Les commentateurs ont salué la prestation du nouveau chef de l’Etat sur la scène internationale. La séquence n’était pas sans risque pour un homme qui n’avait aucune expérience dans ce domaine. Est-ce de la macronite aigüe ? Oui, sans doute, mais il a fait face à Donald Trump et à Vladimir Poutine avec une dignité et une fermeté qui ont été saluées par les spécialistes qui suivent ces rencontres internationales. Il est indéniable que les Français sont fiers de leur nouveau président et de son entrée réussie dans la cour des Grands.
Quel chemin parcouru depuis un an !
En avril 2016, Nicolas Truong, journaliste au Monde, avait posé la question suivante à Michel Serres : « En 2012, vous disiez que la campagne présidentielle était une campagne de » vieux pépés « . Vous confirmez ? » Le professeur à l’université de Stanford, membre de l’Académie française, lui avait répondu : « Et comment ! Cette élection risque même d’être celle des grabataires… Le monde réel est totalement décalé par rapport à celui de la décision politique. Or toutes nos institutions datent d’une époque révolue. Il faudrait tout changer. Et pour cela regarder autrement notre histoire. J’ai vibré à la manifestation du 11 janvier 2015 – au lendemain des attentats des 7, 8 et 9 janvier à -Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher -. J’ai eu l’impression que le monde d’aujourd’hui, celui d’une jeunesse et d’un peuple sans haine ni ennemis déclarés, s’exprimait enfin. Soyons fidèles à cette manifestation d’un nouveau monde. » L’académicien ajoutait : « Le bouleversement du monde, notamment provoqué par l’essor du numérique et la mondialisation, est comparable à ce que nous avons vécu lors de la Renaissance. C’est une transformation profonde qui bouscule les habitudes de pensée des intellectuels, dont beaucoup soutiennent en chœur que » c’était mieux avant « . J’y vois un effet de réaction à l’avènement d’un nouveau monde qui change le rapport aux savoirs, aux femmes et aux peuples autrefois dominés. Ces intellectuels me font penser à ces docteurs de la Sorbonne qui lisaient avec effarement et incompréhension Montaigne et son entreprise de décentrement du monde ou bien Rabelais et ses dix manières de se torcher le derrière. » Michel Serres n’est pas un homme politique, il pouvait donc, il y a un an, dire tout ce qu’il pensait, sans langue de bois.
Le 11 avril 2016, Laurent Delahousse avait reçu Emmanuel Macron, que certains commentateurs appelaient méchamment « le petit marquis poudré ». Ils ont, tous les deux, fréquenté la même école d’Amiens, La Providence d’Amiens. Les questions que le journaliste posait étaient les questions que les téléspectateurs auraient voulu poser à ce jeune homme ambitieux. Les réponses étaient incompréhensibles tant elles étaient en décalage avec les discours habituels. La seule chose qui semblait clair, c’est que le chef de l’Etat et le Premier ministre avaient été informés de ses intentions avant qu’il annonce la création de son mouvement « En marche ! ». Le téléspectateur moyen était en droit de se dire : de deux choses l’une, où nos principaux dirigeants politiques ne croient pas à l’avenir de ce mouvement et, donc, n’ont pas cherché à s’y opposer, où, ce qui serait beaucoup plus grave, ils sont dépassés par les événements, à cours d’idées, et espèrent, par l’intermédiaire de ce jeune prodige, reconquérir une partie de la population. Dans les deux cas, cet OVNI politique et son projet étaient un signe supplémentaire du malaise dans lequel la France est plongée depuis trop longtemps.
Quelques jours plus tard, le 14 avril, France 2 inaugurait une nouvelle émission politique » Dialogues citoyens « , dont le chef de l’Etat était le premier invité. Sa prestation était attendue, même si les sondages confirmaient que les Français n’attendaient plus rien de François Hollande et ne souhaitaient pas qu’il soit candidat à sa succession. Un sondage Ipsos Steria, publié dans Le Monde du 30 mars, observait que le candidat Hollande serait non seulement éliminé dès le premier tour, mais de surcroît humilié quel que soit l’adversaire de droite : avec 16 % des suffrages dans l’hypothèse où il serait face à M. Sarkozy et 14 % face à Alain Juppé.
