Dans les heures qui ont suivi l’annonce du décès de Michel Hidalgo, les souvenirs ont afflué, dans le désordre, comme toujours en de telles circonstances. Étrangement, ce n’était pas des souvenirs de football. Il faut dire que, deux jours avant, j’avais revu, sur la chaîne du journal L’Équipe, l’inoubliable demi-finale de Séville en 1982. Le désespoir de Michel quand Battiston, qui venait de rentrer sur le terrain, a été sauvagement agressé par le gardien de but allemand Schumacher, était révélateur de sa sensibilité à fleur de peau. Dans son maillot bleu et blanc, les couleurs du RCF, il paraissait désemparé ; empêché de pénétrer sur le terrain pour évaluer la gravité de la blessure de son joueur inconscient sur une civière, il semblait résigné face à un arbitrage contestable devant lequel il était impuissant. Michel, et son équipe, étaient victime d’une grave injustice. Michel Hidalgo était un homme naturellement bon, profondément humaniste, juste. Il était profondément choqué par ce qui se passait sur le terrain. Les gros plans trahissaient sa sourde colère. Je regardais cette rediffusion, de mauvaise qualité, avec, en tête, le tweet du journaliste Dominique Grimaud, quelques heures auparavant, qui mentionnait « l’état de santé précaire » de Michel Hidalgo. Nous savions que Michel, malade depuis plusieurs mois, plusieurs années même, était fragile. Au mois de février, quelques anciens joueurs, membres du club des anciens internationaux, avaient organisé une petite fête en son honneur dans un restaurant de Marseille. Dans l’hommage qu’il a rendu aussitôt à son ancien sélectionneur, Michel Platini évoque ce repas en ces termes : « Ce moment était à la fois très émouvant et joyeux. Et j’ai pu voir dans les yeux de mes coéquipiers combien il fût important pour chacun d’entre nous. Je pense que c’est un moment qui lui a donné beaucoup de bonheur. »
Je me souviens de ce jour de mars 1992 où Jean-Claude Darmon nous avait invités, Michel et moi, à déjeuner au Fouquet’s. Nous parlâmes, entre autres, des « affaires » qui touchaient tous les secteurs. Michel Hidalgo révéla les difficultés qu’il rencontrait au sujet de prêts sans intérêt consentis à des joueurs de l’Olympique de Marseille et nous évoquâmes le harcèlement dont le Premier ministre était l’objet à cause du prêt que Roger-Patrice Pelat lui avait fait. Je me souviens que Michel était révolté. Jean-Claude Darmon raconta les circonstances dans lesquelles il avait lui-même été mis en examen le même jour que Michel Mauer. Je l’entends encore nous dire : « Vous savez, ce sont des épreuves qui marquent dans un climat qui devient de plus en plus tendu et inquiétant ». Avec un large geste de la main, il nous dit : « Vous voyez ceux qui sont autour de nous : Patrick Poivre d’Arvor, Mourousi, Leven, le PDG des eaux Perrier, ils sont tous en examen. »
Nous parlâmes aussi de football. Michel Hidalgo était rentré dans la nuit de Madrid où le Paris Saint Germain avait joué la veille. Il nous raconta les retrouvailles avec Kopa, Di Stefano, ses amis du Real, avec qui il jouait dans les années cinquante. Je demandai à Michel si la présidence de la Fédération française de football l’intéressait, comme cela se murmurait. Il nous répondit : « Jamais de la vie, pour avoir à régler quotidiennement des quantités de petits problèmes entre les clubs. Non, ce qui m’intéresse, c’est le football professionnel que je voudrais faire évoluer vers plus de spectacle comme le football américain. J’ai des projets, je vous en reparlerai. »
Michel Hidalgo œuvrait, essentiellement, à la défense du droit des footballeurs. Il avait présidé l’Union nationale des footballeurs professionnels et participé à la création du syndicat international des footballeurs professionnels.
Me revient également en mémoire, l’épisode rocambolesque de la tentative d’enlèvement à laquelle il échappa peu de temps avant le départ de l’Équipe de France pour l’Argentine en 1978. Il était alors reproché aux Bleus de participer à une coupe du monde dans un pays où régnait la dictature militaire de Jorge Videla.
