A la veille de l’été 2016, l’homme qui a succédé à François Hollande était encore peu connu. « Et si c’était lui ? », écrivait Le Point. L’intéressé, lui-même, promettait d’être l’énigme politique de 2016. Le chef de l’État avait rencontré pour la première fois Emmanuel Macron en 2006. Son intelligence, son imagination et, sans doute son culot, avaient probablement séduit François Hollande qui, par la suite, en fit, à 36 ans, un secrétaire général adjoint de l’Elysée. A Amiens, sa ville natale, le 7 avril 2016, le ministre de l’Économie officialisa le lancement de son mouvement « Ni à droite, ni à gauche » à ses initiales. Il feignait alors de ne pas penser à la présidentielle. « Ce n’est pas ma priorité aujourd’hui« , disait-il. « C’est un nouveau mouvement politique et je ne sais pas si cela va réussir. Mais, si l’on veut être cohérent, il faut prendre le risque« . Aux Français venus l’écoutaient, dans ses « rencontres citoyennes » il précisait humblement : Ce mouvement sera ce que vous en ferez » !
Comme il l’avait fait en 2011, dans la revue « Esprit », Emmanuel Macron dissertait sur trois questions : la temporalité du politique, le statut de l’action politique, sa recomposition souhaitable. Il y a, selon lui, un hiatus « entre l’émergence des problèmes de long terme, complexes, structurels » (le climat, la dette publique, la régulation financière internationale, notamment) et « des urgences économiques, sociales, démocratiques dont le non-traitement immédiat est perçu comme insupportable par les opinions publiques » (le chômage, la sécurité, la crise du logement, etc.). Le politique ne sait pas gérer ce hiatus. Il ne sait pas non plus gérer l’action politique, la réforme et le réel, l’action et la loi, la complexité de l’espace et le temps. Les lois sont mal appliquées, les politiques publiques peu évaluées. Enfin, comment restaurer la confiance dans la parole politique ? Emmanuel Macron défendait l’idée qu’il fallait une « redéfinition claire des responsabilités politiques » à tous les échelons, une « animation permanente du débat » qui permette « d’infléchir la décision, de l’orienter, de l’adapter au réel » et, enfin, sortir du discours technique « qui égrène des mesures » et proposer « une vision de la société et sa transformation en un autre monde ».
Ceux qui avaient participé au rapport Attali de 2008, ou l’avaient lu, ne pouvaient être surpris. Emmanuel Macron en avait été l’un des principaux rédacteurs. Le temps long, la nécessité de ne pas se laisser enfermer dans un système, faisait partie des concepts qui figuraient dans ce rapport. Le monde nouveau n’est pas compatible avec le discours social-démocrate ou social libéral qui constitue l’idéologie des partis traditionnels de gouvernement. Les transgressions qu’il prônait étaient déjà visibles à l’œil nu. Nostalgique d’une certaine forme de monarchisme, partisan de l’enrichissement des jeunes élites, d’une diminution de la place de l’État, de la fin du statut de la fonction publique, de la fin l’égalitarisme de gauche, du clivage droite-gauche, partisan d’une augmentation du temps de travail, le futur chef de l’État avait déjà des idées bien arrêtées.
Les commentateurs comprenaient que ce nouveau venu dans le paysage politique tentait d’incarner une deuxième gauche 2.0. Son discours volontariste, précis, nouveau, sans langue de bois, surprenait. La une de Paris Match avec sa femme et la mention « Ensemble sur la route du pouvoir » ne passa pas inaperçu. 300 000 exemplaires furent vendus. L’intéressé s’excusa : « C’était une maladresse, ce n’est pas une stratégie que l’on reproduira. »
Le 12 juillet 2016, à la Mutualité, devant 3 000 jeunes sympathisants déjà convaincus, le ministre, sans cravate, prononça un discours moderne, sans véritables propositions, mais destiné surtout à ringardiser les autres acteurs de la vie politique qui ne comprenaient rien au monde nouveau, au XXIe siècle.
Dans le même temps, Jean-Luc Mélenchon prenait de vitesse le Parti communiste sur le plateau du 20 heures de TF1 en annonçant : « Je propose ma candidature pour l’élection présidentielle de 2017 ». Bernie Sanders était alors son modèle. Il serait le porte-parole de « la France insoumise » et ferait campagne en dehors des partis. Deux jours avant, Marine Le Pen avait, de son côté, rompu le silence qu’elle s’était imposé pour confirmer sa candidature. Elle dévoilait à cette occasion son slogan de campagne : « la France apaisée ». A six mois de la primaire à droite, Sarkozy dégringolait dans les sondages. Le 18 juin, le conseil national du Parti socialiste (PS) avait, à l’unanimité, décidé qu’il y aurait une » primaire de La Belle Alliance populaire « , à laquelle le président de la République devrait se soumettre, le 22 janvier 2017. Cette décision pouvait permettre à François Hollande, en cas de victoire, de se relégitimer auprès de l’électorat de gauche. Cette primaire comportait aussi des risques pour le chef de l’État. Le fait que François Hollande soit obligé de se soumettre à une compétition interne montrait à quel point il était affaibli. Candidat, il devrait affronter les critiques et des adversaires plus ou moins respectueux.
