« Ce type est incroyable. Il fait un sans-faute. S’il ne commet pas les erreurs que j’ai faites, il va aller très loin, on ne pourra pas l’arrêter. Avec l’âge, je suis devenu modeste : Macron, c’est moi en mieux. » Rapportée cette semaine par le « Canard enchaîné », cette déclaration de l’ancien président au journal Le Soir de Bruxelles, eut été inimaginable il y a un an quand les politiques disaient qu’Emmanuel Macron n’était qu’une « bulle » qui n’allait pas tarder à éclater, qu’être dans le vent, c’est avoir le destin d’une feuille morte, que, sans parti politique, il était impossible sous la Ve République d’être président de la République. Il n’avait jamais été élu, c’était la première élection jamais disputée par Emmanuel Macron ; et pas la moindre : la présidentielle, élection reine.
Les commentateurs et les politiques, qui observaient le phénomène Macron avec un certain amusement, n’avaient pas attaché suffisamment d’importance à deux événements en particulier. Le dimanche 8 mai 2016, au pied de la cathédrale d’Orléans, Emmanuel Macron avait rendu hommage à Jeanne d’Arc dans un discours truffé d’allusions et de ressemblances avec le chemin politique qu’il empruntait. La lecture de ce discours est aujourd’hui très utile pour comprendre l’exploit réalisé.
Certes, il disait « ne pas croire » dans l’homme ou la femme providentielle, mais dans le discours du fondateur du mouvement politique En Marche, les allusions sont voulues quand il dit : « sa trajectoire est nette, Jeanne fend le système, elle brusque l’injustice qui devait l’enfermer […] Jeanne se fraye un chemin jusqu’au roi, c’est une femme mais elle prend la tête d’un groupe armé et s’oppose aux chefs de guerre […] Elle était un rêve fou, elle s’impose comme une évidence […] Jeanne est dans cette France déchirée, coupée en deux, agitée par une guerre sans fin qui l’oppose au royaume d’Angleterre. Elle a su rassembler la France pour la défendre, dans un mouvement que rien n’imposait. Tant d’autres s’étaient habitués à cette guerre qu’ils avaient toujours connue. Elle a rassemblé des soldats de toutes origines. Et alors même que la France n’y croyait pas, se divisait contre elle-même, elle a eu l’intuition de son unité, de son rassemblement », a salué celui dont le mouvement n’est « ni à droite ni à gauche ». À la fin de son discours, Emmanuel Macron dit : « voilà pourquoi, les Français ont besoin de Jeanne d’Arc car elle nous dit que le destin n’est pas écrit ».
L’autre événement, passé à peu près inaperçu, s’était produit quand la revue « Esprit » publia, en mars-avril 2011, un article d’Emmanuel Macron intitulé « Les labyrinthes du politique » avec pour sous-titre : Que peut-on attendre pour 2012 et après ?
Dans cet essai, le haut fonctionnaire faisait le constat que « Le discours comme l’action politique ne peuvent plus s’inscrire dans un programme qu’on proposerait au vote et qu’on appliquerait durant les cinq années du mandat. La présidentialisation pousse à ce modus operandi qui cependant n’est plus adapté aux contraintes de temps et de complexité de l’action publique ». Il ajoutait : « En effet, une fois l’élection passée la réalité arrive, les changements surviennent et l’application stricte des promesses, si elle a un sens politique − faire ce qu’on a promis afin de préserver la plénitude de la parole politique de manière symbolique et glorifier la notion de mandat −, peut conduire à l’échec ou à des aberrations […] La notion de programme politique − qui voudrait qu’on décide à un instant les mesures et le travail gouvernemental des années à venir en s’y tenant de manière rigide et sans le rediscuter régulièrement − n’est en effet plus adaptée. » Pour conclure : « Dès lors, que faire ? Comment restaurer une forme de discours et de responsabilité politique qui rétablisse la confiance dans la parole politique et l’action politique ? On ne peut ni ne doit tout attendre d’un homme et 2012 n’apportera pas plus qu’auparavant le démiurge. Loin du pouvoir charismatique et de la crispation césariste de la rencontre entre un homme et son peuple, ce sont les éléments de reconstruction de la responsabilité et de l’action politique qui pourraient être utilement rebâtis. »
Je ne sais pas si l’homme rêvait d’être un jour président de la République, mais nul ne peut contester qu’il y avait réfléchi et qu’il y pensait quand il écrivait : « La redéfinition claire des responsabilités politiques apparaît une condition première. Les décentralisations successives ont conduit à un écheveau de compétences croisées qui nuit à l’efficacité et à la clarté. Attribuer à chaque collectivité des compétences et des moyens est la condition première d’une clarification des responsabilités qui permettra au citoyen comme aux acteurs économiques d’identifier des interlocuteurs et de pouvoir juger les élus sur des faits identifiables. Qui sait aujourd’hui ce que fait la région ou le département ? Comment juger de la qualité de son action, du bien-fondé de ses choix ? Cette clarification est la première condition de l’efficacité de l’action politique et avec elle ce qui permettra aux politiques de s’engager et donc de se porter responsables de leurs actions.
