Une religion que pratiquent des hommes aussi différents que le général Pierre de Villiers, ancien chef d’état-major des armées, Le philosophe Alain Finkielkraut, l’ancien député européen Daniel Cohn–Bendit, Pascal Boniface, le fondateur directeur de l’IRIS, le géopolitologue Dominique Moïsi, des femmes, de plus en plus nombreuses, et des habitants de notre planète qui se comptent en centaines de millions, si ce n’est en milliards.
Une religion qui a ses athées, pour qui certaines valeurs doivent l’emporter sur la passion, comme le philosophe Michel Onfray, mais aussi des anciens joueurs comme Éric Cantona, Philipp Lahm, capitaine de l’équipe d’Allemagne championne du monde 2014, des artistes, comme Vincent Lindon, des dirigeants politiques, comme Jean-Luc Mélenchon, François Hollande, ancien président de la République, pourtant amateur de foot, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, ou Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT et Sandrine Rousseau, que le monde entier nous envie, qui estime que les joueurs de l’équipe de France sont « des pleutres » et déplore leur manque de « courage ». Ce Mondial est une « aberration écologique » dont le coût s’élèverait à plus de 220 milliards de dollars directement et indirectement investis. Il faut dire que les raisons du malaise sont nombreuses : Conditions d’attribution de la compétition, morts d’ouvriers dans le cadre des travaux d’infrastructure, impact environnemental de l’événement…
Des municipalités, Paris, Marseille, Bordeaux ou Lille, ont appelé au boycott et ont refusé de diffuser les rencontres sur des écrans géants. Ces décisions, plus individuelles que collectives, n’ont pas fait l’unanimité. Le maire de Dijon, François Rebsamen, par exemple, a qualifié le boycott de « démagogique ». Ces appels n’ont guère été entendus. En Europe, un peu, pas en Amérique latine, ni en Asie et encore moins dans le monde arabe. Les considérations éthiques et morales sont submergées par la passion qui anime le peuple du foot. Car si le mot peuple, dont se prévalent, s’approprient, tant de populistes, de droite, comme de gauche, à un sens, c’est bien celui-là, en la circonstance.
Quand Benzema, ballon d’or 2022, habituellement économe de ses paroles, déclare, le jour de la remise du trophée tant convoité : « Je l’ai fait, pour le peuple », il dit vrai ! Les joueurs de foot font battre les cœurs, fabriquent des émotions.
Sur les réseaux sociaux, le débat a été vif. À Doha, dans les rues, dans les stades, la fraternité et le respect des peuples, font plaisir à voir. Les passionnés de foot, partagés entre l’attachement à des valeurs morales et l’envie de vivre des émotions incomparables à l’occasion des compétitions, ont choisi.
La passion du foot 1 – L’appel au boycott 0 !
Le sport a, de tout temps, été la continuation de la politique par d’autres moyens. Pour un État, organiser une grande compétition mondiale, c’est exposer sa puissance. La Chine, qui n’est pas plus une nation de football que le Qatar, est candidate à l’organisation du Mondial 2030, avec de fortes chances de convaincre la FIFA après le CIO.
Le jour de la cérémonie d’ouverture, l’émir du Qatar avait invité à siéger à ses côtés le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, et le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, ses ennemis préférés. La FIFA avait refusé la demande de sept fédérations européennes de laisser leurs joueurs porter le brassard « One Love », symbole de lutte contre les discriminations. Les joueurs allemands, le 23 novembre, avant leur match contre le Japon, ont, pour la photo, posé la main sur la bouche. Quand l’hymne iranien a été joué, le 21 novembre, avant leur match contre l’Angleterre, les joueurs sont restés silencieux en solidarité avec le peuple iranien qui souffre.
Sur place, les supporters de toutes les nationalités présentes, vantent l’organisation de l’événement, l’ambiance qui règne dans les rues, la qualité des équipements des services, la propreté des sites. Le Crédit Agricole, partenaire majeur de l’Équipe de France, avec son slogan : « Ils ne jouent pas au foot, ils font battre des cœurs » résume assez bien l’esprit qui règne. Les cœurs battent parfois un peu trop vite. Un journaliste américain est décédé le 9 décembre à Doha, à la fin du match entre l’Argentine et les Pays-Bas. Grant Wahl, bouleversé par des émotions trop fortes, s’est effondré dans la tribune de presse.
