« Dans l’ombre », le livre de Édouard Philippe et Gilles Boyer, édité par JC Lattès, devait être en vente depuis peu de temps, quand mes yeux se sont portés sur la couverture, dans la librairie de la Place du marché, à Deauville. Ce devait être pendant l’été 2011. Je l’avais feuilleté, parce que je savais qu’Édouard Philippe et Gilles Boyer œuvraient dans l’entourage d’Alain Juppé. Ils étaient très peu connus. J’avais lu le résumé. J’avais acheté leur livre. Je l’avais très vite lu et l’avais prêté à un de mes meilleurs amis, passionné, comme moi, de politique. Il est assez rare que les romans politiques contemporains soient passionnants. Celui-là, l’était. Il était très bien écrit par de fins connaisseurs de ce qu’est une campagne présidentielle, de ce qu’est la vie « dans l’ombre » d’un candidat.
En 2017, quand Édouard Philippe a publié « Des hommes qui lisent » (Lattès). 254 pages, 15 €, j’ai acheté son nouveau livre, je l’ai lu et mis en ligne sur ce blog, le 1er novembre 2017, sous le titre « Éloge de la lecture », un article dans lequel je disais, en ces termes, tout le bien que je pensais de l’exercice auquel le nouveau Premier ministre s’était livré.
« Le Premier ministre est un intellectuel. Ce n’est pas si fréquent. Le chef de l’État et le ministre de l’Économie et des Finances également. C’est de plus en plus rare dans le monde qui est le nôtre ; particulièrement dans le monde politique qui consacre généralement peu de temps à la lecture de ce qui ne concerne pas la politique. Homme discret, pudique, donc peu connu du grand public, Édouard Philippe a publié, pendant l’été, un livre de souvenirs dans lequel il fait l’éloge de la lecture. J’ai souvent entendu mon père dire : « Montrez-moi votre bibliothèque, je vous dirai qui vous êtes ». La bibliothèque de l’intéressé en dit en effet beaucoup plus long sur lui qu’il ne pourrait sans doute l’exprimer lui-même !
Dans « Des hommes qui lisent », Édouard Philippe se met à nu pour expliquer l’importance de la lecture dans la construction d’un homme. « Lorsque je regarde ma bibliothèque, je vois ce que j’ai appris et une bonne partie de ce que j’aime. Ces livres m’ont construit « , reconnaît Édouard Philippe. Au Journal du Dimanche, il a confié qu’il est le fruit d’une histoire culturelle et familiale : « J’ai été le produit d’une époque et d’un milieu. Mes parents étaient enseignants. J’ai grandi dans un milieu plutôt de gauche et je lisais des livres qui m’emmenaient plutôt vers la gauche. » Son grand-père, docker, était évidemment adhérent à la CGT. Il ne pouvait en être autrement au Havre !
C’est donc tout naturellement qu’à Sciences Po, il devient rocardien ; un rocardien convaincu. Mais un rocardien qui découvre très vite que ce qui compte le plus pour lui, c’est la liberté. Édouard Philippe explique qu’il est « venu à la droite pour la liberté d’abord. Je place la liberté au-dessus de tout : liberté intellectuelle, d’expression, de manifester. Et cette prééminence que j’accorde à la liberté, je constate qu’elle me place plus souvent à droite qu’à gauche. Je le constate. Je m’en fiche un peu de savoir où on me classe. […] Mais quand j’ai acquis cette certitude que le principe le plus essentiel pour la vie en société c’était de préserver les libertés publiques et la liberté individuelle, j’ai constaté que mes potes de gauche me classaient assez sûrement à droite. Et si c’est ça être de droite je l’assume complètement.
La personnalité du maire du Havre commençait à m’être familière. Je m’intéressais à ce qu’il disait, à ce qu’il faisait. J’aime la politique, quand il ne s’agit que de la gestion des affaires de la cité.
Hier soir, France 2 avait programmé la diffusion des deux premiers épisodes d’une série intitulée « Dans l’ombre ». Les réalisateurs, Pierre Schoeller et Guillaume Senez, ont adapté, pour France 2, le roman d’Édouard Philippe et Gilles Boyer de 2011. Sceptique, parce que je regarde très rarement les séries en général et les séries françaises, en particulier, j’étais cependant curieux de voir comment ces réalisateurs s’étaient tirés d’un livre dont je conservais un excellent souvenir. Le choix de Pierre Schoeller, me paraissait rassurant. C’est lui qui avait réalisé L’exercice du pouvoir, un bon film pour lequel Michel Blanc avait obtenu un César.
J’ai donc regardé les deux premiers épisodes. Les réalisateurs ont adapté le roman. Ils l’ont même transposé, puisqu’il s’agit d’une élection présidentielle qui doit se dérouler en 2025 ! Melvil Poupaud qui interprète le rôle de Paul Francoeur, le candidat de la droite est excellent. Karin Viard, également, avec sa voix et sa perruque blonde. Mais, ce qui m’a le plus convaincu, quand on connaît un peu les coulisses du pouvoir, c’est le rôle du conseiller politique du candidat, de l’homme de l’ombre, César Casalonga, brillamment interprété par Swann Arlaud, Il est parfait !
L’ambiance dans l’équipe de campagne, les rapports humains, les échanges, les coups bas, sont très bien restitués. L’attachée de presse, l’organisatrice des meetings, le petit Caligny, le plus jeune des conseillers, le directeur de campagne, et Démosthène, l’intellectuel, qui rédige les discours, sont authentiques dans leurs rôles.
