L’été 24  


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L’été 2024, le plus chaud jamais enregistré sur la planète, fut tout d’abord marqué par la célébration du 80e anniversaire de la libération du territoire. De très nombreuses cérémonies commémoratives se sont succédé dans l’ensemble du pays, particulièrement sur la côte normande, le jeudi 6 juin. En présence des derniers vétérans du « D-Day », vingt-cinq dirigeants du monde entier ont honoré, sur la plage d’Omaha, la mémoire de ceux qui ont participé au Débarquement du 6 juin 1944 qui fut certainement le plus grand événement de l’histoire militaire que le monde ait jamais connu.

L’occasion aussi pour le journal Le Monde de célébrer les 80 ans de son existence, avec une rétrospective des grandes heures du journal rappelées par les principales plumes du « Monde », dans une série d’articles et « une quinzaine de thématiques qui résonnent avec l’actualité ».

Pour un été historique, il fallait un Roland Garros historique. Le 9 juin, le jour de la finale, au bout de cinq sets âprement disputés, le jeune prodige espagnol de 21 ans, Carlos Alcaraz, est devenu le nouveau roi de Roland-Garros !

Le même jour, les Français, « très mécontents » selon le dernier baromètre IFOP/JDD, étaient appelés à voter pour les élections européennes. La liste du Rassemblement nationale, conduite par le jeune Jordan Bardella, l’a emporté avec 31,37 % des suffrages. Jamais, à l’exception de la liste conduite par Simone Veil en 1984, qui était une liste d’union UDF/RPR, aucune liste n’était parvenue à atteindre la barre des 30 % à une élection européenne en France. C’était donc d’une performance historique qui fut lourde de conséquences.

Humilié, blessé dans son orgueil, après une telle défaite, Emmanuel Macron, à un mois et demi des Jeux olympiques de Paris, a pris le risque de déclencher une crise politique alors que peu de temps avant, il affirmait : « À élection européenne, conséquences européennes. » Allez comprendre ! Il aurait fait le calcul que la dissolution était inéluctable et que le prochain vote du budget déboucherait sur une motion de censure. Comme le général Foch à la bataille de la Marne, en septembre 1914, qui lança : « Mon centre cède, ma droite recule, situation excellente, j’attaque. », Emmanuel Macron prit la décision d’attaquer ! Le dimanche 9 juin à 20 h 58, le chef de l’État a annoncé à la télévision, la dissolution de l’Assemblée nationale.

Incorrigible optimiste, Il pense qu’une campagne éclair, ne laissant pas le temps à la gauche de s’unir et à la droite de s’organiser, et le réflexe républicain des électeurs, notamment de gauche, suffira pour l’emporter comme en 2017 et 2022. « Si vous ne me choisissez pas, vous aurez l’extrême droite au pouvoir ».  « Mieux vaut écrire l’histoire que la subir » ! Pense-t-il !

Partout, en France, en Europe, dans le monde, c’est la surprise. Pourquoi le président de la République prend-il le risque d’isoler la France, de bloquer l’Europe, de déstabiliser l’union des démocraties occidentales face aux puissances autoritaires coalisées. Le soir même, sur les plateaux de télévision, le chef de l’État est traité d’apprenti sorcier, de joueur de poker, de pompier pyromane, d’irresponsable, d’immature ! Sa décision est jugée stupéfiante.

Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée nationale, est convaincue « qu’il y avait un autre chemin qui était le chemin d’une coalition, d’un pacte de gouvernement ». Malgré trente-quatre motions de censure déposées en deux ans et des groupes inconciliables, l’Assemblée est parvenue à faire aboutir un certain nombre de réformes difficiles.

Les élections législatives se dérouleront les 30 juin et 7 juillet, deux semaines seulement avant le début des Jeux olympiques. Pendant cette courte période, les incidents, les rebondissements, plus rocambolesques les uns que les autres, furent quotidiens. J’ai raconté sur ce blog la folle journée du 10 juin, au cours de laquelle le président des Républicains, sans en parler à personne, annonça sur le plateau du 13 heures de TF1, que son parti devait conclure « une alliance avec le RN. Éric Ciotti avait fait aussitôt fermer la porte du siège du parti pour interdire l’entrée aux autres dirigeants des Républicains. Le bureau politique, réuni au Musée social, décide à l’unanimité d’exclure le président. Les propos tenus par les uns et les autres, sont ahurissants. Les images ont fait le tour du monde. Éric Ciotti n’a qu’une idée en tête, être le prochain maire de Nice et ministre de l’Intérieur dans le probable gouvernement Bardella. Lequel, avec Marine Le Pen, a besoin d’élargir son socle. Ils veulent faire « l’ union des droites » pour gagner les élections législatives ». Après avoir récupéré Ciotti, ils échangent avec Marion Maréchal, font des projets, puis renoncent.

