J’étais pressé de voir comment Clovis Cornillac avait adapté le roman de Pierre Lemaitre. Impatient, mais partagé, tant cet exercice est souvent décevant. J’avais encore à l’esprit la contrariété que m’avait provoquée, l’adaptation du roman « Illusions perdues » d’Honoré de Balzac, réalisé par Xavier Giannoli en 2021. Le film avait eu beaucoup de succès, obtenu de nombreux prix et sept César. Je ne me suis toujours pas remis des premières images du film, pour des raisons, je le reconnais, très personnelles. Il se trouve qu’à la fin des années quarante, je passais tous les jours, pour me rendre au lycée d’Angoulême, devant l’hôtel particulier de Madame de Bargeton, que Balzac décrit ainsi dans les premières lignes de son roman.
« Ève (la sœur de Lucien), l’accompagna jusqu’à la Porte Saint Pierre, arriva presque en face de la cathédrale, le regarda, prenant par la rue de Beaulieu, pour aller sur la Promenade (…)En arrivant dans la rue du Minage, les choses extérieures n’étonnèrent point Lucien. Ce Louvre tant agrandi par ses idées était une maison bâtie en pierre tendre particulière au pays, et dorée par le temps. L’aspect assez triste sur la rue, était intérieurement fort simple : c’était la cour de province, froide et proprette ; une architecture sobre, quasi monastique, bien conservée. Lucien monta par un vieil escalier à balustres de châtaignier dont les marches cessaient d’être en pierre à partir du premier étage. Après avoir traversé une antichambre mesquine, un grand salon peu éclairé, il trouva la souveraine dans un petit salon lambrissé de boiseries sculptées dans le goût du dernier siècle et peintes en gris. »
Ce fut un choc quand je vis, au début du film, Lucien de Rubempré se rendre dans une somptueuse propriété, entourée d’un parc aux arbres centenaires, pour rencontrer Madame de Bargeton, une jolie femme mariée de la petite noblesse du chef-lieu de la Charente, pour la première fois. Comment Giannoli avait-il pu me faire, à moi, un coup pareil ?
Bref, j’ai toujours un peu d’appréhension, quand il s’agit d’un livre que j’ai lu et aimé. Je ne suis pas le seul !
Pierre Lemaitre, Prix Goncourt 2 013 a entrepris de raconter des histoires qui se déroulent pendant le XXe siècle tragique, comme l’avait fait avant lui, Roger Martin du Gard, Jules Romains, après Alexandre Dumas, Victor Hugo, Zola, Balzac, au XIXe. Rares sont les écrivains capables, comme Pierre Lemaitre, de feuilletonner leur siècle. C’est le mot qu’il emploie quand il dit à Véronique Cauhapé, journaliste du journal Le Monde « « Feuilleter le siècle, parce que je n’ai pas l’ambition de le raconter : je tente d’en éclairer quelques aspects au fil du temps. Feuilletonner, parce que je souhaitais que chaque roman puisse se lire comme un feuilleton (vous connaissez mon appétence pour ce genre) et que la somme elle-même feuilletonne d’un roman au suivant. »
« Au revoir là-haut » (prix Goncourt 2 013), le premier de la trilogie des Enfants du désastre, a pour suite Couleurs de l’incendie, puis Miroir de nos peines et Le Grand Monde. Pierre Lemaitre a le projet de raconter ainsi l’entre-deux-guerres, les « trente glorieuses » et les années de crise. « Neuf romans qui couvriraient le siècle au sens où l’entendent nombre d’historiens : de la Première Guerre mondiale à la chute du Mur », précise-t-il à la journaliste.
Pierre Lemaitre appartient à la littérature populaire, un genre à part de la littérature auquel j’ai déjà consacré plusieurs articles dans ce blog. Le terme « populaire » est apparu pour la première fois dans les commentaires sur « Les Mystères de Paris » d’Eugène Sue (1 843). Dostoïevski, Alexandre Dumas, Balzac ou Victor Hugo, ne cachaient pas qu’ils s’étaient parfois inspirés des récits d’Eugène Sue, Paul Féval, Emile Gaboriau, Ponson du Terrail, tombés dans l’oubli. Dostoïevski reconnaissait qu’il collectionnait les écrits d’Émile Sue et s’en était inspiré pour écrire « Crime et châtiment ». Les critiques étaient sévères sur ce genre littéraire Elles le sont toujours. Mieux vaut, à leurs yeux, écrire pour l’élite que pour le peuple.
