Dans la mémoire collective, il n’y a guère que les historiens et les experts en sciences économiques qui connaissent les caractéristiques de la déflation de Pierre Laval et de l’Allemand Von Papen dans les années 30. La déflation est souvent confondue à tort avec la désinflation. La déflation est une baisse générale et durable des prix, une baisse des salaires, qui se traduisent par un recul de l’activité et une récession économique.
Le 16 juillet 1935, le nouveau Président du Conseil Pierre Laval décréta une réduction générale de 10% de toutes les dépenses publiques et des principaux prix administrés. En baissant ainsi brutalement les salaires des fonctionnaires et les prix, Laval était convaincu qu’il allait relancer l’activité économique sans avoir à dévaluer la monnaie. En Allemagne, le chancelier Von Papen, succédant au chancelier Brüning, fit le même choix en décidant de pratiquer une déflation plutôt qu’une dévaluation. La suite et les conséquences de cette politique sont connues. Il est inutile de s’y attarder.
Y penser, avoir à l’esprit cette mécanique infernale qu’est la déflation, ne signifie évidemment pas que les mêmes politiques pourraient avoir les mêmes conséquences. Les temps ont changé, les circonstances ne sont pas comparables, tout rapprochement serait primaire, pour ne pas dire un peu pervers. Néanmoins, il y a dans le désordre économique qui caractérise le monde actuellement, des données préoccupantes. Les banques centrales ont injecté des liquidités en grande quantité à des taux tellement faibles que certains experts les qualifient de toxiques.
Fin 2007, pour remédier à un risque systémique avéré, tout le monde s’est félicité de la promptitude à mettre en œuvre des plans de relance. La riposte a été efficace, mais elle a eu pour effet d’ajouter de la dette à une dette déjà considérable dans certains pays, notamment aux Etats-Unis et en Grande Bretagne. En ce qui concerne l’Europe, il apparaît évident aujourd’hui que le traité de Maastricht était incomplet et comportait en germe des risques qui se réalisent sous nos yeux.
Croire aujourd’hui qu’il sera possible de revenir au taux de 3% prévu par le Pacte de stabilité et de croissance sans déflation, s’est s’illusionner. Il aurait fallu remonter les taux et réduire les liquidités, ce qui n’a pas été possible. Au contraire, les difficultés d’un petit pays, la Grèce, ont suffi à annihiler le peu de confiance que les autorités monétaires avaient eu tant de mal à restaurer. Le marché interbancaire donne à nouveau des signes de blocage et les banques recommencent à garder leurs liquidités.
Dans cette nouvelle montée aux extrêmes, des craquements sont apparus au sein du Conseil des gouverneurs des banques centrales de la zone euro. La décision, inimaginable il y a peu de temps, de racheter des dettes a été prise à la majorité dans le plus grand secret. Seulement voilà, ce qui était également inimaginable vient de se produire. Le gouverneur de la banque centrale allemande, annoncé comme probable successeur de Jean-Claude Trichet, a critiqué ouvertement et publiquement le consensus difficile qui avait permis que la décision soit prise. En rompant ainsi volontairement la confidentialité des délibérations du Conseil, il a pris le risque de contribuer à éroder un peu plus la confiance. Que cherchent les Allemands ? A sortir de la zone euro ? C’est difficilement imaginable. A contraindre ses partenaires à suivre une politique de déflation discutable ?
Les Américains, les Chinois, les Japonais, principaux pays exportateurs, sont inquiets. Les turbulences dans la zone euro sont susceptibles de nuire à leurs intérêts. Si l’euro tombait à un niveau trop bas, les conséquences pourraient être importantes sur leurs économies. Faut-il en déduire que cette crise pourrait être une chance pour les pays de la zone euro ? C’est aller un peu vite, mais il est certain qu’un euro à 1,10 modifierait significativement les termes de l’échange. En 1999, l’euro était entré sur le marché monétaire à 1,17, il était monté, au plus haut, à plus de 1,50 pour un dollar et il est aujourd’hui à 1,20. Si, dans le même temps, les membres de la zone euro parviennent à se mettre d’accord pour remédier aux insuffisances du traité de Maastricht en créant notamment un Fonds monétaire européen capable d’émettre des emprunts, la crise aura peut être été salutaire. La condition nécessaire, sinon suffisante, pour qu’il en soit ainsi, c’est que le couple Franco-allemand retrouve une dynamique et décide de sortir de la crise par le haut.
Les deux chefs d’Etat ont, une nouvelle fois, rendez-vous avec l’Histoire.
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