De quelque côté que porte notre regard, il n’est question que de violence et de vengeance. Les pulsions, les passions, l’emportent, sans aucune retenue, sur la sagesse, la hauteur de vue, le désir de paix. La violence des relations publiques, comme privées, traduit le malaise, pour ne pas dire le désordre, qui caractérise le monde dans lequel nous vivons.
Au plan international d’abord ; Au Proche orient, où les tendances religieuses ne cessent de se combattre au dernier sang, mais aussi aux confins de l’Europe où le principe de l’intangibilité des frontières est chaque jour foulé aux pieds, l’esprit de revanche et de vengeance est permanent.
En 2005, le président de la Russie, Vladimir Poutine, ancien agent du KGB en RDA, avait déclaré, dans un discours à la Nation, que la chute de l’URSS en 1991 avait été « la plus grande catastrophe géopolitique » du XXe siècle. Pour le journal Le Point, qui porte la date du 7 novembre 2009, Olga Nedbaeva, rapportait ainsi les propos tenus par MM. Poutine et Medvedev : « M. Poutine déplore la division, après la guerre, de l’Allemagne, alimentée par la rivalité entre les deux superpuissances de l’époque, l’Union soviétique et les Etats-Unis. « La division du peuple (allemand) était sans perspective, il était évident dès le début qu’il ne fallait pas le faire », avait-il dit dans une interview à la télévision russe NTV diffusée à la veille du 20e anniversaire de la chute du Mur (…) « Les relations entre la Russie et l’Europe auraient pu se développer selon un scénario différent ». « Après la chute du Mur, nous espérions que la disparition du Pacte de Varsovie entraînerait un autre niveau de l’intégration de la Russie en Europe. Et qu’est-ce qu’on a eu finalement? L’Otan, une alliance militaire, dont les missiles visent la Russie », a lancé le président russe. Après la chute de l’URSS, beaucoup de gens se sont senties à ce moment victimes, privées de leur pays, c’est un fait(…) La Russie n’a cessé de dénoncer l’élargissement de l’Alliance atlantique aux pays de l’Europe de l’Est et voit d’un très mauvais œil les aspirations atlantistes d’ex-républiques soviétiques comme la Géorgie ou l’Ukraine ».
Ces propos aident à comprendre la stratégie que développe actuellement le maître du Kremlin. Ils constituent une aide à la réflexion pour comprendre l’esprit de revanche, si ce n’est de vengeance, qui anime, en permanence, le président russe. C’est pour éviter cette situation que le général de Gaulle et, plus tard, François Mitterrand, plaidaient – sans succès – en faveur d’une Europe beaucoup plus vaste, englobant la Russie.
En Syrie, les images de la décapitation de Steven Sotloff, le deuxième otage américain tué en deux semaines par les terroristes de l’EI, ne sont ni supportables, ni tolérables. Attention cependant, la colère est mauvaise conseillère. Ce qui vient de se passer à Gaza montre les limites de la vengeance, de la disproportion des représailles et de l’inefficacité des frappes qui ajoutent encore à l’horreur. Il est compréhensible qu’une semaine avant la commémoration du 11 Septembre, la mise en scène de l’exécution de deux Américains bouleverse les États-Unis. Que faire ? L’État islamique détiendrait encore une dizaine d’otages occidentaux dont au moins une jeune femme américaine de 26 ans capturée il y a un an. Le président Obama hésite, il a été élu sur la promesse de dégager les Etats-Unis du bourbier irakien. Prix Nobel de la Paix, dès le début de son premier mandat, il doit composer avec les conservateurs – surtout les néoconservateurs – qui exercent sur lui une pression permanente. La haine des ultras, à l’égard du président Obama, dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Il prend donc son temps, avec le risque que ses hésitations soient interprétées pour de l’indifférence. En Estonie, où il était avant-hier, Barack Obama a durci son discours : « Quoi que ces meurtriers pensent (…), ils ont déjà échoué. Parce que les gens, partout dans le monde, sont révulsés par leur barbarie. Nous ne nous laisserons pas intimider. » L’objectif est de « détruire » l’État islamique, mais pour y parvenir, Barack Obama doit convaincre ses partenaires, mettre sur pied une coalition internationale et définir une stratégie. Au préalable, il faut disposer de renseignements suffisamment précis. Ce n’est pas le cas. Agir trop vite serait prendre le risque de dégâts collatéraux importants, comme dans toutes les guerres asymétriques, et donner l’impression que pour venger les otages exécutés, le président Obama engage les Etats-Unis dans une guerre sans fin alors qu’il avait été élu pour ne plus faire la guerre. Il n’a pas l’éternité devant lui, les élections à mi-mandat sont dans quelques semaines.
