En peu de mots, un artisan à la retraite qui soutient le mouvement des « gilets jaunes » a résumé ce que pensent une grande majorité de Français. Le 27 novembre, le président de la République a répondu à ce « gilet jaune » lors de la présentation qu’il a faite de la programmation pluriannuelle de l’énergie et de la transition écologique : « Fin du monde et fin du mois, nous allons traiter les deux et nous devons traiter les deux. »
Il y a encore quelques semaines, le pouvoir d’achat ne figurait pas en tête des principales préoccupations des Français. L’immigration et le chômage se disputaient la première place dans tous les sondages d’opinion.
L’augmentation maladroite des taxes sur le carburant a brusquement été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » ; expression que les « gilets jaunes » répètent depuis trois semaines pour justifier leur mouvement.
La protestation, au fil des jours, avec l’aide des réseaux sociaux, a pris le caractère d’une révolte populaire sur le thème du pouvoir d’achat. Aujourd’hui, 84 % des Français trouvent le mouvement justifié (enquête Odoxa-Dentsu Consulting pour France info). Les sympathisants du Rassemblement national (96 %) et les Insoumis (92 %), sont ceux qui soutiennent le plus les « gilets jaunes ». 50 % des « Macronistes » trouvent le mouvement justifié.
Comment a-t-on pu en arriver là ? Pourquoi ce sentiment national alors qu’officiellement, le pouvoir d’achat progresse régulièrement de l’ordre de 1 % par an ?
L’explication est très simple.
Le niveau de vie médian, en France, a été multiplié par deux depuis les années 1970, une fois l’inflation déduite, mais une grande partie de cette hausse a été affectée à des dépenses qualifiées de contraintes par les statisticiens. Parmi ces dépenses contraintes, c’est surtout la part consacrée au logement qui a explosé. Ce poste de dépense est passé de 24 % à 48 % pour les plus défavorisés Si l’on ajoute les dépenses de base, pré-engagées, pour ne pas dire vitales (alimentation, transport, santé et éducation), c’est 87 % des revenus des économiquement faibles qui seraient engagés dès la perception des revenus. Le « reste pour vivre », 80 € par mois pour les plus pauvre, quand il n’est pas négatif à partir du 15 du mois, et 1 474 € pour les plus aisés, est aujourd’hui au centre des revendications.
« À deux SMIC, avec un loyer de 660 euros, et un gamin de 18 ans, il nous reste 100 euros à la fin du mois. C’est pas des aides qu’on veut, c’est vivre dignement de notre salaire. » Voilà ce qu’on entend sur les points de blocage. Ce cri résume les statistiques, si l’on peut dire, car près de la moitié des Français ne peuvent épargner et nombreux sont ceux qui sont en permanence en découvert.
Je sais bien que les statistiques parlent sous la torture et qu’il faut des analyses plus fines pour tirer des conclusions, mais, quand 84 % de la population partage un sentiment, c’est que la vérité ne se cache pas dans les détails.
Cette situation, n’en déplaise aux politiques et commentateurs qui feignent d’avoir été surpris par cette brusque revendication, ne devrait pas être une surprise. Le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre pour le logement lance chaque année un cri d’alarme que personne n’écoute. Dans l’histoire de la politique du logement en France, publiée en 2012 et en accès libre sur ce blog, j’ai raconté, dans le détail, toutes les erreurs commises. Dès la préface de cet ouvrage, j’évoque le discours que Nicolas Sarkozy avait prononcé, sur ce sujet, le 11 décembre 2007 à Vandoeuvre-lès-Nancy. Ce jour-là, le président de la République avait parlé de la crise du logement en ces termes extrêmement critiques et sévères : « Depuis trente ans, on empile les aides et les dispositifs, sans ligne directrice et sans continuité. Depuis trente ans, une bonne partie de ces dépenses sert à alimenter la hausse des prix. Je ne veux pas que l’intervention de l’État serve à gérer la pénurie. Je veux la combattre. »
J’ajoutais dans cette préface : « La part des revenus des ménages consacrée au logement est anormalement élevée en raison de la pénurie de logements alors même que l’effort de l’État s’élève à plus de 40 milliards d’euros par an qui seraient mal employés […] Pour être propriétaire de leur résidence principale – de préférence une maison individuelle -, de très nombreux ménages consacrent au logement la part la plus importante de leur budget familial. Il en est de même pour les locataires qui ne disposent pas d’un apport personnel suffisant. Dans ces conditions, peut-on parler de politique du logement ? »
Dans un pays démocratique comme le nôtre, c’est au pouvoir exécutif de gérer la complexité des situations. C’est la noblesse de la politique. Anticiper est le maître mot pour tous ceux qui ont l’honneur de diriger le destin des autres. C’est vrai pour l’État comme pour les entreprises. Le respect des administrés dépend de cette capacité et de ce souci de solidarité et de cohésion nationale. Ce n’est pas facile, je le sais. La mondialisation, le libéralisme, l’Europe et ses contraintes budgétaires, ne simplifient pas la tâche de ceux que le peuple choisit périodiquement pour gouverner le pays.
Personnellement, je regrette que pendant que la révolte des « gilets jaunes » se développe, les plus riches, les très riches, se taisent, donnent l’impression de se terrer dans les abris, ne trouvent pas les mots, ne prennent pas des initiatives, qui aideraient le chef de l’État à trouver des solutions qui ramènent le calme et permettent d’éviter que le redressement économique engagé soit gravement compromis.
« Deux choses menacent le monde, disait Paul Valéry : l’ordre et le désordre. »
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