En ce début d’été 2016, certains commençaient à se demander si l’Europe peut mourir. Ils comparaient l’ambiance à celle que décrivait Stefan Zweig dans Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, en 1941. L’Europe est incapable de se défendre sans l’OTAN. Avec l’élargissement inconsidéré, elle a perdu son identité. Dès que Vladimir Poutine manifeste son intention d’élargir sa zone d’influence, l’Europe est impuissante. En Ukraine, en Syrie, l’Europe parle mais n’a pas les moyens d’agir. Trop lourde à 28 pour prendre des décisions, elle ne parvient même pas à résister aux dérives des pays d’Europe de l’Est – Hongrie, Pologne, Slovaquie, qui craignent pour leur sécurité et n’ont confiance que dans les USA. L’euro survivra-t-il ? Le manque de leadership, rappelait souvent Helmut Kohl, conduit à la République de Weimar dont chacun connaît la fin.
Ce n’est pas la campagne officielle du référendum sur la place du Royaume-Uni dans l’Union européenne qui était de nature à rassurer. Le Premier ministre, David Cameron, savait que la question divisait son parti, mais il voulait tenir sa promesse. En face de lui, le camp favorable à une sortie du pays de l’UE, emmené par le très populaire maire conservateur de Londres, Boris Johnson, promettait aux Britanniques un avenir radieux hors de l’UE.
Les ministres des finances réunis au Japon estimaient que la sortie de la Grande Bretagne de l’Union européenne présentait un risque non seulement pour les Britanniques mais aussi pour l’économie mondiale. Les sondages étaient serrés, mais tout de même favorables au maintien dans l’UE. Quelle influence aura cette série d’avertissements ? Aucun, au contraire, comme l’avenir le montrera !
Emmanuel Macron était une énigme, mais ce n’était rien à côté de Donald Trump. Est-ce que ce promoteur immobilier fantasque pouvait être le prochain président des États-Unis ? Comment avait-il pu obtenir l’investiture du parti majoritaire au Congrès ? Pourquoi, de nombreux Américains pouvaient être convaincus qu’il est la personne qu’il faut au moment où il faut ? Telles étaient les questions que nous nous posions en ce début d’été 2016.
Les oubliés de la mondialisation, les perdants de la désindustrialisation, étaient très nombreux et les partis démocrate et républicain ne les représentaient plus. Donald Trump, en homme d’affaires avisé, l’avait très bien évalué. Il avait fait son étude de marché pour répondre à la demande. La mondialisation produisant plus de perdants que de gagnants, une campagne populiste avait toutes les chances de se révéler payante. C’est ainsi que le candidat républicain promettait, notamment, de remettre le cap sur les énergies fossiles – gaz, pétrole, et charbon – afin de rendre le pays indépendant. Il avait promis d’« effacer » les accords de Paris sur le climat. Son discours sur l’énergie était destiné à confirmer qu’il voulait restaurer la grandeur de l’Amérique.
Hillary Clinton, de son côté, venait de recevoir l’investiture démocrate. « Grâce à vous, nous avons franchi une étape importante. C’est la première fois dans l’histoire de notre pays qu’une femme est investie par l’un des grands partis », avait-elle déclaré devant ses partisans réunis à Brooklyn (New York). La candidate s’était alors lancée dans une critique virulente de Donald Trump : « Quand Donald Trump dit qu’un juge distingué, né dans l’Indiana, ne peut pas faire son travail à cause de ses origines mexicaines, ou qu’il se moque d’un reporter handicapé, ou traite les femmes de truies, cela va à l’encontre de tout ce en quoi nous croyons », avait lancé Hillary Clinton. Les choses se présentaient bien pour elle !
En Europe, l’évolution de la Turquie vers l’autocratie inquiétait. Ce pays, membre de l’OTAN, qui avait représenté un modèle pour les pays de la région, s’éloignait de l’Europe après avoir demandé son adhésion. Le président Erdogan voulait maintenant un pouvoir » fort « , sans partage. Il avait mis au pas la plupart des grands corps de l’État, de la police à la justice. Il limitait la liberté de la presse et emprisonnait des journalistes, des avocats, des défenseurs des droits de l’homme, au nom de la sûreté de l’État. Il ne supportait plus aucun contre-pouvoir. La Turquie n’est plus une démocratie au moment où l’Union européenne a besoin d’elle pour réguler le flux des réfugiés de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan.
C’est dans ce contexte européen et mondial que se mettaient en place les acteurs de la prochaine élection présidentielle en France. Un contexte inquiétant. L’accession au pouvoir de partis populistes d’extrême droite dans les pays démocratiques se précisait. Marine Le Pen caracolait en tête des sondages.
Il y a un an, une éternité…
A suivre…
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