En 2004, Vladimir Poutine a changé de stratégie. Il a renoncé à « arrimer la Russie au monde occidental », pour reprendre l’expression de l’Académicien Andreï Makine. Il a changé de ton. Avait-il, déjà, un plan de reconquête ou a-t-il improvisé au fil des années et des événements internationaux ? L’histoire le dira !
Natalie Nougayrède écrit dans Le Monde du 3 juillet 2006, que le président russe est un homme « de caractère froid, il est appliqué. Ce n’est pas un orateur charismatique, capable d’électriser des foules comme son voisin de Biélorussie, le président Loukachenko, qui l’agace. Mais il articule bien, il est clair, et a l’humour grinçant. » C’est un homme très marqué par des débuts difficiles, le souvenir familial « du blocus de Leningrad pendant la guerre, et de la mort, en bas âge, de ses deux frères. Son père, Vladimir Spiridonovitch, était ouvrier, un homme austère et de peu de mots. Il a combattu les nazis dans un bataillon du NKVD, le prédécesseur du KGB. » Cette enfance difficile, explique probablement la nature de son caractère. Poutine ne connaît que la force, sans états d’âme. En Tchétchénie, alors que les morts se comptent par dizaines de milliers, il n’a jamais eu un mot pour les victimes civiles, pour les soldats russes tués ou les victimes des attentats, notamment lors de la prise d’otages de l’école de Beslan, en septembre 2004. L’événement qui l’a le plus ébranlé, raconte Natalie Nougayrède, « a été la « révolution orange » en Ukraine. La perte de l’Ukraine a été pour Vladimir Poutine un important revers de politique étrangère. Capable de grande vulgarité lorsqu’il est contrarié, il a dit un jour à un officiel géorgien que, dans l’ex-URSS, « tous les dirigeants avaient chié dans leur pantalon » après la révolution en Géorgie. »
La journaliste du Monde rapportait que « l’exaltation d’un patriotisme militariste et la promotion d’une vision de la Russie comme forteresse assiégée à la fois par les Occidentaux et par les islamistes, sont des éléments récurrents du discours du Kremlin. Les « révolutions de couleur » dans l’ex-URSS et le drame de Beslan en septembre 2004 ont accentué ce réflexe : il s’agit de souder le pays en brandissant un ennemi extérieur. »
À la tête des plus importantes réserves mondiales de gaz, Vladimir Poutine se verrait bien, « s’il se retire des affaires en 2008, prendre la tête d’un grand conglomérat énergétique d’État, écrit-elle. Comme son ami Gerhard Schröder, qu’il a fait nommer à la tête d’une structure de Gazprom. »
En attendant, il renforce, comme jamais auparavant, même au temps de l’Union soviétique, les divers « organes » du renseignement, donc du pouvoir, dont il est issu : FSB, successeur, depuis 1917, des Vetcheka, GPOu, NKVD, MGB, KGB, ainsi que le GRU, le renseignement militaire et le SVR, les renseignements extérieurs.
Vrai dur, ou faux dur ? Les avis sont partagés !
Dans son discours de Munich de février 2007, Poutine a confirmé son intention de jouer un rôle constructif sur la scène mondiale en participant activement à la coopération internationale en matière militaire et de sécurité, à la condition d’être payée de retour. Il faisait allusion à son « étranger proche », sa zone d’influence quasi exclusive, qu’il veut voir reconnu. Il dénonçait l’unilatéralisme américain et la propension des pays occidentaux à recourir à la force militaire pour régler des problèmes de sécurité internationale, parfois sans demander l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU. Le président Poutine avait, à l’évidence, mis en chantier un nouveau Concept de sécurité.
Les dirigeants européens avaient encore l’espoir, ou l’illusion, qu’il était possible de construire, avec le président russe, une architecture de sécurité commune, équilibrée. Poussés par leurs opinions publiques infiltrées par les organes de propagande russes, ils ont tous fait le voyage à Moscou, pour « parler » à Poutine, car il était dans l’air du temps, qu’il fallait absolument parler avec Poutine. La paix en dépendait. Certes, mais à chaque fois, c’était un dialogue de sourds.
