Je viens de relire les premières lignes du journal que j’avais publié, il y a un an, sous le titre : « Le Grand Confinement »…au jour le jour… Elles sont troublantes. « C’est assez dingue ce qui se passe. Je n’ai pas d’explication logique. Ce phénomène m’échappe », pourrait à nouveau dire Hervé Le Tellier, le Goncourt 2020.
Hervé Le Tellier raconte, dans L’Anomalie, l’étrange histoire d’un Boeing 787 d’Air France, le vol AF006, Paris-New York, qui vient de traverser de terribles turbulences, se voit refuser l’atterrissage à Kennedy Airport et contraint de se poser sur une base militaire, Mc Guire Air Force Base, New Jersey, où l’équipage et les passagers sont retenus par les services secrets américains. Non sans raison, car trois mois avant, le 10 mars 2021, avec les mêmes turbulences, le même avion avec le même équipage, les mêmes passagers s’était posé à New York. La répétition des situations, le dédoublement, sont des thèmes qui provoquent une réflexion métaphysique sur l’existence, la vie, la mort, l’amour, la famille.
Comme les passagers du vol AF006 d’Air France, sur une base militaire, Mc Guire Air Force Base, nous avons l’impression désagréable de vivre la même situation, une deuxième fois. Il y a de quoi perturber les esprits les plus équilibrés, les plus rationnels.
Lundi 16 mars 2020
- Est-ce que tu penses que nous verrons le lilas en fleur ?
- Euh ! Oui ! J’espère, si nous ne sommes pas morts
- Mais non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Est-ce que nous serons encore ici quand le lilas sera en fleur ?
- Wait end see !
- Les forsythias ne vont pas tarder à fleurir. Nous aurons au moins profité de cette explosion de jaune.
- Il me semble qu’il y a beaucoup plus de primevères que les autres années
- Quel bonheur de pouvoir entendre ce silence, interrompu seulement par le chant des oiseaux qui annonce le printemps.
- On a bien fait de ne pas revenir à Paris pour voter
- Oui !
- Où vas-tu ?
- Je vais lire Le Monde qui doit être en ligne, il est 17 heures. Je voudrais en savoir un peu plus sur ce confinement dont on parle.
- Comme toujours, dans ces cas-là, on va subir les conséquences de la bêtise de quelques individus désinvoltes qui n’ont pas respecté les consignes dimanche, dans les parcs et sur les marchés. Sans parler de ceux qui se sont rués dans les supermarchés. Je ne supporte pas les atteintes à la liberté.
- Les Italiens, les Autrichiens et les Espagnols, l’ont bien accepté, ils savent pourtant ce que c’est que de la perdre. Je ne sais pas comment les Français vont accepter cette restriction de liberté.
La France s’apprêtait à entrer dans le premier confinement de son histoire.
Mardi 16 mars 2021
Le lilas bourgeonne. Les forsythias commencent à fleurir. Il y a peut-être un peu moins de primevères que l’année dernière, mais la pelouse est un tapis de pâquerettes et les oiseaux commencent à chanter.
« On a un peu l’impression de revivre ce qui nous est arrivé il y a un an, quand l’épidémie, après avoir avancé à bas bruit, sort de sa boîte d’un coup », expliquait récemment David Heard, responsable de la communication de l’agence régionale de santé d’Île-de-France.
L’exécutif subit une intense pression des scientifiques et d’un certain nombre d’élus locaux. Il est embarrassé par la dégradation de la situation dans certaines régions, particulièrement en Île-de-France. Que faire ? Tenir le plus longtemps possible, alors que toutes les douze minutes, un Francilien est admis en réanimation et que le variant anglais, représente près de 70 % des cas observés dans la région parisienne ? La vaccination s’accélère, avec l’objectif de vacciner 10 millions de Français d’ici à la mi-avril, mais n’apporte aucune solution à court terme en dehors des personnes vulnérables déjà vaccinées et donc moins nombreuses dans les services de réanimation.
Le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter, ou au moins retarder, de nouvelles mesures de confinement qui seraient perçues comme un échec. S’il faut transférer des « dizaines, voire de centaines » de malades atteints du Covid-19 vers des régions moins touchées et déprogrammer des interventions chirurgicales, le nécessaire sera fait.
Quelle étrange année ! Une année de guerre, avec ses privations de presque tout ce qui fait le charme de la vie et la rend supportable. Un virus, sans doute assez banal, cause la mort, répand la peur, change le monde. Il existe d’autres virus beaucoup plus dangereux pour ceux qui sont infestés. Il tue cependant plus souvent que la grippe saisonnière, mais la question se pose : Fallait-il lui accorder autant d’importance ? À ce jour, on dénombre plus de 100 millions de cas de Covid-19 dans le monde. Il est responsable de 2,5 millions de morts. Sans les confinements, il y aurait eu combien de morts ? Nul ne peut le dire !
