Du général de Gaulle … au général de Villiers


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Pour comprendre la demande de référendum d’initiative citoyenne, la principale revendication des « gilets jaunes » après avoir obtenu plus dix milliards de primes et d’abandons de taxes, il faut se remettre en mémoire la naissance de la Ve République.

Pierre Mendès France, notamment, contestait les conditions dans lesquelles le général de Gaulle était revenu au pouvoir le 13 mai 1958. Il déclarait alors : « Je ne puis admettre de donner un vote contraint par l’insurrection et la menace d’un coup de force militaire. Car la décision que l’Assemblée va prendre – chacun ici le sait – n’est pas une décision libre, le consentement que l’on va donner est vicié. » Il s’opposa ensuite à la Constitution du 4 octobre 1958, c’est-à-dire au texte qui fonde la VRépublique. Pierre Mendès-France considérait que la Ve République, proposait par le Général, revêtait « une dimension bonapartiste ».

Le général de Villiers, ancien chef d’état-major des armées

Dans le même temps où François Mitterrand publiait le Coup d’État permanent, un pamphlet contre la Ve République à laquelle il s’adapta ensuite avec délectation, Pierre Mendès-France, en 1962, dans son ouvrage La République Moderne, exprimait pourquoi il était opposé à la Constitution de la Ve République. Cette constitution, pour lui, n’était pas démocratique. Dans cet ouvrage, l’ancien président du Conseil exposait sa conception d’une république moderne capable de s’adapter aux mutations de la société française. Son analyse et ses propositions, minoritaires et caricaturées à l’époque, apparaissent aujourd’hui prémonitoires. Il considérait notamment que le scrutin d’arrondissement était la meilleure formule pour les élections législatives parce qu’il permettait au député d’être plus proche de ses électeurs, pour recueillir leurs opinions et pour en débattre. Dans son esprit, avec ce scrutin, la vie démocratique serait meilleure et plus éthique.

La révision constitutionnelle d’octobre 1962, qui institua l’élection du président de la République au suffrage universel, finit de convaincre Pierre Mendès France que ce nouveau régime politique comportait des risques pour la démocratie. « Choisir un homme, fût-il le meilleur, au lieu de choisir une politique, c’est abdiquer », disait-il. Il ne pouvait accepter l’article 16 de la Constitution de 1958, qui confiait des pouvoirs exceptionnels au président de la République en cas de crise majeure. Il a écrit dans La République moderne : « le président peut promulguer légalement la dictature ». L’article 34 de la Constitution de 1958 limite les domaines d’intervention du législateur alors que l’article 38 autorise le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance. De même, il n’admettait pas l’article 49 – 3 – selon lequel le gouvernement, en engageant sa responsabilité sur un projet de loi, peut le faire adopter sans même que l’Assemblée nationale ait eu à se prononcer sur le texte.

En quoi la Ve République est-elle peu démocratique ? Il est exact que le président de la République dispose de pouvoirs exorbitants. Il peut dissoudre l’Assemblée nationale, remanier le gouvernement sans aucun contre-pouvoir et notamment sans l’avis du peuple qui n’est représenté qu’à l’Assemblée Nationale et au Sénat qui ne disposent que de pouvoirs très limités. Dans nos institutions, le peuple ne peut s’exprimer qu’à l’occasion des élections législatives et présidentielles, tous les cinq ans. Il y a donc bien une « abdication de la part du peuple » qui n’est plus acceptable à l’heure des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu. L’augmentation du taux d’abstention et la montée de l’extrême droite et de l’extrême gauche, constituent depuis longtemps déjà des alertes qui n’ont pas été entendues. Les citoyens, mieux informés, sinon mieux éduqués, veulent plus de pouvoirs.

Pierre Mendès-France avait dénoncé et anticipé ce risque. Il préconisait un système parlementaire dans lequel la population pourrait participer au débat dans des conditions plus démocratiques. Dans son ouvrage, il proposait un régime politique qu’il appelait le « Gouvernement de Législature » ; un régime politique proche des systèmes politiques en vigueur en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Il préconisait en particulier une égalité entre le législatif et l’exécutif (« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête la pouvoir », écrivait Montesquieu). A ses yeux, confier trop de pouvoir à une seule personne, à une seule institution, était très risqué.