Trop sensible, peut-être, Michel Hidalgo avait refusé l’offre de François Mitterrand d’occuper le poste de ministre des sports. Nous en avions parlé, à Gassin, au bord de la piscine. Il m’avait dit : « Je ne m’en sentais pas capable. J’ai peut-être eu tort ! »
C’est Jean Férignac, ancien capitaine et gardien de but de l’équipe de France de hand-ball, avec qui j’étais en classe de sixième au lycée d’Angoulême, en 1947, avec qui je jouais dans l’équipe minime de football du Lycée, qui nous avait présentés en 1988.
Jean Férignac m’avait invité à participer à un dîner, rue de Lourmel, avec quelques amis à lui. Je fis également, ce soir-là, la connaissance de quelques-uns des sportifs français les plus connus. Pierre Villepreux, ancien arrière de l’équipe de France de rugby, entraîneur du Stade Toulousain, Pierre Dao, entraîneur de l’équipe de France de basket, Jean-Luc Rougé, champion du monde de judo, directeur technique national de ce sport, Joël Bouzou, champion du monde de pentathlon moderne, directeur technique national de cette discipline. Pendant le dîner, j’écoutai leur conversation, ils oublièrent ma présence. À la fin, je pris la parole pour leur dire : « Ce que je viens d’entendre sur ce que sont vos sujets de préoccupation, m’a passionné. Je ne fais pas le même métier que vous, mais à ma grande surprise, nous rencontrons les mêmes problèmes : d’éthique, de dépassement de soi, de performance individuelle, d’esprit d’équipe, de rigueur dans les méthodes, de gestion de la réussite comme des échecs ». Ils firent tout d’un coup, un peu plus attention à ma présence, s’amusèrent de mes propos et nous nous quittâmes. Je venais de passer une soirée dont beaucoup auraient rêvé.
J’ai raconté, à plusieurs reprises, les séminaires de motivation que nous avions organisés, Jean Férignac et moi, pour le personnel de COGEDIM. Je n’y reviens pas, si ce n’est pour souligner le souvenir, j’allais écrire l’empreinte, au sens religieux du terme, que la prestation de Michel Hidalgo avait laissé sur le personnel. Je ne peux restituer ici, ce serait trop long, l’intégralité de sa conférence et de ses interventions, mais, pour les avoir relues, récemment, je comprends mieux les commentaires élogieux qui sont publiés ces derniers jours. Quand Thibaud Leplat écrit sur le site sofoot.com que « l’héritage de cet homme n’est pas uniquement tactique ou sportif, sa grandeur est aussi ailleurs et comprise dans une éthique de pensée aussi originale qu’exemplaire. La donne est alors politique, pour ne pas dire philosophique ». Il exprime bien ce que nous avions ressenti au Cap d’Agde.
Le défenseur du « Carré Magique », du « football à la française », avait un style. Le style, c’est l’homme. La quête collective de sens constituait la recette d’Hidalgo, écrit le journaliste qui ajoute que, « disciple d’Albert Batteux, le mythique entraîneur de Reims, Michel avait compris qu’on devenait entraîneur d’abord dans le dialogue et la conversation rationnelle. « Je m’attache à savoir comment réagit chaque individu, racontait Michel, je provoque des entretiens en tête à tête. J’aime que les joueurs puissent s’exprimer en toute décontraction. Je me sens dans la peau d’un grand frère plutôt que d’un « chef », je recueille les confidences. J’ose prétendre que tous me font confiance. ». Hidalgo le répétera toute sa vie, la vérité du football n’est pas un dogme. C’est une construction collective faite de dialogues et de controverses, ils en sont la matière principale. Si le football d’Hidalgo est devenu inoubliable, c’est qu’il agira désormais comme un refuge imaginaire dans lequel il est possible de se précipiter quand les nuages approchent. Michel Hidalgo est le nom d’une île verdoyante, à l’abri du béton. »
Ces séminaires furent une première, un événement, très au-delà de ce que j’avais imaginé en les organisant. Le quotidien Libération, consacra une page entière à ce séminaire. Des magazines spécialisés dans l’action commerciale, la gestion du personnel, le management, s’intéressèrent au sujet. L’objectif que je m’étais fixé fut atteint et même largement dépassé en ce qui concerne l’image de marque de COGEDIM.
