Vue de Sirius, la période est étonnante. La rupture entre deux mondes qui ne peuvent se comprendre, ressemble chaque jour un peu plus à la tectonique des plaques avec des tremblements de terre, des éruptions.
L’avènement de l’intelligence artificielle, par exemple, est incompréhensible pour le commun des mortels. Qui s’intéresse au rapport Villani ? Qui peut comprendre la portée du rapport : « Donner du sens à l’intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et européenne », rendu public le 28 mars ? Dans le domaine de la défense et de la sécurité, par exemple, les transformations à venir vont être considérables. C’est un enjeu majeur de souveraineté compte tenu de la domination écrasante des Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, et autres IBM) et de notre degré de dépendance. Ceux qui utilisent ces services en ont-ils conscience ? Le rapport Villani propose de renforcer « nos capacités de croiser des quantités massives de données », car « la quantité des données disponibles et la qualité de leurs annotations sont des éléments-clés pour faire avancer la recherche sur les applications de l’IA ». Les Etats-Unis et la Chine dominent le monde dans ce domaine si stratégique. Les Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi, seraient même en train de prendre de l’avance sur les Américains. Si l’Europe, et la France en particulier, ne font pas en sorte de combler leur retard, le gap va s’accroitre dangereusement.
Pendant ce temps, les conservatismes s’en donnent à cœur joie dans tous les domaines. Je comprends que la période est angoissante pour nombre de nos concitoyens. Ce phénomène s’est produit à plusieurs reprises dans notre histoire. La Nation, à chaque fois, a surmonté les défis. Je comprends qu’une partie de la population résiste, refuse une évolution imposée, aspire à un autre modèle de civilisation. Le communisme est né de la révolution industrielle. Ce n’est pas si lointain.
Les mutations, les accélérations de l’histoire, s’accompagnent inévitablement de violences verbales et parfois physiques. La haine, le mot est prononcé, de Jean-Luc Mélenchon pour les journalistes, de certains cheminots grévistes à l’égard de l’exécutif, d’Olivier Besancenot quand il parle des patrons, de l’extrême-droite vis-vis des migrants, des identitaires pour les musulmans, des zadistes de NDDL à l’égard des gendarmes, d’une poignée d’imbéciles à l’égard des juifs, est caractéristique d’une désespérance dans l’avenir de notre civilisation. Il est honorable, pour ne pas dire évident, que tout doit être mis en œuvre pour réduire les inégalités, pour plus de justice sociale, pour plus de fraternité.
La social-démocratie, qui a gouverné en Europe, portait cette espérance. Elle a été balayée par l’évolution de l’histoire. François Hollande, qui n’est jamais avare de bons mots, affirmait récemment : » L’ancien monde c’est le mien, il a de l’avenir ». La social-démocratie entre en résistance. Olivier Faure, le nouveau secrétaire général du PS, exprime la même chose à sa façon : » avec Macron, les Français de gauche pensaient avoir voté pour Mendès France et ils se sont réveillés avec Juppé « . C’est bien mal connaitre la pensée de PMF !
Autre domaine, dans lequel l’ancien monde fait de la résistance. Les « catholiques identitaires » combattent le progressisme, le multiculturalisme et le libéralisme. Ils luttent contre le mariage homosexuel, la PMA, la GPA et l’islamisation de la France. François Fillon n’est plus là pour les représenter. Laurent Wauquiez et Marion Maréchal-Le Pen voudraient représenter ces » nouveaux conservateurs « qui s’organisent, théorisent leur doctrine, agissent sur le terrain.
Mais, revenons à l’actualité. Quand Bernard Thibault, l’ancien secrétaire général de la CGT, écrit dans une tribune au journal Le Monde : « Quoi qu’en pensent nombre de technocrates, la mobilisation des cheminots porte l’intérêt général », quelle idée se fait-il de l’intérêt général aujourd’hui ? Il ne se rend pas compte que le concept d’intérêt général auquel il se réfère ne correspond plus à l’idée que se font aujourd’hui les Français de l’intérêt général. Il exprime une conception conservatrice de l’intérêt général du XXe siècle qui ne correspond plus aux attentes de nos concitoyens. Ceux qui prennent fréquemment le train sont d’un autre avis sur le sujet.