La corruption, la fraude fiscale, les trafics, ces maux de la Société, sont des constantes dans ses romans de Pierre Lemaitre. « La corruption est un mal qui ne cesse de ronger nos sociétés », explique l’écrivain. « Ni la République ni la démocratie ne sont, hélas, des remparts suffisants. Et l’on ne peut qu’être frappé par le fait que les personnalités politiques les plus spectaculaires dans leur projet d’éradiquer la corruption ne tardent pas à être elles-mêmes des prévaricateurs et des concussionnaires ».
Clovis Cornillac est aussi attaché que Pierre Lemaitre, à la littérature et au cinéma populaire. C’est donc sans hésitation que l’écrivain a collaboré à l’adaptation cinématographique de son roman Couleurs de l’incendie. L’esprit du livre, le panache, comme la médiocrité des personnages, l’ambition, comme la vengeance, ne sont à aucun moment trahis. Certaines situations un peu grand guignol, propres à la littérature et au cinéma populaire, sont aussi bien restituées, que les scènes émouvantes et tragiques.
Comme Véronique Cauhapé, dans le journal Le Monde, Olivier Delcroix, dans Le Figaro, recommande d’aller voir le film. Elle écrit : « La structure de Couleurs de l’incendie est celle du Comte de Monte-Cristo (1844-1846), d’Alexandre Dumas. On y suit, de 1927 à 1933, la chute d’une femme victime d’une machination qui la conduit à la ruine, puis sa vengeance contre tous ceux qui ont causé sa perte. Cette femme se nomme Madeleine Péricourt (Léa Drucker), sœur d’Édouard, le héros défiguré d’Au revoir là-haut, et la fille de Marcel, dont les funérailles ouvrent le film. Cérémonie qui se double d’un autre drame : la tentative de suicide du fils de Madeleine, Paul (Octave Bossuet), 10 ans, que la défenestration ne tue pas mais rend hémiplégique. »
Le contexte politique et social de la France, pendant cette période, la crise de 29, les illusions que crée le pétrole en Irak, en Roumanie ! La montée des périls, le nazisme, les revers de fortune qui modifient les comportements et font ressortir la vraie nature des personnages, sont habilement restitués. Léa Drucker, interrogée, a répondu : “Madeleine est un de mes plus grands rôles au cinéma”. En Edmond Dantès au féminin, elle est en effet, excellente. Fanny Ardant, aussi, dans le rôle de la cantatrice Solange. Benoît Poelvoorde, dans le rôle de Gustave Joubert, le bras droit de Marcel Péricourt, le père de Madeleine, exprime admirablement le cynisme de son personnage.
Nous n’avons pas été déçus. Le film est fidèle à l’esprit du roman. C’est la comédie humaine, que le cinéma restitue bien.
Les bobos ne sont pas de cet avis. C’est normal, ils n’aiment pas le cinéma populaire. Sans les nommer, pour ne pas leur faire cet honneur, je me limite à quelques-unes de leurs critiques.
« Couleurs de l’incendie » serait, selon eux, une copie fade et exagérée d’Au revoir-là-haut, le long-métrage d’Albert Dupontel, qui ne conserve en rien la verve et la profondeur de son prédécesseur. » « Les traits des personnages, dont les zones d’ombres s’avéraient très finement croquées dans Au revoir là-haut, ne dépassent jamais le stade de caricature exagérée. Dans ce combat, gentils contre méchants, tout sent ici la démonstration poussiéreuse d’un cinéma figé dans le formol, où les vignettes grossières s’enchaînent sans la moindre finesse. Parce que Couleurs de l’incendie s’avère souffrir d’un traitement scolaire étouffant la moindre émotion. »
« Débutant par un plan-séquence déployant une machinerie usée, Clovis Cornillac se contente ainsi de mettre en scène une succession d’évènements sans aucun souffle cinématographique, tel une succession de cartes postales d’antan vieillies par le temps. « Couleurs de l’incendie paraît étouffé dans une bulle temporelle, celle d’un cinéma populaire d’un autre temps qui vise l’efficacité mais n’a rien de bien intéressant à dire sur son temps. »
Couleurs de l’incendie n’est qu’une démonstration de vide où tout sonne affreusement faux. Les bons comme les mauvais s’avèrent finalement détestables et tout ce qu’entreprend le scénario de Pierre Lemaitre tombe finalement à l’eau des couleurs d’un incendie ici transfiguré en vulgaire feu de paille. »
Chacun a le droit d’exprimer son point de vue. Pour ma part, je trouve ces critiques de bobos parisiens, aussi excessives, stupides, que méchantes…
Pierre Lemaitre a emprunté à Aragon, le dernier vers d’un de ses poèmes – Mois des floraisons, mois des métamorphoses (Le Crève-coeur, 1941)
« Couleur de l’incendie au loin roses d’Anjou ».
« L’écrivain est quelqu’un qui arrange des citations, en retirant les guillemets. » (Roland Barthes)
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