Ce fut une campagne à perdre la raison. « Un temps de clarification indispensable » disait le chef de l’État, au soir de sa défaite aux européennes. Il ne renonce jamais à une provocation ! Son premier cercle commence à envisager de « démacroniser » la campagne. Édouard Philippe prend date, en déclarant que le président de la République a détruit sa propre majorité, Contre l’avis de ses soutiens, le chef de l’État se déploie sur tous les terrains ; à la télévision, dans une lettre aux Français. Il semble être dans le déni du rejet qu’il suscite. Il attaque, comme Foch !

De leur côté, Les formations de gauche, qui ont affiché leurs divisions à l’occasion du scrutin européen, se rassemblent au cri d’« unité », « unité », « unité ». Ils se mettent d’accord, dans l’heure, pour présenter « des candidatures uniques dès le premier tour », le 30 juin. Ils constituent le « Nouveau Front populaire ». Le 14 juin, dans les jardins de la Maison de la chimie, à Paris, l’écologiste, Marine Tondelier et ses camarades Fabien Roussel (PCF), Olivier Faure (PS) et Manuel Bompard (LFI) posent pour la photo de famille. Raphaël Glucksmann est absent. Pour lui, c’est la fin des « jours heureux ». Bernard Cazeneuve s’oppose à l’accord conclu entre les partis de gauche

Quel gâchis, se dit-on en contemplant le désastre, les réformes à l’arrêt et l’image dégradée de la France à l’international. « Bardella Premier ministre », apparaît très vite sur l’affiche de campagne du RN avec, en petits caractères : « Pour un gouvernement d’union nationale ». « On a demandé la dissolution, on l’a eue. Peut-être que si on demande Bardella à Matignon, on l’aura aussi ? »

Les promesses économiques du RN et du Nouveau Front Populaire suscitent l’inquiétude des milieux économiques et financiers. Elles sont incompatibles avec les politiques de l’Union européenne. Mises en application, elles pourraient conduire à la mise sous tutelle de la France.Les fonctionnaires nationaux et territoriaux se demandent s’ils continueront d’être payés l’année prochaine ? Les retraites seront-elles versées ? Les politiques publiques seront-elles financées ? Les taux d’emprunt se tendent.

Les sondages confirment que le RN peut obtenir la majorité absolue. Son président menace même de refuser le poste de Premier ministre s’il n’obtenait pas de majorité absolue. Dans un entretien au quotidien Le Télégramme, Marine Le Pen provoque le chef de l’État : « Chef des armées, pour le président, c’est un titre honorifique puisque c’est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse ». Comme les dirigeants LFI, elle espère obtenir la démission d’Emmanuel Macron.

Cinq jours avant le premier tour des élections législatives, la majorité sortante (20,5 %) semble loin du Nouveau Front populaire (29,5 %) et du Rassemblement national (36 %) dans les intentions de vote mesurées par l’IFOP pour Sud Radio, LCI et Le Figaro. En cet été 2024, la France n’a plus peur. Elle est fatiguée. Elle est en colère, désespérée.

Le 30 juin, les résultats tombent. Le Rassemblement national arrive en tête avec 33,1 % des suffrages exprimés, le Nouveau Front populaire (NFP), est derrière avec 28 %. Douze millions de Français ont voté RN. Il paraît évident que, sans désistement dans les triangulaires ou front républicain, le RN aura la majorité absolue le 7 juillet. À l’évidence, le Rassemblement national n’est pas préparé à gouverner : un Premier ministre sans aucune expérience, n’ayant pas fait d’études supérieures, un parti sans cadres expérimentés, en manque de hauts fonctionnaires très qualifiés. Que pourront-ils, et que sauront-ils, faire ? Sur l’Ukraine, sur le Proche-Orient, face aux engagements de l’UE et de l’OTAN, pour les finances publiques en France ? Les Français s’interrogent. Que se passera-t-il si aucune majorité ne se dégage au soir du 7 juillet ? Le scénario le plus probable, c’est qu’émergent trois blocs incapables de s’entendre pour gouverner le pays. Le risque est grand pour le Président d’être isolé, sans majorité, avec un gouvernement hostile et instable. La crise de régime menace !

Quel étrange été !