Le populaire Olivier Giroud, porté par une foi chrétienne, qui n’a rien à envier à celle, légendaire, des joueurs Brésiliens, entraîne ses coéquipiers, le public, les Français. Comme son sélectionneur, il incarne l’espérance d’une nation avec une détermination, un dépassement de soi, communicatif. Quand il le voit ne rien céder à l’adversaire, se battre ou éclater de joie, le peuple se reconnaît en lui. Pas étonnant que les passions tristes soient balayées par tant d’espérance.
Arsène Wenger, le célèbre sélectionneur, n’a pas tort quand il déclare : « Les équipes qui sont venues ici pour le football, qui avaient la tête à la compétition et non à la politique, ont fait une belle entrée en lice dans ce Mondial ».
Samedi soir, le match France Angleterre, gagné par la France (2-1) a, une nouvelle fois, battu des records d’audience sur TF1. Il a rassemblé en moyenne 17,72 millions de téléspectateurs, pour 62,8 % de part d’audience, selon Médiamétrie, avec un pic d’audience à 20 millions à 22 heures.
L’espace d’une Coupe du monde, un match comme celui qui va opposer en demi-finale le Maroc à la France, va, avec internet, la télévision, les réseaux sociaux, faire ce que des dirigeants politiques ne pourraient jamais faire pour surmonter leurs rivalités : unir les 350 millions d’habitants des pays arabes. Ce n’est pas seulement la religion qui les unit, c’est l’identité arabe, la langue et, sans doute un certain nombre de valeurs communes. Le sport en général et le football en particulier, ont la capacité de réaliser ce miracle. C’est en cela, qu’il est une sorte de religion.
Il faut espérer que les sifflets entendus pendant la Marseillaise, lors de la confrontation entre la Tunisie et la France, ne se renouvelleront pas et surtout, quel que soit le résultat de Maroc – France, ne s’accompagneront pas de débordements regrettables susceptibles de jeter une ombre sur ce Mondial, jusque-là, réussi.
Mercredi soir, la Préfecture de Police s’attend à ce que les Champs-Élysées soient à nouveau envahis par des milliers de supporters agitant le drapeau rouge étoilé et le drapeau palestinien, dans un concert de klaxons. Il en sera sans doute de même à Nice, Lille, Fréjus, comme ce fut le cas récemment à Bruxelles, après la victoire marocaine contre la Belgique le 27 novembre.
Les victoires du Maroc sur les anciennes puissances coloniales n’expriment pas seulement la qualité de son football et de son esprit d’équipe. Elles sont aussi l’espoir du monde arabe et de l’Afrique. Il ne faudrait pas que l’euphorie aidante, elles aient un parfum de revanche politique, toujours à craindre, dans le Moyen Orient, en Algérie, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, et dans l’ensemble du continent africain, comme du monde arabe.
À Doha, le Maroc joue à domicile. Walid Regragui, le sélectionneur des Lions de l’Atlas, après la victoire de son équipe en quart de finale, a remercié les supporters locaux en ces termes : « De par notre religion et nos origines, pour une première Coupe du monde dans le Moyen-Orient et dans le monde arabe, il y a des gens qui vont s’identifier à nous. S’ils peuvent nous voir un peu comme un porte-drapeau, on sera contents de les rendre heureux. » Par-delà les nationalismes, ces peuples partagent, en effet, un héritage historique et culturel qui dépasse l’esprit de solidarité, pour les unir dans une fraternité.
Il ne faudrait pas que pour répondre au « Qatar bashing », cette compétition mondiale devienne la « Coupe du monde des Arabes », comme elle avait été la « Coupe du monde des Européens », en 2018, en Russie. Le poids de l’événement va être lourd à porter pour Achraf Hakimi, le meilleur ami de Kylian Mbappé au PSG.
Le foot est une religion. Il ne faudrait pas qu’il provoque une guerre de religions !
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