« Oui, ça va mieux, la croissance revient, moins de déficit, moins d’impôts, plus de compétitivité », répétait François Hollande, mais son discours était en décalage avec ce que ressentaient les Français. Quand, au début de l’émission, il s’était posé la question : « Quel est mon cap ? » Il ne s’était pas rendu compte qu’il avouait en creux son plus grand échec depuis quatre ans. Son cap, les Français ne le voyaient toujours pas et les 3,5 millions de téléspectateurs ne retirèrent de cette émission que la conviction que le chef de l’Etat était décidé à se représenter et qu’il était en campagne ! L’éditorial du Monde, le lendemain, résumait bien ce que les téléspectateurs avaient ressenti en regardant l’émission. Le président » cabote au jour le jour, de crise en crise, en essayant d’éviter les écueils « . Quatre ans après son élection, le chef de l’Etat n’avait pas de projet et, de ce fait, suscitait « désillusion, rejet ou colère ». « C’était assez cruel, mais c’était bien vu ! »
Jérôme Leroy, dans « Causeur », signait, ce jour-là, un article très critique sur le phénomène Macron. Selon lui, Emmanuel Macron « disposait de deux atouts dont sont dépourvus ses adversaires : il est sincère et il est désinhibé. » Fils naturel de Jacques Attali et d’Alain Minc, écrivait-il, Macron est sincèrement convaincu que non seulement la mondialisation est inévitable mais que de toute façon, elle est un bienfait, l’aboutissement d’un processus historique qui nous fera enfin sortir… de l’Histoire ! Cette sortie de l’Histoire, ce désir de sortie est d’abord manifeste chez lui dans ce ni droite ni gauche qu’il professe, ou plutôt dans ce et de droite et de gauche. Il n’est pas le premier à dire que ces catégories sont obsolètes, archaïques, que les Français n’y croient plus. Seulement, lui, il le pense vraiment. » Le journaliste n’hésitait pas à affirmer que pour Emmanuel Macron « la droite et la gauche n’existent simplement plus parce que la politique n’existe plus. Le primat de l’économique est total, l’Etat est une survivance archaïque, la nation est la responsable des guerres et des crispations nationalistes. La communauté trouve grâce à ses yeux dans la mesure où elle est gérable et digérable par le marché, voire lui sert de débouchés et de moteur (…) Elle est là, la cohérence dangereuse de Macron : le marché est un horizon indépassable qui n’a même pas vraiment besoin de la démocratie telle qu’on la connaissait. Il considère que le pouvoir est ailleurs désormais et que le seul poste qui vaudrait encore le coup, tant que la Vème République existe, c’est la présidence, un poste clé pour faire sauter les derniers tabous, forcer les derniers verrous. »
Emmanuel Macron déchainait déjà les passions, excitait les esprits ! François Ruffin, leader de « Nuit debout », prophète, disait : La macronite ? C’est le » socialisme » dans sa phase terminale. Le ministre de l’économie, quant à lui, s’interrogeait. Devait-il ou non participer à une primaire avec, c’est-à-dire contre, François Hollande, devoir quitter le gouvernement, apparaître à coup sûr comme un traître et perdre son positionnement original « ni de droite ni de gauche » ? Un casse-tête pour Emmanuel Macron.
Le 24 mai, MM. Hollande et Macron, un peu en arrière, célébraient le » renouveau industriel » sur l’air du « Ça va mieux » dont l’opposition se moquait. Avec une demande plus soutenue, la baisse des charges et la chute des cours du pétrole, la reprise était là, en effet, mais modeste et fragile.
C’est également à la fin du mois de mai que fut organisé dans l’Hérault « le Rendez-vous de Béziers », une réunion de la » droite hors les murs « , la droite qui ne se reconnaît ni dans le Front national ni dans Les Républicains. Autour de Robert Ménard, le maire de Béziers, d’Éric Zemmour, de Philippe de Villiers, d’Alain de Benoist et de « Valeurs actuelles », le journal d’Yves de Kerdrel qui entendait peser sur la prochaine élection présidentielle. Malgré la présence de Marion Maréchal-Le Pen, le FN et son programme économique d’extrême gauche, n’était pas le bienvenu. En revanche, Laurent Wauquiez, resté en contact avec M. Buisson, était déjà considéré comme une référence politique sur les valeurs, les bien nommées : racines chrétiennes de l’Europe, droit à l’autodéfense, alliance avec la Russie, défense des » traditions « , lutte contre l’immigration, l’islam, etc. « Le Rendez-vous de Béziers » invitait les participants à débattre sur l’identité de cette droite : l’anti-individualisme, l’élitisme, le sanctuaire et le patrimoine. Ce rendez-vous fut manqué. Les idées de Robert Ménard : « Un Etat fort, voire autoritaire, plus de police, plus d’armée, moins de social, la suppression de l’Education nationale, l’autodéfense organisée, la « famille française » encouragée » ne firent pas l’unanimité. La France d’hier, à Béziers, c’était un peu « Nuit debout » à droite ! La campagne, un an avant l’élection du prochain président de la République, était lancée et promettait d’être animée.
Le 29 mai, la cérémonie du centenaire de Verdun devait être l’occasion pour François Hollande et Angela Merkel de prendre une initiative importante avant le référendum du 23 juin sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE. La déception fut grande. Visiblement, ils n’étaient pas prêts ; il n’y avait aucun » plan B « sur les modifications à apporter aux traités, afin de renforcer encore l’intégration économique et politique de l’eurozone. Comment sortir de l’ambiguïté constructive dans laquelle l’Europe est engluée ? les Français, comme les Européens, étaient partagés. Ils ne veulent ni avancer vers plus d’intégration, ni reculer vers un repli national, ni du statu quo. D’un commun accord, les initiatives furent remises à fin 2017, après les élections en Allemagne et en France.
