Les enfants n’auront pas seulement la charge de rembourser les 2 000 milliards de dettes que la France va leur léguer, ils devront aussi – et surtout – reconstruire un héritage culturel volontairement dilapidé par un système éducatif qui s’obstine à ne pas transmettre. Tout le monde sait pourtant que c’est dans l’éducation que se joue l’avenir de la France.
De nombreux parents, enseignants, éducateurs, soucieux de transmettre la culture qu’ils ont reçue, sont trop souvent malheureux, décontenancés, face à un système qui impose une idéologie à laquelle de nombreux enseignants n’adhèrent pas, loin de là, mais qu’ils ont l’obligation d’appliquer.
Un jeune normalien, François-Xavier Bellamy, qui enseigne en classe préparatoire, a publié au mois d’août dernier, « Les déshérités, ou l’urgence de transmettre » (Editions Plon, 240 pages- 17 €), un remarquable essai sur ce qu’il faut bien appeler la crise de l’éducation, la faillite de l’enseignement. Comment appeler autrement le refus délibéré de transmettre la culture, « de rendre à la jeunesse les savoirs dont ses aînés ont hérités ». Le jeune philosophe explique les raisons pour lesquelles l’institution de la rue de Grenelle, depuis cinquante ans, applique la thèse de Bourdieu et s’acharne à faire l’éloge de l’enfant vierge de toute aliénation. L’auteur revisite les théories de Descartes et Rousseau, avant celles de Bourdieu, qui dénonçaient en bloc la culture, la transmission, le livre et même le langage dont Roland Barthes disait, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, en 1977, « qu’il était tout simplement fasciste » !
« Au nom de quoi éduquer, écrivait François-Xavier Bellamy dans la présentation qu’il faisait de son livre sur son blog, au mois d’août ? La responsabilité de l’adulte envers l’enfant a-t-elle une légitimité, un sens, une valeur ? La réponse à ces questions ne va plus de soi. » Son travail de recherche, son enquête, « sur les traces d’un séisme dont les conséquences sont multiples, est passionnant ».
La postmodernité, c’est n’être précédé par rien. Les pères de cette théorie, qui ont tant profité de l’Ecole, jusqu’à prétendre au Collège de France, atteignent bizarrement les sommets de l’ingratitude. Pour eux, et leurs disciples, déconstruire le patrimoine culturel qui s’acquiert, au profit d’un supposé savoir que chaque élève se construirait, acquérir des connaissances sans maîtres, librement, sans contraintes, mettre l’élève sous la conduite la plus discrète possible de pédagogues réduits au rôle d’animateurs, permettre ainsi à l’élève d’élaborer son propre savoir, serait la meilleure méthode éducative et aurait le mérite de mettre tous les élèves sur un pied d’égalité.
En quoi consiste cette théorie ? Ce que nous transmettons, c’est ce qu’il est convenu d’appeler la culture, un fardeau dont les enfants ne doivent plus se charger. L’idée est donc de faire en sorte que l’enfant produise, par ses propres moyens, son savoir personnel. Pour ce faire, les cours magistraux doivent lui être épargnés, le « par cœur » évité. La culture, de nos jours, n’aurait plus de sens. Elle ne serait plus qu’un luxe, une distraction, comme la visite des musées, le théâtre ou le cinéma. Pour ce qui concerne l’utilité, l’efficacité, la masse des données offerte sur internet est très suffisante. Il n’est plus nécessaire d’apprendre autre chose que le « savoir utiliser le Web et les outils nu numérique ». Il suffit de voir faire les enfants pour s’en convaincre. Pourquoi stocker dans son cerveau, ce qui est si facilement accessible ? Les savoirs seraient discriminants, puisqu’ils sont le capital dont héritent les privilégiés. Ce libérer de la culture, c’est devenir libre et respectueux de l’égalité !
Le moins que l’on puisse dire, c’est que, jusqu’à présent, cette méthode ne produit que de bien pauvres résultats. L’enquête PISA, publiée en 2013, révélait que « l’école française est aujourd’hui celle des pays de l’OCDE où l’origine sociale des enfants pèse le plus lourd dans les résultats scolaires ». L’école française serait donc devenue la plus inégalitaire d’Europe. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un sondage récent, réalisé par l’Ifop pour la Fondapol, montre que 67 % des Français ayant des enfants scolarisés sont demandeurs d’un soutien scolaire à l’école.
« La négation de la différence et la révolte contre la culture sont l’effet d’une seule et même rupture », écrit François-Xavier Bellamy. « L’ignorance, traduite par la pauvreté de la langue usuelle, uniformise ce que la culture permet de différencier. Dans un tableau que l’on n’a pas appris à regarder, aucune singularité ne se distingue : littéralement, on ne voit rien. Dès lors, tout se vaut, et si tout se vaut, rien ne vaut. » C’est alors, en toute innocence, le début de la barbarie.
«Vous n’avez rien à transmettre» : ces mots, prononcés à plusieurs reprises par un inspecteur général qui nous accueillait dans le métier le jour de notre première rentrée, avaient quelque chose de si étonnant qu’ils ont profondément marqué ma mémoire. «Vous n’avez rien à transmettre», fut le point de départ de la réflexion de François-Xavier Bellamy.
Comment reconstruire, inculquer à nouveau l’apprentissage de la langue, le plaisir de la lecture, transmettre ? François-Xavier Bellamy a des idées. Il les esquisse à la fin de son ouvrage.
Qualifié facilement de réactionnaire, de conservateur, l’auteur s’exprime pourtant avec modération. Il ne cherche pas à choquer. Il réfléchit, il étudie, il argumente et conteste les théories qu’il dénonce avec un certain respect. Ce qu’il veut, c’est engager le débat avec l’expérience qui est la sienne, d’enseignant, de pédagogue de bonne volonté. Il faut lire son livre, sans sectarisme. Remarquablement écrit, cet ouvrage, qui peut être lu par tous, est un éloge de la culture, c’est-à-dire de tout ce qui fait l’humanité de l’homme.
Adresse électronique du blog de François-Xavier Bellamy : www.fxbellamy.fr/blog/page-d-exemple/bio/
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