Les causes de cette situation ne sont pas nouvelles. L’immigration, la sécurité des Français, les conditions de vie. La désindustrialisation du pays a smicardisé les classes moyennes. Les réseaux sociaux ont bouleversé la circulation de l’information. Ceux qui ne nous veulent pas du bien, l’ont compris. Dmitri Medvedev, le Vice-président du Conseil de sécurité de la Russie, par exemple, donne ses « ordres », en ces termes : « Chaque jour, nous devons tâcher de nuire au maximum aux pays qui ont imposé des sanctions à notre pays. Nuire par tous les moyens. Saboter leurs économies, leurs institutions et leurs dirigeants. Nous en prendre à la prospérité de leurs citoyens. […] Détruire leur énergie, leur industrie, leurs transports, leurs banques et leurs services sociaux. Faire craindre l’effondrement imminent de toutes les infrastructures critiques. […] Ils ont peur de l’anarchie et d’une explosion de la criminalité dans les grandes villes ? Sabotons les autorités municipales ! Ils ont peur des explosions sociales ? Organisons-les ! » Il n’en faut pas plus pour désigner les responsables d’une série de sabotages, à la veille de la cérémonie des JO, sur des lignes de chemin de fer et sur les réseaux téléphoniques.

En moins de quarante-huit heures, 224 désistements bouleversent le choix présenté aux électeurs pour le second tour. Il y avait plus de 4.000 candidats avant le premier tour, ils ne sont plus que 1.100. Barrage au Rassemblement national ou Front républicain ? La France retient son souffle.

Le dimanche 7 juillet, l’annonce des résultats fait le même effet qu’un coup de tonnerre. L’alliance des Insoumis, écologistes, socialistes et communistes obtiendrait entre 188 et 199 sièges. L’alliance qui soutient le Président, arrive deuxième avec 164 à 169 sièges. Le RN n’arrive que troisième avec 135 à 143 sièges.

Le pays, dans ces conditions, va être ingouvernable. Jordan Bardella découvre à quel point « la roche tarpéienne est proche du Capitole » (arx tarpeia Capitoli proxima). Le « barrage républicain » a fonctionné. Pour le Rassemblement national, c’est une cruelle déception, un échec, que sa progression en sièges ne suffit pas à effacer. Les Français ont encore une fois dit « non » à l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen. Pour la gauche, c’est la divine surprise. Jean-Luc Mélenchon, dès 20 heures 05, prend la parole : « Le Président a le devoir d’appeler le Nouveau Front populaire à gouverner […] Il appliquera son programme, rien que son programme mais tout son programme. »

La « clarification » que le chef de l’État appelait de ses vœux, plonge la France dans la plus grande confusion. Emmanuel Macron a perdu son pari, il a perdu sa majorité relative, mais le résultat est inespéré. Il a évité le pire ! Il devra chercher une coalition introuvable et, pour ce faire, prendre son temps.

Les Français ne comprennent plus rien. Élisabeth Borne accusait sept points de retard sur le RN. Elle est élue avec près de treize points d’avance. La gauche a aidé à faire élire la Première ministre de la réforme des retraites et de la loi « immigration », deux textes qu’entend abroger le Nouveau Front populaire. Il y avait une urgence à dissoudre l’Assemblée mais il n’y a plus d’urgence à nommer un gouvernement.

Pour la première fois, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, destiné à donner une majorité claire le soir de l’élection, n’a pas fonctionné. La France, majoritairement de droite, vient de donner la victoire, relative, à la gauche. C’est la confirmation que la France, en ce début d’été 2024, est déboussolée !

Le chef de l’État, dans l’impossibilité de dissoudre l’Assemblée pendant les douze prochains mois, conformément à l’article 12 de la Constitution, a immédiatement fait savoir qu’il préférait « attendre la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires ». Il a le pouvoir de nommer qui il veut à Matignon. Il doit seulement s’assurer que la personnalité choisie est capable d’obtenir le soutien d’une majorité de députés.

Au soir du second tour surprenant, on comprend que les Français ne veulent pas d’un gouvernement Rassemblement national, mais on ne sait pas ce qu’ils veulent. On sait seulement que de très nombreux Français sont frustrés. Ceux qui ont voté pour le RN, estiment que des alliances et tripatouillages leur ont volé la victoire. Un certain nombre de Français, qui soutenaient le chef de l’État, déplorent le gâchis, le suicide, que la dissolution a provoqué. Ils craignent un retour aux pratiques de la IVe République.

Le Premier ministre Gabriel Attal démissionne, comme c’est la règle, et manifeste sa mauvaise humeur : « Cette dissolution, je ne l’ai pas choisie, mais j’ai refusé de la subir ». En attendant la nomination d’un nouveau chef du gouvernement. Il devra gérer les affaires courantes et assurer la continuité de l’État durant les Jeux olympiques. Dans un communiqué commun, les quatre formations politiques du NFP interpellent très vite le président de la République. Ils l’exhortent à « se tourner immédiatement vers le Nouveau Front populaire pour lui permettre de former un gouvernement ». L’alliance de gauche met « solennellement » en garde Emmanuel Macron contre un maintien prolongé de Gabriel Attal à Matignon.

Les Jeux Olympiques approchent. Le pays est en crise. Les Français, dans leur grande majorité, voudraient de l’ordre. C’est le désordre qui menace l’été 2024.


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