Mutatis mutandis (suite et fin)


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Les temps ont changé. Les problèmes auxquels le pays est confronté ne sont plus, en dehors de la pression fiscale, ceux de la fin de la IV e République. La locution mutatis mutandis, je l’ai rappelé dans mon dernier article, est employée pour rapprocher deux situations qui ne sont pas tout à fait comparables, mais qui présentent une certaine analogie. N’en déplaise au président d’honneur du FN, le « national-populisme » du Front national s’apparente au poujadisme par les méthodes employées et les thèmes abordés : le repli identitaire, l’exploitation de l’exaspération de certaines classes sociales, l’immigration. Si le slogan « Sortez les sortants » n’est plus employé, l’argumentaire est le même.

A cet égard, le récent sondage IFOP pour Atlantico met clairement en évidence les motivations du vote des électeurs du Front national. Les questions posées aux personnes ayant l’intention de voter pour des candidats du Front national au premier tour des élections départementales dont les réponses dominent très nettement sont les suivantes :

– « Parce que vous souhaitez exprimer votre mécontentement à l’égard des autres partis politiques,

– « Parce que vous partagez le constat que ce parti fait sur l’état de la France,

– « Parce que vous adhérez aux idées et aux solutions sur l’immigration et l’intégration que ce parti propose et que les critiques adressées au FN sur certains propos racistes, antisémites ou antirépublicains vous paraissent infondées »,

– « Parce que le FN est le seul parti qui se soucie des problèmes des gens comme vous ».

Marine Le PenIl ressort de ce sondage que Marine Le Pen comprend les problèmes quotidiens que rencontrent les personnes interrogées alors que les représentants des autres partis politiques sont déconnectés de la réalité. Les candidats du FN qui se présentent aux départementales sont d’ailleurs, le plus souvent, issus des classes populaires, ouvriers, employés du secteur privé et petits commerçants. Ils n’auraient pas pu être candidats dans un autre parti.

Fédérer les mécontents, les oubliés, est assez facile en période de crise, de sous-emploi et de défiance à l’égard des politiques et de l’Etat en général. Quand l’extrême gauche n’est pas capable de rassembler ceux qui, traditionnellement, votent pour elle, c’est un boulevard qui s’ouvre devant le Front national, trop heureux de pouvoir démontrer qu’il n’est pas un parti d’extrême droite. Le qualificatif de « national-populiste » est souvent employé en raison de la stratégie adoptée par le FN qui consiste à attirer vers lui tous les mécontents, tous les désespérés, tous les frustrés, nombreux dans une période de mutation économique, de très faible inflation et de pessimisme généralisé. Il est évident que c’est cette ouverture vers une partie importante de l’électorat de gauche qui amplifie la dynamique et porte le Front national au niveau que l’on observe dans les sondages.

La tactique qui consiste à refuser les alliances et à laisser le temps pousser dans le « corner » tous ceux qui exercent, ou ont exercé, le pouvoir depuis des décennies, s’avère payante. Dénoncer les « élites », le « système », est une forme de poujadisme, que le FN le veuille ou non. C’est ce que faisait Poujade quand il s’en prenait à Pierre Mendès-France, en 1955. C’est ce que Coluche a fait, un temps, en 1981. Avec un discours qui met les rieurs de son côté, des mots compréhensibles par tous, c’est relativement facile…mais irresponsable. « On a laissé les clés à des caïds, à des responsables religieux qui ont imposé leur loi. Les pompiers ne rentrent plus, ni les médecins, ni parfois les livreurs de pizzas qui ont peur », comme l’affirme Marine Le Pen, c’est simple, compréhensible par tout le monde, mais n’apporte aucune solution. Attraper les plus malheureux, les déclassés, les plus crédules, de cette manière, est assez triste. Si le FN arrivait au pouvoir, les « misérables » seraient les premières victimes.

Il est assez inexplicable que « ceux qui savent », qui ont confiance dans l’avenir et, notamment, dans l’avenir de la France, ne soient pas capables d’expliquer, de convaincre, de casser la dynamique infernale et d’ « arracher » au FN, pour reprendre l’expression employée par le chef de l’Etat, la partie la plus éduquée, cultivée, de l’électorat de ce parti qui devrait comprendre que le programme du FN ne peut que plonger le pays dans le malheur.