J’attends le troisième épisode, mercredi prochain. Pour l’instant, l’impression est bonne.
Je m’interroge, cependant, sur le caractère inédit de l’opération de communication à laquelle se livre Édouard Philippe, candidat déclaré à la prochaine élection présidentielle qui pourrait avoir lieu avant 2027 ! Je ne suis pas le seul, la programmation de cette série provoque, c’était prévisible, des réactions contrastées. Télérama fait le constat que : « En pleine netflixisation des esprits, on aura vite fait de passer pour bégueule si l’on fronce les sourcils devant cette série, qui met en scène… un homme politique de droite à la barbe poivre et sel, en ordre de bataille pour décrocher l’Élysée. Mais impossible de ne pas être interloqué lorsque le personnage incarné par Melvil Poupaud, dans des scènes de meeting à sa gloire, scande des slogans sur la réduction de la dette et l’importance de l’éducation, qui auraient tout aussi bien pu sortir de la bouche de l’ancien Premier ministre. »
Pierre Schoeller, pour déminer le terrain, rappelle que l’écriture du scénario a démarré en 2017, date à laquelle personne ne pouvait prédire qu’Édouard Philippe serait un jour candidat à l’élection présidentielle.
Au « Point », Dans l’ombre, sur France 2, en prime time, divise la rédaction. « Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est-elle réellement fortuite ? Difficile de ne pas se poser la question. » « Il serait pourtant dommage de réduire cette série à une projection plus ou moins fantasmée de la prochaine présidentielle. Car Dans l’ombre est d’abord une plongée fascinante dans l’envers du décor politique, au cœur de son appareil et de ceux qui en actionnent les rouages. » Le journal rend compte des échanges au sein de la rédaction. Exemples : « Même si Dans l’ombre n’est pas en soi une catastrophe et, comme on dit, « se regarde » grâce à certaines fulgurances de réalisation typiques de l’auteur de L’Exercice de l’État, la série trahit, à chaque seconde, son parisianisme, particulièrement dans ses deux premiers segments. » « Petite défaite en rase campagne, l’introduction de la série prend le parti de tout miser sur son suspense politico-polar au détriment d’un travail préalable sur ses protagonistes taillés au gros burin. L’enjeu central – tenez-vous bien – consiste à savoir d’où a bien pu provenir le bug informatique suspect qui, lors d’une primaire interne au parti de droite, a donné in extremis la victoire au modéré Paul Francœur (Melvil Poupaud) face à sa concurrente nettement plus réac, Marie-France Trémeau (Karin Viard). »
Dans Le Monde, Solenn de Royer s’interroge : « Le scénario de la série d’Édouard Philippe est haletant. Mais quel scénario a-t-il préparé pour les Français ? » Mais où est passé Édouard Philippe ? Alors que l’examen du budget enflamme l’Assemblée nationale et que les acteurs de la nouvelle coalition au pouvoir – dont fait partie la formation du maire du Havre (Seine-Maritime), Horizons – se déchirent pour les postes à responsabilité au Palais Bourbon, le seul candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2027 reste invisible. Ou presque : on le retrouve à la télévision, alors que la série adaptée du livre écrit avec son ami et conseiller Gilles Boyer, Dans l’ombre (JC Lattès, 2011), est diffusée à partir de mercredi 30 octobre, sur France 2.
Certains passages sont troublants. « L’acteur a la même barbe poivre et sel que celle naguère portée par Édouard Philippe et le même domaine de prédilection, l’éducation. Il porte surtout, comme son supposé modèle, une certaine idée de la politique, se préfère au-dessus de la mêlée, et rechigne – avec un brin d’orgueil, qui peut passer pour de l’arrogance – à descendre dans l’arène médiatique. » Dans l’épisode 2, Francœur refuse de réagir à chaud au suicide d’une policière, jugeant qu’il est vain de courir après un événement, immoral d’instrumentaliser un drame. « Je vais mettre la bête à la diète », dit-il à sa conseillère en communication, qui l’incite à parler sans attendre. « Ce système médiatique est merdique on le sait tous mais là, il faut bouger, on doit avancer nos propositions sur la sécurité », insiste César, son conseiller. « J’ai tenu ma ligne pendant la primaire. Et deux semaines plus tard, il faudrait abandonner tout ce que j’ai installé ? Non », répond le candidat, miroir d’un Édouard Philippe qui déserte le « petit jeu des matinales », selon les mots de Gilles Boyer.
La productrice de la série Dans l’ombre, Marie Masmonteil, assure « qu’il ne s’agit pas d’une « série à clé », et qu’il serait vain de chercher une quelconque résonance avec le présent. Les droits du livre ont été acquis en 2016, quand Édouard Philippe était simple député Les Républicains de Seine-Maritime, loin de s’imaginer qu’il serait nommé Premier ministre un an plus tard ».
Pour Solenn de Royer, « la mise en abyme suscitée par la série est troublante, au risque d’alimenter l’idée que la politique – qui a tendance à se « netflixiser », devenant un feuilleton haletant se déroulant en direct sur les réseaux sociaux – n’est qu’un théâtre, un divertissement. »
« S’il y a une présidentielle en 2025, on n’y sera pour rien », dit la productrice Marie Masmonteil dans un sourire.
J’attends, avec impatience, le troisième épisode, mercredi prochain. Toutes les conditions sont réunies pour que Dans l’ombre soit l’événement télévisuel de la rentrée.
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