La modernité des propositions de Pierre Mendès-France éclate aujourd’hui au grand jour. Le risque qu’il percevait alors se réalise sous nos yeux. Il couvait depuis longtemps, particulièrement depuis le rejet du projet de Constitution européenne en 2005.

Il saute aux yeux que l’Assemblée Nationale et le Sénat ne représentent pas la population française. Une modification des institutions est donc urgente afin que la population, dans toutes ses composantes, se sente impliquée dans les décisions politiques du gouvernement.

Mais, attention, la démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité que réclament les démagogues.

Le RIC, le référendum d’initiative citoyenne, ne doit pas conduire à la démocratie populaire de triste mémoire. Les gilets jaunes, de sensibilité « Rassemblement national », même s’ils se disent apolitiques, réclament ce type de référendum pour que les citoyens soient consultés « sur l’abrogation ou l’ajout d’une loi, la révocation d’un élu, la modification de la Constitution ». Autant dire une nouvelle forme de coup d’État permanent !

Une modification de la Constitution serait-elle suffisante, où faut-il une VIe République comme certains le réclament depuis longtemps ? Plus le temps passe, plus cette deuxième solution s’imposerait pour restaurer la confiance des Français.

En attendant, les fractures se creusent dans la société française. Européens et souverainistes, réformistes et conservateurs nationalistes, habitants des métropoles et habitants des territoires. L’irruption des gilets jaunes exprime ces fractures déjà anciennes. Les gilets jaunes de gauche, de droite et du centre, agissent à l’horizontal. Comme une grande majorité de nos concitoyens, ils font le constat que la démocratie parlementaire est en crise. Pour l’instant, les propositions de démocratie directe sont irréalistes, pour ne pas dire utopiques. Comment faire avancer des idées si l’on refuse d’être représenté ? Il y a autant de revendications que de gilets jaunes. Il n’en reste pas moins que ce mouvement exprime à la fois les défauts de la Ve République et une crise profonde de notre régime démocratique bloqué.

Sur les réseaux sociaux, les appels au général de Villiers, humilié par le chef de l’État le 13 juillet 2017, se multiplient depuis la publication de son dernier ouvrage : « Qu’est-ce qu’un chef ? ». Dans Valeurs actuelles, dans Le Point, l’ancien chef d’état-major des Armées raconte son expérience : « Il faut être aimé des gens qu’on commande… Le chef doit être un absorbeur d’inquiétude et un diffuseur de confiance… Il doit également avoir l’humilité de comprendre que les gens doivent pouvoir décider sans lui. »

Ces propos peuvent apparaître comme des truismes, mais ils correspondent à une attente, à une forte demande de considération et à une révolte populaire contre les élites, en général, et les élus en particulier. L’ENA, les privilèges, les hauts salaires, le cynisme, la cupidité, le mépris de classe, ressentis, à tort ou à raison, par une grande partie de la population sont devenus, au fil des années, aussi insupportables que l’excès d’impôts et taxes.

Le général de Villiers se défend de toute ambition politique. Il veut simplement être un « éclaireur ».

Daniel Cohn-Bendit ironise : « En mai 68, on voulait faire partir un militaire, alors que les manifestants, aujourd’hui, veulent en installer un au pouvoir ! »

Dans les rassemblements et sur les réseaux sociaux, un certain nombre de gilets jaunes, qui se déclarent apolitiques, mais qui répètent les éléments de langage du Rassemblement national, ne cachent pas leur ambition : provoquer une insurrection citoyenne avec, s’il le faut, la menace d’un coup de force militaire. Dès lors que 300 000 personnes parviennent à ébranler le pouvoir et à semer le doute sur sa solidité, il y a tout à craindre.

De là à penser que la VRépublique pourrait finir comme elle a commencé, il n’y a qu’un pas que certains franchiraient volontiers!

« Deux choses menacent le monde, disait Paul Valéry : L’ordre et le désordre »

 


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