincu depuis longtemps que Je régime républicain ne peut survivre que s’il est capable de se réformer. C’est pourquoi j’avais annoncé dans ma déclaration ministérielle que le gouvernement ferait voter dans un délai maximum de six mois une réforme de l’État. Il est évident aujourd’hui qu’il faut aller beaucoup plus vite. C’est dans les tout prochains jours qu’il faut transformer nos institutions. Il faut délivrer la République de ses défauts et de ses faiblesses. Le gouvernement a déposé aujourd’hui un projet de réforme dont les grandes lignes ont été arrêtées hier en Conseil des ministres. Il demande au Parlement de le voter entièrement et définitivement dès la semaine prochaine. Notre objectif est simple : il s’agit de donner au gouvernement de la République l’autorité et la durée. D’abord l’autorité : les plus larges pouvoirs pourront être délégués au gouvernement par le Parlement. Mais il ne faut pas que ces pouvoirs puissent être à tout instant discutés, contestés, grignotés. Le gouvernement disposera donc d’un droit de veto pour s’opposer à toute initiative parlementaire qui viendrait contrarier l’exécution de son programme. Il faut ensuite que le gouvernement soif assuré de la durée : il n’est pas admissible que la vie d’un gouvernement soit limitée à quelques mois. On ne peut rien faire, dans aucun domaine, sans continuité. Si notre crédit à l’étranger a baissé c’est qu’on n’attache pas beaucoup d’importance à la parole d’un gouvernement qu’on sait condamné à disparaître dans un bref délai (…) Notre projet de réforme propose pour assurer la stabilité gouvernementale un remède simple et efficace. Désormais un gouvernement ne pourra plus être renversé que par une motion qui désigne et installe au pouvoir son successeur. Ainsi une crise ne pourra plus être ouverte par l’alliance contre nature d’opposants qui mélangent leurs bulletins de voie pour détruire alors qu’ils sont incapables de s’entendre pour reconstruire. Nous donnerons ainsi à un gouvernement issu d’une majorité républicaine et nationale, car nous écartons ceux qui à l’extrême gauche menacent l’unité nationale et nos libertés, la possibilité de gouverner le pays avec continuité.

Les périodes ne sont pas comparables. L’armée ne prépare pas une insurrection. La France n’est pas confrontée à des événements comme ceux qui se déroulaient alors en Algérie. Les institutions sont plus solides que sous la IVe République, mais il apparaît évident que le mode de scrutin pour les élections législatives pose un problème. Les trois blocs arrivés en tête le 7 juillet, (RN – NFP et Ensemble) se révèlent incapables d’obtenir une majorité pour gouverner, sans être immédiatement renversés. Des coalitions surréalistes envisagées présentent, pour la première fois sous la Ve République, une certaine ressemblance avec celles constituées entre les partis qui dominaient dans l’Assemblée nationale, sous la quatrième République, Parti communiste, Parti Radical-Socialiste, SFIO et MRP.

Mutatis mutandis, le degré de colère et d’incompréhension des citoyens, est comparable. Les tentatives de coalitions choquent plus qu’elles ne rassurent. L’activisme imprudent du chef de l’État, ébranle l’esprit des institutions que le général de Gaulle avait voulu pour la France. Si le cafouillage devait se prolonger, si les élus se révèlent incapables de faire preuve de responsabilité, poursuivent leurs enfantillages, le pays deviendrait ingouvernable, incapable d’apporter des solutions aux problèmes qui se posent. La France serait paralysée. Le risque, alors, serait élevé que la colère s’exprime dans la rue.

« Au moment où tout se joue, le rôle de la France en Europe et dans le monde, pour la prospérité, pour la concorde et pour la paix, rien ne serait plus triste que de voir l’esprit et les pratiques de la IVe République s’emparer des institutions de la Ve, pour les abaisser davantage et revenir aux errements du régime des partis, aux tristes combinaisons d’antan, ou aux petits arrangements pour soi-même », écrivait Bernard Cazeneuve, dans le journal L’Opinion, hier ou avant-hier. Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre est un sage ! Il est temps que les sages s’expriment.

Pour éviter l’impasse, la solution d’un gouvernement neutre politiquement, un gouvernement technique, chargé de construire des majorités texte par texte, projet par projet, notamment pour modifier le mode de scrutin, s’imposera, au moins jusqu’au 11 juillet 2025, date à laquelle il sera à nouveau possible de convoquer de nouvelles élections législatives.


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