Pierre Poujade en 1953
Pierre Poujade en 1953

Une partie de la population française pense sincèrement qu’une autre politique, plus juste, plus douce sans doute, est possible. Tant que le pays ne se sera pas redressé et tant qu’on ne l’a pas essayée, cette autre politique, qui n’est qu’une illusion, demeurera, ancrée dans l’esprit de certains. Que cette partie de la population, qui ne peut pas ne pas connaitre son histoire, n’éprouve pas de crainte, de doute sur ce que serait une politique d’extrême-droite me sidère. Ce parti est autoritaire, sectaire, dirigé comme une PME familiale. Sa politique, sauf à en changer après l’accession au pouvoir, ne pourrait conduire qu’à de graves désordres. Les Français sont prévenus.

Les critiques formulées à l’égard du FN sont quasiment les mêmes que celles que subissait le mouvement de Poujade. Marine Le Pen, habile, ne traine pas derrière elle le passé de son père. Elle apparait comme neuve, vierge de toute responsabilité, « irréprochable » comme dit le président du CRIFF. Avec elle, « Le Beauf de Cabu », le « Dupont la joie », n’accrochent pas. Elle ne représente pas son électorat. Peu importe les qualificatifs : extrême-droite, national-populisme, antiparlementarisme, droite nationale. Les reproches de xénophobie et de racisme ne dissuadent pas, au contraire.

Mutatis mutandis sur un certain nombre de points, mais les différences avec le poujadisme sont importantes. Il y a tout d’abord la volonté et l’opportunité pour le FN de capter l’électorat du Parti communiste qui est en déshérence. Marine Le Pen ne manque pas une occasion de faire l’éloge de Georges Marchais, l’ancien secrétaire général du PCF (1972-1994). Autre différence, le Front national de Marine Le Pen n’est plus le parti de son père, Jean-Marie Le Pen. La fille a manifestement l’ambition d’accéder au pouvoir. Ce qui n’était pas le cas du père, embarrassé en 2002 de se retrouver au second tour de la présidentielle. Le passé du père restreignait son électorat. Sa fille, au contraire, défend l’Etat, la République et la laïcité dans tous ses discours. Soucieuse, en permanence, de ne commettre aucune erreur qui pourrait être interprétée comme de l’antisémitisme ou du racisme, elle reçoit du président du CRIF une « bénédiction » pour le moins inattendue.

Le 6 mars lors de la manifestation des indépendants
Le 6 mars lors de la manifestation des indépendants

Enfin, Marine Le Pen, ce qui n’était pas le cas de son père, a réussi, avec beaucoup de talent, à occuper les esprits, à être en permanence sur tous les plateaux de télévision et de radio et à faire de son parti le problème numéro un de toutes les autres formations politiques.

Ce phénomène est-il durable ?

Sur le thème de l’immigration, certainement, un renforcement des moyens de l’agence Frontex, de surveillance des frontières de l’UE, ne sera pas suffisant pour retirer de la tête de nos concitoyens que l’Europe est une passoire. Les partis populistes, FN en France, UKIP au Royaume-Uni, AfD en Allemagne, PVV aux Pays-Bas, ont donc de beaux jours devant eux. L’immigration venue d’Afrique, du Moyen-Orient et des pays membres de l’UE les plus pauvres comme la Roumanie ou la Bulgarie, est un problème grave qui a toutes les chances de s’amplifier et qui n’a peut-être pas de solution. Les Conseils européens, les Etats, se révèlent, au fil des années, impuissants à apporter des solutions. Renforcer le contrôle aux frontières, y compris à l’intérieur de l’Union, tout le monde le réclame, mais la pression est telle que l’effet sera limité. Quand on voit, à la télévision, ce qui se passe en Espagne et au Maroc, dans les enclaves de Ceuta et Melilla, il y a de quoi être inquiet.   L’Europe, dans son ensemble, n’en peut plus. Elle est déstabilisée par la durée de la crise, par le chômage qui touche 24 millions d’Européens et par la poussée migratoire qui ne cesse d’augmenter. La peur de l’islam, les craintes sur la préservation des acquis sociaux, sur le mode de vie, se retrouvent dans les urnes à chaque scrutin. Réaction d’une Europe vieillissante, peureuse, sans doute, mais réaction compréhensible et dont il doit être tenu compte par les dirigeants politiques pour que la démocratie soit préservée.