Les frontières, en Irak et en Syrie, tracées par MM. Sykes et Picot à la fin de la première guerre mondiale, sont redessinées chaque jour au mépris des Etats-Nation qui ne sont plus que champ de ruines. En Libye, un tremblement de terre, prévisible, n’en déplaise à BHL, secoue le Sahel, le Maghreb et le Machrek, dans un climat de vengeance et de violence inouï. Ces conflits ne peuvent plus être résolus par la volonté d’un seul pays, il faut des médiations diplomatiques, des coalitions autorisées par les Nations-Unies. Encore faut-il que les personnalités choisies pour le règlement des conflits aient une expérience suffisante. Ce n’était pas le cas de la Britannique Catherine Ashton, choisie à la dernière minute en 2009. Ce n’est pas le cas, une nouvelle fois, avec la désignation de l’Italienne Federica Mogherini, au poste de haute représentante pour les affaires étrangères de l’Union européenne. Ses grandes qualités ne sont pas en cause, mais elle n’a ni l’expérience, ni l’autorité suffisante, pour que l’Union européenne ait une politique étrangère digne de ce nom. François Heisbourg a raison de dire que » Les grands pays comme la France et le Royaume-Uni ne veulent pas se dessaisir de leur politique étrangère et ne veulent surtout pas d’un gros calibre pour piloter la diplomatie européenne « . Si « la situation internationale est la plus grave que nous avons connue depuis 2001 », comme le déclarait récemment François Hollande au journal Le Monde, pourquoi prendre de telles décisions qui ne peuvent qu’affaiblir encore la puissance de l’Europe, pour autant qu’elle en ait véritablement une.
Il faut se méfier aussi des mots employés qui révèlent un état d’esprit. Il y a un an, François Hollande promettait de « punir » le régime syrien accusé d’avoir tué des centaines de personnes dans une attaque chimique dans la banlieue de Damas.
Mais, comment parler de violence et de vengeance, sans évoquer ce qui se passe dans notre pays, sous nos yeux ébahis. Les Français, comme le personnel de l’Elysée, découvrent, atterrés, l’existence et les premiers extraits du livre de l’ancienne compagne du chef de l’Etat. Apparemment, le président a tout fait, depuis le début de l’année, pour éviter que la femme délaissée prenne des initiatives qui portent atteinte à son image. Peine perdue, illusions perdues, la duchesse d’Angers, pour paraphraser le portrait que Balzac fait de la duchesse de Langeais, est une impulsive, incapable de se retenir. Le tweet adressé à Olivier Falorni le 12 juin 2012, prouvait déjà que cette femme, au moment d’agir, est incapable de prendre en compte, d’apprécier, les conséquences de ses actes. « L’arme de destruction massive » du quinquennat était entrée à l’Elysée avec le chef de l’Etat. « La Comédie humaine », l’histoire romanesque de la Restauration et de la monarchie de Juillet, qui a fait la gloire littéraire de Balzac, se poursuit avec de nouveaux personnages. L’expression « sans-dents », boutade à laquelle le président ne peut jamais renoncer, n’aura sans doute pas la même durée de vie que le « salauds de pauvres » de Marcel Aymé. La révélation de cette méprisable image ne correspond pas à l’homme. Tous ceux qui le connaissent, disent que, s’il ne peut résister à ces petites blagues, parfois de mauvais goût, que Laurent Fabius lui reprochait tant, il ne peut être reproché au socialiste sincère qu’il est le moindre agissement qui laisserait penser qu’il n’aime pas les pauvres.
A lire les commentaires dans la presse, « Vengeance » eut été un titre plus conforme au contenu du livre que « Merci pour ce moment ». Il ne s’agit, au fond, que d’un banal drame de la jalousie, nonobstant la douleur ressentie qui est parfaitement respectable. Valérie Trierweiler regrette « qu’on ne retienne qu’une phrase de son livre ». Journaliste politique, rompue à l’utilisation des petites phrases, elle se moque des Français en feignant d’être surprise. Elle avait décidé de se venger. C’est fait, n’en parlons plus.
Quelques jours seulement après les mots vengeurs d’Arnaud Montebourg et le livre de Cécile Duflot, qui ne cachent pas l’intention de nuire au chef de l’Etat, les Français commencent à trouver que ça fait beaucoup et que trop, c’est trop. Ils avaient voté contre Nicolas Sarkozy pour que cesse une certaine pratique du pouvoir. Le successeur, dans un autre style, n’échappe pas à la critique et expose la France à un abaissement de la fonction et de l’image des politiques en général.
Le 18 septembre prochain, lors de la conférence de presse importante qui est programmée, le président n’échappera pas à une question sur le contenu du livre et les dommages collatéraux qu’il provoque. Une nouvelle fois, il se réfugiera derrière la frontière qui sépare – de moins en moins – la vie publique de la vie privée. La veille – ou le lendemain – son prédécesseur dans la fonction accomplira lui aussi sa vengeance en annonçant son retour à la vie politique, « par devoir ». Nos concitoyens entendront « pour se venger » d’un homme, d’une campagne, des journalistes, des magistrats, d’une élection, qui l’ont privé d’un deuxième mandat qu’il considérait comme naturel, acquis ; bref, qui lui était dû.
Nicolas Sarkozy est prévenu, il devra faire très attention à ce qu’il a l’intention de dire, aux mots employés, au ton, en évitant l’ironie dont il est capable, s’il ne veut pas, dans un moment si difficile pour les Français, compromettre définitivement ses chances de reconquérir le peuple français. Les Français en ont assez, comme ils en avaient assez au début de l’année 1958, des querelles, des règlements de comptes permanents et des vengeances. La démocratie est le luxe des peuples civilisés. Elle est fragile. Si une majorité de Français en arrivaient à la conclusion que les partis politiques ne servent à rien, sont nuisibles, que l’administration – une des meilleurs du monde – pourrait parfaitement gérer les affaires publiques, alors, comme l’écrivait déjà Platon, « c’est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie » et, j’ajoute, de sa forme moderne, le national-populisme.
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