Les journalistes me demandaient pourquoi j’avais réuni la force de vente, en séminaire, avec des sportifs. Qu’en attendiez-vous ? Qu’en avez-vous retiré ? Je répondais toujours : « un état d’esprit ». Ce que vous avez vous-même appelé « L’esprit du Cap d’Agde ». Ce moment inoubliable a changé les relations entre les vendeurs et l’encadrement. L’estime, la confiance, le plaisir de vendre, sont des valeurs qui ont été sublimées au cours du séminaire et qui font que le groupe, malgré une concurrence et une compétition acharnées, réussit et s’entend bien. Notre système de vente était stressant, dur pour les plus faibles et pour ceux qui n’avaient pas le sens de la compétition, mais l’esprit d’équipe, la fierté d’appartenance, galvanisait les énergies ».
Quand, par la suite, j’ai eu le plaisir de rencontrer Michel Hidalgo, d’échanger avec lui, nous avons sympathisé. Nous sommes devenus amis.
Le 4 avril 1991, le jour de mes 55 ans, Dany avait réussi l’exploit de réunir dans notre appartement de l’avenue Bosquet, nos amis les plus proches. Faire coïncider ma date de naissance avec le calendrier de l’Olympique de Marseille, la fin de la guerre du Golfe, une session de l’Assemblée nationale, s’assurer qu’il n’y aurait pas ce soir-là une intervention du GIGN ou une permanence à la DST, ce n’était pas simple. Seule la rage de dents dont avait été victime Michel Jazy nous avait privés de sa présence. Dany avait réussi ce tour de force. Michel Hidalgo était là.
Dans mon discours de remerciements, j’avais évoqué quelques souvenirs : « Jean Férignac, avec qui j’étais en sixième au lycée d’Angoulême et qui est ce soir le plus ancien de l’équipe, était déjà très doué en sport. Je rêvais, en 1947, de devenir un grand sportif. Il a été plus de trois cents fois international de hand-ball, capitaine de l’équipe de France ; moi, j’ai fini dans une équipe de patronage et vite compris que je ne serais pas un grand champion. Ensuite, j’ai rencontré Martin Malvy, on avait vingt ans, on refaisait le monde ; je voulus faire de la politique. J’ai accompagné Martin lors de sa première campagne, il est devenu conseiller général, maire de Figeac, député, ministre, aujourd’hui, vice-président de l’Assemblée nationale. Moi, je me suis présenté une fois aux élections, j’ai été « blackboulé » et ma carrière politique s’est arrêtée là. Quelques années plus tard, j’ai découvert, en regardant Raymond Germanos, qu’il était encore plus difficile de devenir général, tant la compétition est rude. Alors, tu vois Pierre (Chouzenoux), comme tu l’avais dit au séminaire de Fontainebleau, je crois qu’il est plus facile de faire une carrière dans l’entreprise ».
L’année suivante, en 1992, alors que l’extension du village de Gassin, que réalisait Cogedim Méditerranée, pour le compte de la commune, entrait dans sa dernière phase, le maire, M. Dho, m’autorisa à placer, sans conditions, les six dernières maisons, la liste des prioritaires étant épuisée. Magnifiquement situé, dans un village très recherché de la presqu’île, ce programme de petites maisons individuelles avait un caractère social. Il était en principe, et ce fut le cas, réservé aux salariés dans la commune qui comprend notamment « l’usine à torpilles » de la DCN, à l’entrée de Saint Tropez. J’en parlais à quelques amis. Michel Hidalgo, intéressé, réserva une maison proche de la nôtre.
Ce fut l’occasion de se voir plus souvent. Un jour, je me souviens, nous avions, avec Dany et Michel, fait une pétanque dans le village pour le bonheur des habitants. Je me souviens aussi qu’un jour, accompagné de son ami Jean-Louis Pelletier, le célèbre avocat pénaliste, Michel nous avait rendu visite. Nous avions passé la fin d’après-midi à bavarder très agréablement. À l’heure du dîner, Dany nous avait proposé un plat de pâtes qui nous permit de prolonger cet agréable moment.
Quand Laure, notre fille, s’est mariée, Michel et Monique ont adressé un message de félicitations aux jeunes époux avec sa signature si personnelle. C’était sympa !
Voilà ! C’était Michel Hidalgo
Merci, Michel, pour ces bons moments et ton amitié.
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