Individualisme et unanimisme.


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La rupture promise par Nicolas Sarkozy est-elle en passe de se réaliser ?
Parmi les analystes politiques, il y a ceux qui en doutent ; ils observent les changements de méthode, de style, les nombreux chantiers de réformes mais ne voient pas la cohérence, la vision d’ensemble.
Il y a ceux qui, toujours fascinés par leur « Grand homme », énumèrent tout ce qu’il a déjà fait depuis un an pour justifier la rupture sans précédent à laquelle une majorité de Français semblaient aspirer.
Cette analyse me paraît insuffisante, à courte vue, trop influencée par le quotidien. La principale rupture, à mes yeux, ne se voit pas, mais aura de lourdes conséquences dans l’avenir. Elle concerne l’évolution vers l’hyper individualisme et une nouvelle forme d’unanimisme.
L’individualisme, sous toutes ses formes, est encouragé, stimulé, dans les discours, les relations sociales, les entreprises, les lois et décrets. Sous toutes ses formes, c’est-à-dire aussi bien dans l’éloge du mérite, de sa récompense, que dans le soutien à toutes les victimes.
Le triomphe de l’individualisme n’est pas nouveau dans notre histoire. Il a déjà été dans l’air du temps, dans le sens de l’histoire. Le culte du moi et du je a caractérisé la révolution bourgeoise tout au long du 19ème siècle. Les épreuves, les guerres, ont, en réaction, favorisé la vie collective, le grand nombre, les masses, le socialisme. Ce fut un grand élan de collectivisation avec le développement des syndicats, des mutuelles, des associations, la construction des grands ensembles. Quand le marxisme a cessé de s’exercer sur les esprits, l’individualisme est revenu pour triompher dans les sociétés occidentales.
L’unanimisme, au début du 20ème siècle, après que Zola et Balzac, notamment, en aient eu l’intuition, devint à son tour dans l’air du temps. Jules Romains avait disséqué les forces qui sont en jeu lorsqu’un groupe accède au statut d’ »unanime », c’est-à-dire d’un être nouveau, disposant d’une âme propre. Le héros n’était plus l’individu mais le groupe humain, l’âme collective qui révélaient bien d’autres richesses. Cette aspiration à la solidarité avait quelque chose de lyrique et ressemblait au bonheur.
Pendant la dernière guerre, le héros de la Résistance était le peuple. Cette forme d’unanimisme répondait à l’extrême solitude de l’homme au milieu de villes de plus en plus tentaculaires, dominé par l’explosion des sciences et techniques.
Aujourd’hui, que constatons-nous ? Le socialisme ne parvient pas à s’adapter à cette évolution ; les syndicats non plus. L’Eglise a beaucoup de mal à endiguer la baisse du nombre de ses fidèles. Le collectif n’est plus dans l’air du temps. Il disparaît dans l’indifférence générale. Un individualisme forcené, encouragé, qui se manifeste sans arrêt dès qu’on sort de chez soi, est en train de détruire le lien social. Les vertus civiques sont menacées par des « incivilités » de plus en plus difficiles à supporter. La notion d’intérêt général disparaît dans les actes comme dans les discours.
Concomitamment, une nouvelle forme d’unanimisme dans la propagation des idées souvent simplistes se développe et cohabite avec l’hyper-individualisme. Il est porté (j’allais écrire colporté) par toutes les formes modernes de communication. Cet unanimisme fabrique les nouveaux » Grands hommes » Zidane, Noah, l’Abbé Pierre, des sportifs, chanteurs, des hommes de bien. Pour preuve de ce phénomène, l’accueil quasi-unanime et immédiat réservé à l’album de chansons que présente ces jours-ci l’épouse du Président.
Nicolas Sarkozy aime l’Amérique, patrie de l’individualisme. Il en fait l’éloge au moment où des propriétaires de maisons individuelles, symbole de l’individualisme, sont en train de tout perdre, victimes de ce dont ils étaient le plus fier et d’une forme d’unanimisme qui les a poussés à se comporter comme les fameux moutons de Panurge. Quand le Président déclare, pendant sa campagne, qu’il faut en finir avec mai 68, c’est à cela qu’il pense. Il veut accentuer encore cet individualisme qu’il juge insuffisant en France et multiplier le nombre de « winners ».


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