Depuis la directive européenne 91-440, les « paquets » ferroviaires adoptés par l’Union européenne (UE) sont connus, même si la France a tardé à les mettre en application. L’ouverture à la concurrence, entrainant une réorganisation de la SNCF, est une nécessité. Elle est déjà une réalité chez la plupart de nos voisins. Elle se traduira, dans toutes les grandes et moyennes gares de France, par une autre conception du service public qui correspondra mieux aux attentes de la clientèle : ouverture des services sept jours sur sept, conception commerciale des services, variété des offres. Bref, le voyageur ne sera plus un usager qui subit des contraintes sans jamais être entendu, mais un client ayant le droit d’exiger un service, ce que l’usager ne peut jamais faire. Les très nombreux Français qui se sont rendus à Londres, ces dernières années, ont compris, en arrivant à la gare de Saint-Pancras, la différence qu’il peut y avoir entre la notion de service public de 1948 et celle du XXIe siècle.
Rien d’étonnant donc à ce qu’une majorité de Français (62%) souhaite que le gouvernement aille jusqu’au bout de la réforme de la SNCF, en dépit du mouvement de grève en cours (sondage IFOP pour Le JDD réalisé les 5 et 6 avril.
Quant au statut protecteur et rigide, qui constitue une exception, les Français ont compris, dans leur grande majorité, qu’il n’est plus adapté au chemin de fer du XXIe siècle. Un nouveau contrat de travail, une convention collective qui protège et ne paralyse pas, accompagneront l’évolution nécessaire de la SNCF. Nul ne doit douter qu’elle sera à la hauteur des préoccupations sociales.
Pour finir, sur la résistance de l’ancien monde, comment ne pas évoquer l’étrange débat organisé par BFM TV, RMC et Médiapart le dimanche 15 avril. Sur la forme, tout d’abord, la volonté de Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel de parler d’égal à égal avec le chef de l’Etat et de ne faire preuve à son égard d’aucun respect pour sa fonction, a profondément choqué sur les réseaux sociaux, pendant l’émission, et dans les heures qui ont suivi. Les journalistes, pourtant habitués à n’écouter que leurs questions et à en poser une nouvelle sans attendre les réponses, se sont désolidarisés de ces deux débatteurs insolents, négligés, précédés d’une réputation de « militant » pour l’un et de « réac » pour l’autre. Le chef de l’Etat, pourtant jugé excellent dans cette curieuse confrontation, n’est pas, non plus, sorti indemne de cet exercice moqué par la presse étrangère, notamment anglo-saxonne, et jugé inutile par de nombreux commentateurs. La Une de Charlie Hebdo et la référence au film « Le bon, la brute et le truand« , résument assez bien cette très longue émission regardée et/ou écoutée par 3,8 millions de personnes seulement selon les chiffres de Médiamétrie. Le 12 avril, Emmanuel Macron avait été interrogé par Jean-Pierre Pernaut dans une école de Berd’huis, petit village de l’Orne. L’entretien avait été regardé par 6,4 millions de personnes.
Ceux, peu nombreux, qui avaient fait le choix de regarder l’émission attendaient une interview. Ce fut un débat, pour ne pas dire un combat, tant Jean-Jacques Bourdin haussait le ton quand il parlait au nom des indignés et tant Edwy Plenel interrogeait le chef de l’Etat comme un juge d’instruction. Contrairement à ce que j’entends, je ne pense pas que ce mode d’interview fera jurisprudence. Le représentant du nouveau monde n’a eu aucune difficulté à repousser d’un revers de main les » questions orientées « et leur » démagogie « .
Sur le fond, M. Macron a voulu convaincre qu’il est à l’écoute » des colères du pays « , mais déterminé à réformer et à transformer le pays. Avec le sourire, patiemment, il s’emploie à expliquer point par point, qu’il applique son programme de candidat. Face aux nombreux sujets à risque, le chef de l’Etat rappelle : » J’ai la légitimité démocratique « , contrairement à ce que pensent un certain nombre de ses opposants. Et pour agacer un peu plus ses interlocuteurs, il lâche : « Les Français pourront juger de mes actes dans cinq ans ou dans dix ans « .
Ne rien lâcher, ne pas céder sur l’essentiel, n’est pas compréhensible, n’est pas admissible, pour l’ancien monde habitué à des négociations et à des concessions. Enfin ! Les accords de Grenelle avaient été signés le 27 mai 1968 après deux jours de négociation pour mettre fin au mouvement contestataire. A l’initiative de Georges Pompidou, alors premier ministre du général de Gaulle, les représentants du gouvernement, des syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, FEN) et les organisations patronales s’étaient mis d’accord sur une augmentation de 35 % du smic et la réduction du temps de travail avec la semaine de 40 heures. En 1995, le gouvernement avait été contraint, le 15 décembre, de retirer sa réforme sur les retraites, la fonction publique et les régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF), après un mois d’agitation sociale. Cette décision avait été comprise comme une victoire des syndicats. C’est comme cela que ça se passait dans l’ancien monde !
Le monde aurait-il changé ?
Sans doute, mais l’ancien monde fait de la résistance !
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