A Tréguier, la statue d’Ernest Renan, sur la place du Martray, est devant la cathédrale. En 1903, l’inauguration de la statue par le Président du conseil, Emile Combes, fut vécue par une partie de la population, les cléricaux, comme une provocation. Ils protestèrent et répliquèrent en faisant édifier sur un quai du port, un « calvaire de réparation » appelé aussi « calvaire de protestation ». Personne, à Tréguier comme ailleurs en Bretagne, ne conteste la grande valeur de cet intellectuel breton. Les rapports qu’il entretenait avec la religion étaient complexes. Dans « L’avenir de la science », ne disait-il pas : « Quand je suis à la ville, je me moque de celui qui va à la messe ; mais quand je suis à la campagne, je me moque au contraire de celui qui n’y va pas ». Il critiquait la religion comme système de pensée tout en affirmant son importance comme facteur d’unification des sociétés humaines ainsi que le danger de s’en détourner trop hâtivement.
Théoricien de la nation (on peut lire la conférence prononcée à la Sorbonne le 11 mars 1882 à l’adresse suivante (1), fasciné par la science, l’écrivain, philosophe et historien était né à Tréguier en 1823 dans une famille de pêcheurs. Au séminaire de Tréguier, il remportait tous les prix. Remarqué, il quitte sa Bretagne à quinze ans pour le séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, puis pour celui d’Issy-les-Moulineaux où il constate une contradiction entre la métaphysique et la foi. Sa recherche de la vérité s’accommode mal de la foi qu’il professe. Ses études terminées, il entre au séminaire de Saint-Sulpice pour étudier les textes bibliques et petit à petit se détache de la croyance catholique. Il quitte alors Saint-Sulpice pour devenir surveillant au collège Stanislas, mais sa conviction étant ébranlée, il décide de poursuivre ses études dans une pension privée. En 1847, il est reçu premier à l’agrégation de philosophie et nommé professeur au lycée de Vendôme. Son vif intérêt pour les autres, la vie sociale, le conduit à se présenter à Meaux aux élections législatives en qualité de candidat d’opposition. La chute de l’empire, la guerre de 70, les erreurs de la Commune, persuadent Renan que la France a besoin d’une réforme intellectuelle et morale, titre d’un de ses ouvrages. A la fin de ses jours, il publie ses « Souvenirs d’enfance et de jeunesse », ouvrage très connu et apprécié dans lequel Renan raconte ses jeunes années.
C’est ce livre, lu il y a bien longtemps, et la biographie de l’écrivain que mon ami Francis Mercury m’avait très aimablement dédicacé, il y a une dizaine d’années, qui rendaient incontournable la visite de Tréguier à l’occasion de ce voyage. La cathédrale de Tréguier, quant à elle, est une des plus belles cathédrales de Bretagne. De style gothique flamboyant, elle présente à la fois une nef lumineuse et une tour romane, le clocher ou tour Hastings, seul témoin de ce qui reste de sa construction au 12e siècle. Adossé à l’évêché, le cloître du 15e siècle est assez remarquable pour ses gisants et personnages sculptés. Dans « Composition française », Mona Ozouf, née Mona Sohier, raconte le voyage qu’elle fit, enfant, à Tréguier avec sa mère qui s’était mariée « au grand autel » de la belle cathédrale. Ce déplacement « rare », écrit-elle, était resté très présent dans sa mémoire. Le cloître, notamment, où Renan avait souhaité être enterré. Mais aussi la place du Martray et la statue du grand Homme. « Renan, son chapeau breton posé sur le banc, somnole lourdement face à la cathédrale, sous la protection d’une Athéna casquée, avec son rameau d’olivier », écrit-elle joliment.
Nous sommes allés ensuite à Minihy-Tréguier, voir, au cimetière, en face du porche ouest de l’église, un petit monument du 13e siècle percé d’une arcade sous laquelle les pèlerins passent agenouillés lors du « pardon des pauvres », le 3e dimanche de mai.
(1) http://classiques.uqac.ca/classiques/renan_ernest/qu_est_ce_qu_une_nation
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