L’action politique nécessite ensuite l’animation permanente du débat. Le théâtre de la décision ne peut être l’énoncé d’un programme électoral qui sera ensuite débattu − de manière accessoire et pré- écrite − pour être appliqué verticalement. L’action politique est continue et le débat participe de l’action. C’est la double vertu du parlementarisme et de la démocratie sociale que notre République a encore trop souvent tendance à négliger. La phobie de la IIIe et de la IVe Républiques condamne pour beaucoup le rôle du Parlement (dans les faits et les institutions, il demeure encore second) et la tradition anarcho-syndicaliste en même temps que l’aversion d’une grande partie du patronat au dialogue social ont, jusqu’à présent, rangé au rang de fantasme l’émergence d’un véritable dialogue social en France. Or la décision politique ne peut plus avoir un locuteur unique. Parce que l’action est complexe et le terrain d’application multiple, elle doit se discuter, s’amender, se corriger, se décliner au niveau le plus adapté. Tel est le but de ces chambres de décantation qui n’ont pas à être médiatiques mais sont les instances mêmes d’émergence de l’intérêt général.
L’action politique contemporaine requiert une délibération permanente. Non pas le débat corseté et organisé qui prépare la prise de parole et le programme d’un candidat face au peuple mais une délibération qui permette d’infléchir la décision, de l’orienter, de l’adapter au réel.
Enfin, dans ce contexte, le politique n’est plus celui qui doit proposer seulement des mesures ou un programme. Il doit définir une vision de la société, des principes de gouvernement qui doivent ensuite être débattus, mis en œuvre par autant de décisions politiques qui sont celles de la démocratie contemporaine, de l’arbitrage et de la transparence permanents.
Dès lors, ce qu’on attend du politique, lors d’échéances comparables à celles d’une élection présidentielle, c’est une vision d’ensemble, un corpus théorique de lecture et de transformation du social. Contrairement à ce qu’affirme une critique postmoderne facile des « grands récits », nous attendons du politique qu’il énonce de « grandes histoires ». C’est-à-dire l’articulation d’un débat sur la rupture avec le quotidien, avec les contraintes, qui pose la question double du sens de l’action et des choix collectifs en même temps que la question des préférences collectives. Il est temps en effet pour redonner à l’idéologie sa forme contemporaine. Le discours politique ne peut être seulement un discours technique qui égrène des mesures. Il est une vision de la société et de sa transformation […] seule l’idéologie permet de remettre en cause l’entêtement technique, la réification d’états de fait ; seul le débat idéologique permet au politique de reposer la question des finalités, c’est-à-dire la question même de sa légitimité et de penser son action au-delà des contraintes factuelles existantes. L’idéologie, dans un système démocratique mature, délibératif, est une condition même de restauration de l’action politique, au-delà d’un ensemble de mesures, comme étant une capacité à proposer un autre monde et, ce faisant, à s’engager dans le temps au nom des principes.
Responsabilité, délibération et idéologie constituent en effet le triptyque d’un discours et d’une action politique réinventés. C’est cela qu’on peut espérer advenir en 2012, avec une naïveté assumée. »
Macron fut d’abord une bulle, puis élu par défaut et incapable d’avoir une majorité.
Trois jours avant le premier tour de scrutin des élections législatives, le 11 juin, les partis de droite et de gauche, et leurs candidats, sont en perdition. L’électorat, dans son ensemble, considère qu’Emmanuel Macron a réussi ses premières semaines. En un mot : » Il faut lui laisser sa chance. » Si cet homme a de la chance, tant mieux, tant mieux pour la France. Si cet homme a du talent, c’est encore mieux.
Dans la reconstitution de ces mois qui ébranlèrent le monde, l’Europe et la France, nous verrons que si la chance a souvent été au rendez-vous, il a fallu beaucoup de volonté et de détermination pour forcer le destin et franchir les obstacles.
Gérard Courtois a raison d’écrire dans le journal Le Monde que si les Français ont pour habitude de ne pas se déjuger aux législatives, il n’était pas écrit qu’Emmanuel Macron, parti de rien, serait capable de réussir son pari. Ce pari avait « été annoncé de longue date par le candidat Macron, enclenché par sa victoire et consolidé par la constitution d’un gouvernement associant des responsables de gauche, de droite, du centre et d’ailleurs. Il est confirmé par la dernière vague de l’enquête électorale du Cevipof, réalisée par Ipsos et publiée dans nos colonnes le 3 juin. Les candidats qui se réclament du chef de l’Etat ne bénéficient pas seulement, globalement, d’une solide avance dans les intentions de vote (31 % contre 22 % à la droite, 18 % au FN, 11,5 % à La France insoumise et 8,5 % aux socialistes). Ils vont, en outre, dans bien des cas, se retrouver au second tour en position centrale et gagnante, soutenus par la gauche quand ils affronteront des candidats du FN ou des Républicains et symétriquement rejoints par la droite modérée quand ils seront opposés à des candidats de la gauche radicale ou frondeuse. Bref, la recomposition de grande ampleur du paysage politique qui s’annonce ne relève pas de la bonne fortune. Mais d’une stratégie soigneusement pensée et dont on n’a pas fini de mesurer l’onde de choc. Il ne manquerait plus que le chef de l’Etat bénéficie maintenant d’une conjoncture économique favorable ! »
A suivre…
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