En 2008, sur l’OTAN, le président russe prévenait, au cours d’un entretien avec les journalistes du Monde, Marie Jégo, Rémy Ourdan et Piotr Smolar : « Nous sommes opposés à l’élargissement de l’OTAN en général. L’OTAN a été créée en 1949. […] Son objectif était la défense et la confrontation avec l’Union soviétique, pour se protéger d’une éventuelle agression, comme on le pensait à l’époque. […] L’Union soviétique n’existe plus, la menace non plus, mais l’Organisation est restée. D’où la question : contre qui faites-vous « ami-ami » ? Admettons que l’OTAN doive lutter contre les nouvelles menaces : la prolifération, le terrorisme, les épidémies, la criminalité internationale, le trafic de stupéfiants. Pensez-vous que l’on puisse résoudre ces problèmes au sein d’un bloc militaro-politique fermé ? Non. […] Ils doivent être résolus sur la base d’une large coopération, avec une approche globale et non pas en suivant la logique des blocs. […]
Élargir l’OTAN, c’est ériger de nouvelles frontières en Europe, de nouveaux murs de Berlin, invisibles cette fois mais pas moins dangereux. La défiance mutuelle s’installe, c’est néfaste. Les blocs militaro-politiques conduisent à une limitation de la souveraineté de tout pays membre en imposant une discipline interne, comme dans une caserne.
Nous savons bien où les décisions sont prises : dans un des pays leaders de ce bloc. […] Nous craignons que l’adhésion de ces pays à l’OTAN ne se traduise par l’installation, chez eux, de systèmes de missiles qui nous menaceront. […] On parle sans arrêt de la limitation des armements en Europe. Mais nous l’avons déjà fait ! Résultat : deux bases militaires ont émergé sous notre nez. Bientôt il y aura des installations en Pologne et en République tchèque. […]
Je ferai une autre remarque : la démocratie, c’est le pouvoir du peuple. En Ukraine, près de 80 % de la population est hostile à une adhésion à l’OTAN. Nos partenaires disent pourtant que le pays y entrera. Tout se décide donc par avance, à la place de l’Ukraine. L’opinion de la population n’intéresse plus personne ? C’est ça, la démocratie ?
Ces propos, qui datent de 2008, sont à rapprocher de ceux qu’il a tenus aujourd’hui, à Moscou, dans son discours à la Nation :
La Russie est « prête à un dialogue » avec les États-Unis sur les questions de « stabilité stratégique ». « Mais voici ce que je voudrais souligner : dans le cas présent, nous avons affaire à un État dont les cercles dirigeants agissent ouvertement de manière hostile à notre égard. Et donc ? Ils vont discuter sérieusement avec nous de questions de stabilité stratégique, tout en essayant d’infliger à la Russie, comme ils le disent eux-mêmes, une défaite stratégique sur le champ de bataille […] Notre position est claire, si vous voulez discuter de questions de sécurité et de stabilité qui sont importantes pour la planète entière, alors il est nécessaire de le faire […] en incluant tous les aspects qui affectent nos intérêts nationaux, et qui ont un impact sur la sécurité de notre pays, la Russie » , a-t-il ajouté à l’attention des États-Unis. « Ils [les pays occidentaux] doivent finir par comprendre que nous avons aussi des armes capables d’atteindre des cibles sur votre territoire […] Tout ce qu’ils sont en train d’inventer […] fait peser la menace réelle d’un conflit nucléaire, ce qui signifie la destruction de la civilisation. Et ils ne se rendent pas compte de tout cela, n’est-ce pas ? Ce sont des gens […] qui ont déjà oublié ce qu’est la guerre. Même notre génération actuelle a traversé de dures épreuves lors de la lutte contre le terrorisme international dans le Caucase. Aujourd’hui, avec le conflit en Ukraine, c’est la même chose. Alors que pour eux, ce n’est qu’un dessin animé. »
Le président russe applique méthodiquement sa stratégie de reconstitution de son « étranger proche », de sa zone d’influence, qu’il veut voir reconnu. Ceux qui n’ont pas voulu voir ce que signifiait ce plan ou qui n’y ont pas cru, se sont fait des illusions. CQFD !
À suivre…
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