Ce qui est certain, c’est que ce virus invisible, sournois, omniprésent, est un petit malin, un ennemi redoutable qui nous laisse sans défense, ou presque, nous terrorise et révèle nos faiblesses. Le SARS-CoV-2 n’est pas un virus intelligent et diabolique, comme le disent certains, c’est un virus qui mute, comme la plupart des coronavirus connus. Dans « Le Grand Confinement “ au jour le jour”, publié en juin 2020, j’écrivais que « par certains côtés, il ressemble au terrorisme. Il n’a pas de chef responsable, sa stratégie est incompréhensible ; il frappe en tout temps, à tout moment, en tout lieu. » Les institutions internationales, les chercheurs, les scientifiques, les gouvernements, ont tenté de faire face, ont parfois réussi, avant d’échouer, ont changé de politique et géré tant bien que mal leurs contradictions.
Marcel Gauchet, en 2017, disait : « Le XXIe siècle ne sera pas une promenade de santé » ! Prophétique, non ?
On ne peut pourtant pas dire qu’on ne savait pas. Il y a un peu plus de trois ans, Jean-Michel Delfraissy, président du Conseil scientifique, donnait une conférence devant des médecins et des professionnels de santé au théâtre de l’Odéon à Paris. Il racontait sa lutte contre Ebola. Il faisait part de son inquiétude, évoquait un virus grippal qui pourrait frapper la France de plein fouet. « Je ne sais pas comment il s’appellera, ni d’où il viendra, expliquait-il. Mais ce risque épidémique est bien réel : il doit être pris en compte par les responsables politiques avec la même intensité que le risque terroriste, le risque économique ou le risque climatique alors qu’aujourd’hui, seuls quelques chercheurs s’en inquiètent. » Ce signal d’alarme n’a pas été entendu, en termes de protection civile, alors que gouverner, c’est prévoir et anticiper.
Le chef de l’État a fait des phrases, des promesses : « Nous sommes en guerre ! Quoi qu’il en coûte ! Nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les jours heureux ! Encore quelques semaines – quatre à six » – avant de pouvoir assouplir les restrictions grâce à la montée en puissance des vaccinations, déclarait-il le 1er mars 2021. Il sait parfaitement que les Français n’en peuvent plus, mais il sait aussi que la contamination demeure sur un plateau haut, avec plus de 20 000 nouveaux cas et près de 300 morts par jour et que l’effet vaccins ne se produira pas à la même vitesse que la menace des variants, notamment le Britannique, qui représente déjà plus de 60 % des cas en France.
La bataille contre le virus n’est pas gagnée. Il est le « maître du temps », comme le constate le chef de l’Etat qui, le 2 février, avait promis que « d’ici à la fin de l’été, tous les Français adultes qui le souhaitent pourraient être vaccinés. ». Les scientifiques doutent que cette promesse puisse être tenue au rythme actuel de la vaccination avec les vaccins BioNTech-Pfizer, Moderna, AstraZeneca (sous réserves) et Johnson & Johnson. C’est pourtant la seule solution pour sortir du tunnel.
Pendant ce temps, les Français assistent impuissants à la disparition d’entreprises et, donc, à la destruction d’emplois. Plus de 320 000 emplois détruits dans le privé en 2020. Pourtant, pour Bruno Le Maire, le pire a été évité : « L’économie française va surprendre par ses capacités exceptionnelles de rebond ». Elle n’était pas en crise, elle était en pause ! Le « quoi qu’il en coûte ça marche », assure, de son côté, le gouverneur de la Banque de France. La croissance de l’économie française sera « au moins égale à 5 % en 2021 », a estimé mardi 9 mars sur franceinfo François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France. Néanmoins, la reprise de l’économie française « va dépendre de la confiance des consommateurs » une fois les restrictions sanitaires levées et de la vaccination.
Comme dans L’Anomalie, « Le temps s’écoule, et il désarme la souffrance. Chaque individu est confronté à une situation anormale, inédite, qui semble irréelle. Chacun la vit à sa façon, avec son caractère, son histoire, mais nous ne sortirons pas indemnes de cette pandémie. Une récente enquête révèle que 40 % de la population présentent des signes de dépression. C’est préoccupant !
N’en doutons pas ! La vie reprendra son cours, sans « gestes barrières » ni « distanciation sociale ». Les grands-parents pourront à nouveau embrasser leurs petits-enfants, les emmener au stade, au théâtre, au cinéma ou au restaurant.
Soyons patients, raisonnables et lucides comme Winston Churchill ! “Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le début de la fin. Mais c’est peut-être la fin du commencement”.
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