Après cette décevante cérémonie, Emmanuel Macron saisit l’occasion qui lui était offerte de préciser sa vision de l’Europe le 18 juin, dans un entretien au Monde qu’il est intéressant de relire aujourd’hui : « En cas de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne lors du référendum du 23 juin, le Conseil européen doit, collectivement, avoir un message et un calendrier très fermes sur les conséquences d’un vote négatif. On ne peut pas, dans l’intérêt de l’UE, laisser quelque ambiguïté planer et trop de temps s’écouler. On est dedans ou dehors. Le jour après la sortie, il n’y aura plus de passeport financier pour les établissements britanniques. Le Conseil européen devra lancer un ultimatum aux Britanniques sur leurs intentions et le président de la République sera très clair à cet égard. Si le Royaume-Uni veut un traité commercial d’accès au marché européen, les Britanniques devront contribuer au budget européen comme les Norvégiens ou les Suisses. Si Londres ne le souhaite pas, ce doit être une sortie totale. Notre défi, le jour d’après, est double : éviter la contamination du » Brexit » et relancer immédiatement la dynamique d’un projet positif pour l’Europe. Pour moi, il traduit la volonté d’une Europe plus efficace, la fin d’une vision ultralibérale de l’Europe que les Britanniques eux-mêmes ont portée, la fin d’une Europe sans projet politique, tournée vers son seul marché domestique. La liberté et l’ouverture sont essentielles dans notre projet, mais la liberté sans règle conduit à la concurrence -déloyale et donc à des situations sociales et politiques intenables. Les Britanniques sont en train, avec ce référendum, de tourner la page de leur propre vision de l’Europe. Les pays, qui ont eu la vision la plus libérale sont en train de constater que cette Europe politiquement impuissante n’est pas soutenable vis-à-vis de leurs peuples. »
Si on laisse le » Brexit » ronger l’aventure européenne, vous aurez des débats comparables chez les Danois, les Néerlandais, les Polonais, les Hongrois. Il faut revenir aux promesses originelles du projet européen : paix, prospérité et liberté. La paix est mise en péril par le terrorisme et les menaces externes, la prospérité par notre incapacité à sortir de la crise, et la liberté par la pression des réfugiés et les conséquences de l’élargissement. Cette tension est due à l’incomplétude de l’Europe : on n’a pas achevé la convergence de nos systèmes sociaux, de la régulation des flux migratoires ou encore de défense et de sécurité.
On a perdu le fil de l’histoire européenne depuis une dizaine d’années. Depuis 2005, nous n’avons fait que gérer les crises sans proposer de projet.
Nous devons retrouver une ambition pour l’UE tout entière sur les sujets de défense et de sécurité, de transition énergétique et de numérique car l’Europe est le meilleur moyen de répondre à ces grands défis. Et puis il faut avoir un projet de plus forte intégration qui permet une véritable convergence à quelques-uns au sein de la zone euro. Le socle doit être Paris et Berlin, Rome certainement aussi. Les instruments, ce sont un budget de la zone euro, un commissaire et un Parlement de la zone euro.
Le préalable réside dans la crédibilité des politiques françaises. L’Europe doit regarder le monde : le risque géopolitique n’a jamais été aussi grand, en Afrique et au Moyen-Orient. La meilleure réponse à cela, c’est l’Europe. Il y a, aujourd’hui, deux blocs – l’asiatique et l’américain – dont le risque est qu’ils se parlent en face-à-face en nous oubliant. Notre défi, ce ne sont pas nos petites guérillas, c’est de savoir comment l’Europe existe, défend sa vision, ses intérêts et se protège dans ce monde d’incertitude. Nous sommes en train de tourner la page de la social-démocratie à l’ancienne. La clé est de savoir comment on construit un progressisme européen, avec des sociaux-démocrates, des gens plus à gauche mais aussi avec des partis du centre-droit européen, qui veulent une Europe qui avance.
Les sondages ne s’étaient pas trompés. Le vendredi 24 juin 2016, la présidente de la Commission électorale, Jenny Watson, proclamait les résultats du référendum : 53,4 % des électeurs britanniques ont voté en faveur d’un départ de l’UE. Ce fut un choc, un tremblement de terre qui donnait le vertige. Boris Johnson, la tignasse en bataille, déclarait, en faisant, comme Churchill, le » V » de la victoire : » Mes amis, je vous l’avais promis : nous reprenons enfin les -commandes de notre formidable pays. Je proclame aujourd’hui l’an I du Royaume-Uni indépendant ! » David Cameron avait, assez bêtement, perdu son pari.
A suivre…
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