« Historique », la crise immobilière ?


Publié

dans

par

Le marché immobilier est en crise. Le marché du logement neuf a chuté de 40 % en deux ans. Les promoteurs qualifient cette crise d’historique. Jamais, disent-ils, la profession n’avait connu une crise pareille. « Le marché immobilier français a enregistré une chute historique des ventes en 2023 », écrivait Julie Chauveau, dans Les Échos, le 8 avril.

Cette crise est-elle vraiment « historique » ?

Je n’ai plus aucune compétence pour parler du marché immobilier, de ses causes et conséquences, mais, j’ai de la mémoire. J’ai publié, en 2012, une histoire de la politique du logement en France et les archives de mon blog, sur lequel je livre des réflexions depuis près de vingt ans, témoignent des secousses que ce marché a régulièrement connu.

Acteur, dans ce secteur de l’activité économique, à partir de la fin de l’année 1962, j’ai été confronté à cinq crises immobilières « historiques ». Depuis mon départ à la retraite, il y a eu deux crises.

Je vais en faire un bref récit, dans les prochaines semaines.

1963-1968

La première crise, alors que débutait ma carrière, fut provoquée par deux événements. Le gouvernement de Michel Debré et les auteurs du IVe Plan, avaient tablé sur le rapatriement d’Algérie de 100 000 personnes en quatre ans. L’année 1962 vu le retour de 710 000 personnes. Pour satisfaire les besoins, il aurait fallu construire deux fois plus de logements. Le deuxième événement, comme souvent en France, est de nature fiscale. Le gouvernement de Georges Pompidou, le nouveau Premier ministre, décida, en 1963, de réformer la fiscalité immobilière et de mettre un peu d’ordre dans la profession et la construction de logements en copropriété. C’était nécessaire, mais sans doute pas de cette façon. Les appartements vendus étaient, le plus souvent, à cette date, représentés par des actions de société anonyme immobilière, cédées par la seule et simple signature d’un bordereau de transfert, sans acte notarié et sans formalité d’enregistrement. En raison de la pénurie, les appartements étaient souvent vendus plusieurs fois, avec de coquets bénéfices non imposables, avant même l’achèvement de l’immeuble. L’exécutif décida donc d’organiser la « vente en l’état futur d’achèvement », de l’accompagner de garanties financières et de l’obligation de transmettre les biens par actes notariés. Il fit également entrer les opérations de construction dans le champ d’application de la TVA et de la taxation des plus-values réalisées sur les logements vendus et sur les terrains à bâtir. Le génie français, dans ce domaine, eut immédiatement pour effet de grever le prix de revient du logement de l’ordre de 20 %. Comme la demande était forte et l’offre rare, les prix de vente s’envolèrent. De cette période difficile, j’ai conservé le souvenir d’un gigantesque programme à Aulnay-sous-Bois : les « Mille-Mille » dont Bouygues nous avait confié la commercialisation. Il s’agissait de vendre mille logements à 1000 francs le m2. Dans le XVe arrondissement, les prix ont ainsi augmenté de 50 % en peu de temps. Il était devenu impossible d’acheter un appartement à moins de 2000 francs le m2 ! Le marché se bloqua. 1963 fut donc l’année de la première crise « historique ». Les réformes, destinées à lutter contre l’inflation, eurent pour principal effet de remplir les caisses de l’État.

Cinq ans après, le marché était toujours en crise. Le stock de logements terminés et invendus n’avait cessé de croître. Pour la première fois depuis la guerre, le marché se vengeait et le gouvernement, qui voulait faire du logement la « priorité des priorités » ne parvient pas à maîtriser la situation. Un rapport confidentiel, dans les premiers jours de 1967, prévoyait même une aggravation de la situation. Le Vème Plan commençait mal. Les objectifs ne pourraient pas être respectés si le gouvernement ne prenait pas rapidement des mesures pour corriger les dysfonctionnements du marché qui se déchirait entre les besoins, considérables, et la solvabilité de la demande qui se dégradait. La crise touchait de plus en plus les classes moyennes qui n’avaient plus accès au logement social. Les prix de vente des logements ont beaucoup augmenté, les acheteurs se faisaient rares. 40 000 à 50 000 logements, souvent construits avec l ‘aide de l’État, étaient inoccupés.

Pour attirer l’épargne vers la construction, un système d’épargne-logement, fut mis en place. Le taux servi, de 4 %, était insuffisant par rapport à ceux pratiqués dans les pays voisins. En Allemagne, par exemple, les dépôts dans les Bausparkassen étaient assortis de primes et d’exonérations fiscales qui permettaient des rendements de l’ordre de 10 %. Au surplus, ceux qui sont déjà logés y avaient également accès : leur épargne servait à ceux qui avaient besoin de se loger, comme en Angleterre.

Chaque parlementaire y allait de sa « petite histoire » pour interpeller le ministre : « Monsieur le ministre, pour un programme de 500 logements, j’ai cinq contrats du Crédit Foncier, cinq contrats de la Caisse d’Épargne, huit contrats d’assurance, un contrat avec le conseil général, soit dix contrats d’emprunts différents ! » racontait le député Charles Privat. Le ministre le savait, il se rendait dans les régions, écoutait, découvrait des « baraquements de première urgence » montés en 1945. Il était conscient que si l’abbé Pierre poussait les mal-logés à occuper les logements inoccupés, ce serait l’explosion. Les mesures anti spéculatives de 1963 ont atteint à la fois la maladie et le malade ? En moins de dix ans, le coût de construction s’est accru de 90 %, les dépenses administratives de 130 % et les charges foncières de 310 %.

La France, contrairement à ses voisins, s’est révélée incapable de constituer des réserves foncières. Elle a renoncé à se doter des moyens financiers nécessaires pour faire baisser le prix des terrains. Edgard Pisani, le ministre de l’Équipement, avait des idées, un projet, une politique, mais il n’a pas été suivi par son gouvernement. Il aurait fallu, comme le préconisait Michel de Chalendar, « inciter à la vente des terrains par une suppression des droits de mutation, surtaxer les terrains non vendus pour être construits dans les deux ans et organiser une péréquation du produit de cette taxe pour financer des équipements. » C’est par la fiscalité qu’il faut corriger des situations anormales et financer les équipements et services publics. L’avenir montrera à quel point le rejet, par Georges Pompidou, de l’ambitieux projet de loi foncière a été plus qu’une erreur : une faute. Il n’est pas de politique de la ville sans réserves foncières en centre-ville. La hausse des prix a absorbé près des deux tiers de l’effort financier de l’État mais aussi des particuliers. En janvier 1967, le Premier ministre reconnaît : « Ma plus grande déconvenue, c’est le logement. »

Telle fut la première crise, « historique » !

À suivre…


Publié

dans

par

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.