Sur le maillage du territoire, le FN développe sa stratégie avec un certain succès lors de tous les scrutins, ce qui, petit à petit, bouleverse le paysage politique. Une partie importante de la population se défoule, Manifestement plus motivés que les autres électeurs, les électeurs du FN ne s’abstiennent pas, ce qui amplifie son score. Marine Le Pen a raison de dire que « L’implantation locale ne se fait pas en un jour, ni en une seule élection mais il y a des moments d’accélération dans l’histoire ». Cela étant, « L’espérance bleu Marine » n’est qu’un slogan de campagne, il ne constitue pas un programme. Il semble cependant suffisant pour ancrer le parti, ce que le poujadisme n’était pas parvenu à faire.

Quand le président du Sénat dit : « Je sens monter une colère sourde des territoires, une révolte, une jacquerie », il dit sincèrement ce qu’il ressent, mais il alimente la peur, le fatalisme. Est-ce ce que l’on attend du deuxième personnage de l’Etat ? Il faut apporter des solutions et non vendre de la peur, comme le fait le FN. Que l’excès de bureaucratie, de technocratie, décourage les bonnes volontés, c’est évident. L’application du « compte pénibilité » en est actuellement le meilleur exemple. Les Français en ont assez de l’inflation des normes et règlements. « Arrêtez d’emmerder les Français », disait Georges Pompidou à ses ministres. C’était au début des années 70 !

A cet égard, le vote des habitants des communes rurales est assez révélateur. De longue date, cette population votait à droite. Il semble qu’elle se prépare à voter pour l’extrême droite en raison de la dégradation de ses conditions de vie, de l’insécurité, des contrôles incessants, du pouvoir d’achat qui s’érode et de l’assistanat dont certains profitent, mais pas eux. Ils se sentent oubliés.

Dessin publié dans Valeurs actuelles n° 4084 du 5 au 11 mars 2015
Dessin publié dans Valeurs actuelles n° 4084 du 5 au 11 mars 2015

La carte électorale révèle également, depuis l’élection présidentielle de 2012, que plus il faut de temps pour se rendre à Paris, plus les gens votent pour le FN. Il y aurait une corrélation entre le vote Front national et la distance avec la ville la plus proche. Autant dire que la politique d’aménagement du territoire et la préférence donnée à la maison individuelle, depuis quarante ans, a été un échec.

Les événements et l’activisme souvent habile de Marine Le Pen, ont placé le populisme au centre du jeu politique. Toutes les autres formations se positionnent en fonction du FN. C’est un fait. Pierre Rosanvallon n’a pas tort quand il dit que le populisme est  » un retournement contre elle-même de la démocratie « . Chantal Delsol non plus quand elle dénonce le  » mépris de classe «  à l’encontre  » du peuple « , dont « l’élite » fait souvent preuve.

Ce qui est certain, c’est que la France est aujourd’hui coupée en deux. Il y a une France optimiste, confiante dans l’avenir et une France inquiète et repliée sur elle-même. La France des catégories dites supérieures, plutôt âgée, qui vote pour les partis de gouvernement et la France des catégories populaires, opposée à la mondialisation, à l’Europe, aux « autres », qui s’abstient ou vote pour les partis extrémistes, notamment pour le FN. Dans les régions du Nord-Est, du Sud, qui cumulent les problèmes, où les revenus sont faibles, le chômage des jeunes trop important, le FN réalise des scores élevés.

Est-ce qu’il est possible, à brève échéance, de redonner confiance à la moitié de la France qui doute ? Telle est la question à laquelle les partis de gouvernement réfléchissent sans trouver, pour l’instant, de réponse convaincante. Sur l’accès au logement, sur le chômage, sur l’intégration des immigrés, sur l’amélioration du pouvoir d’achat, la « lepénisation » des esprits est plus forte que les « usines à gaz » des institutions politiques.

Il parait évident qu’il faudra faire avec le Front national pendant encore de nombreuses années.

Gardons-nous cependant d’être trop pessimistes. Le scrutin, dimanche prochain, n’est qu’un scrutin départemental. Son principal mérite est de forcer les Français, enfin, quelques-uns, à réviser les chefs-lieux de canton !

 


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