C’est en ces termes que Michel Rocard, ancien Premier ministre, a exprimé son pessimisme lors des « Journées de Bruxelles », organisées par « l’Obs » les 18 et 19 novembre dernier. Ces troisièmes « Journées de Bruxelles » avaient pour thème « Europe : dernière chance », sans point d’interrogation, mais avec en toile de fond la crise grecque et les problèmes que pose l’afflux de réfugiés et de migrants. Michel Rocard fait le constat que l’Europe a baissé les bras. Elle baisse aussi la garde avec des dépenses de défense au plus bas depuis cent cinquante ans. Les institutions, dont l’Europe s’est dotée, « tuent le leadership ». L’ancien commissaire européen Pascal Lamy en a remis une couche avec les loupés européens sur le plan économique. L’Union n’est plus compétitive dans certains domaines, notamment sur l’économie numérique.
L’échec du renseignement, le manque de coordination face au terrorisme, une certaine tolérance (ou naïveté) à l’égard de foyers de radicalisation islamiste connus, a été au centre des débats. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission n’emploie jamais le mot de « guerre » que François Hollande a utilisé dans son discours au Congrès à Versailles. Face à une situation qui se dégrade, la Commission est mal à l’aise. Elle sent que « l’absence d’une certaine idée de l’Europe », peut conduire à la catastrophe. Les opinions publiques ont peur et par conséquent éprouvent, chaque jour un peu plus, un besoin de repli identitaire regrettable mais qui s’explique. Regrettable au regard de tout ce que l’Europe a été capable de faire depuis sa création. La réponse aux menaces n’est pas dans la « désolidarisation » et dans le repli. Martin Schulz, le président du Parlement européen, social-démocrate allemand, s’est efforcé, au cours de ces Journées de redonner de l’espoir. Il espère qu’un « leadership européen capable de courage à un moment de découragement, capable d’émettre des opinions claires et de faire front, remettra l’Europe dans le sens de l’Histoire.
De plus en plus nombreux sont ceux qui pensent que la demande du Royaume-Uni de renégocier certains aspects des Traités avant un référendum sur le « Brexit », la sortie du pays de l’Union européenne, est une bonne occasion de remettre à plat des traités illisibles que les opinions publiques ne connaissent pas et ne reconnaissent pas..
Denis MacShane, l’ancien ministre britannique des Affaires européennes de Tony Blair a commencé son intervention en lançant « merci et au revoir » pour expliquer que l’Europe « centrifuge », « très IVe République », se saborde. Certains, comme l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, répondent « chiche » et ajoutent « Merci David » (David Cameron) qui, avec son « Brexit », provoque l’opportunité de remettre en chantier les institutions européennes.
Ce faisant, n’est-ce pas accepter l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses ? L’idée est dans l’air depuis longtemps. Tout le monde reconnaît qu’il faut plus de « politique » et moins de technocratie en Europe. Le moment n’est pas venu pense Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Ce n’est jamais le moment. Le référendum français sur le projet de Traité européen en 2005 est encore dans les mémoires !
Michel Rocard n’est pas le seul à parler vrai sur ce sujet. Le Premier ministre, Manuel Valls, est inquiet. Il a évoqué à Davos, la possibilité d’une « dislocation » de l’Europe, en particulier si le Royaume-Uni sort de l’Union européenne. Ces propos ont été entendus comme un « message d’alerte » sur l’Europe qui va devoir se prononcer sur les demandes de David Cameron sans perdre sa raison d’être… et son âme ! Et si ces demandes sont acceptées, l’Europe ne sera plus la même.
Il faut se rendre à l’évidence, un vent de panique souffle sur l’Europe. Un excès de technocratie au détriment du politique, des mesures drastiques d’austérité sans de grands projets d’investissement, des frontières de l’Europe inexistantes, la défense et la sécurité sacrifiées et des règles institutionnelles confuses et beaucoup trop compliquées, ont provoqué le désamour et la paralysie à laquelle nous assistons impuissants.
Dans ces conditions, il est normal que les citoyens se sentent plus rassurés dans le cadre de l’État Nation avec ses frontières et la possibilité de renvoyer les dirigeants politiques à leurs chères études à chaque consultation électorale.
Comment réconcilier l’Europe et les Européens ? Telle est la question à laquelle les chefs d’États et de gouvernement vont devoir répondre rapidement s’ils ne veulent pas porter la lourde responsabilité d’avoir laissé mourir une si belle idée.
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