S’il y a un domaine dans lequel les prévisions sont difficiles, c’est celui de la démographie. La grande majorité des personnes qui seront vivantes en 2100 ne sont probablement pas encore nées. Les projections démographiques ne peuvent donc avoir un caractère scientifique. Les experts ne peuvent émettre que des hypothèses sur la base desquelles, ils raisonnent.
La 11e des 21 questions que posait « L’Avenir », le numéro de collection consacré au XXIe siècle, conçu par les rédactions du Monde et de France Info, en 1999, avait pour titre : « Combien serons-nous ? Neuf milliards d’hommes en 2050 ». Lucas Delattre, le journaliste qui avait signé l’article, tout en affirmant que « l’explosion démographique tant redoutée n’aura pas lieu. », posait plus de questions qu’il n’apportait de réponses. « Combien d’hommes y aura-t-il sur terre à la fin du XXIe siècle », Jusqu’où ira le recul de la fécondité dans ces pays en phase de vieillissement accéléré ? Les déséquilibres démographiques entre pays pauvres et pays riches vont-ils se creuser. Ce phénomène alimentera-t-il de vastes courants migratoires du Sud vers le Nord ? Le processus de mondialisation favorisera-t-il les migrations ? La multiplication des voyages, à la faveur de la mondialisation, favorisera-t-elle la diffusion des virus ? Le vieillissement de la population risque d’aboutir, à la fin du XXIe siècle, à des organisations sociales totalement différentes de celles d’aujourd’hui. Des partis politiques, voire des syndicats spécialisés dans la défense des intérêts des personnes âgées, vont sans doute apparaître et se multiplier. Cela signifie-t-il un conservatisme accru de la société ? Neuf milliards d’hommes en 2050 : la planète pourra-t-elle héberger tout le monde dans des conditions un peu plus dignes qu’au XXe siècle ?
Les réponses et hypothèses retenues par les experts, ne manquaient pas de pertinence. Vingt ans après, elles se sont, pour la plupart, révélées exactes. Il est vrai que, dans ce domaine, vingt ans, c’est peu de chose. « Nous devrions, sans grand risque de se tromper, être 9,5 milliards autour de 2050 », estimait Jacques Vallin, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (INED). « Les scénarios migratoires ne se réalisent jamais comme prévu. Ni les Russes ni les Algériens n’ont envahi l’Europe occidentale comme beaucoup le pensaient au début des années quatre-vingt-dix. On constate que les migrations du Sud vers le Sud ou de l’Est vers l’Est sont au moins aussi importantes que celles du Sud vers le Nord », soulignait Jean-Pierre Garson, chef de la division des migrations internationales à l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE).
En 2030, près de 5 milliards de personnes (61 % de la population mondiale) vivront dans des villes, des mégalopoles, rassemblant des millions d’habitants. En sera-t-il de même, en 2100, si ces grands centres urbains deviennent invivables ? Les personnes âgées, très nombreuses, provoqueront-elles, des conflits de générations en raison de leur dépendance ? Dès les années 2010-2020, le passage à l’âge de la retraite de la génération des baby-boomers posera partout le problème du financement des retraites, qui est devenu en quelques années l’un des enjeux politiques les plus sensibles dans la plupart des pays riches. L’organisation des régimes de retraite devra être révisée et l’âge de la retraite devra probablement reculer.
Autant de questions qui se posent, en effet, et qui n’ont toujours pas trouvé de réponse en 2022.
Pour l’ONU, le taux de fécondité moyen de la population mondiale, qui était de 5 dans les années cinquante, pourrait tomber à 2,1 en 2050 et à 1,66 à la fin du siècle ; ce qui aboutirait à une population mondiale de l’ordre de 8,8 milliards d’êtres humains, en 2100. Les démographes pensent, pour la plupart, que les prédictions de l’ONU sont un peu élevées.
Comme le soulignait Lucas Débattre, les projections des démographes de l’ONU sont précieuses, en ce qu’elles éclairent sur les grands défis économiques futurs à relever, notamment le financement des retraites, mais aussi sur les bouleversements géopolitiques auxquels il faut s’attendre dans les prochaines décennies. L’Inde va devenir dès 2023 le pays le plus peuplé de la planète, devant la Chine, qui pourrait perdre, d’ici 2100, près de la moitié de ses habitants. La population de la Russie pourrait diminuer de 33 millions d’ici la fin du siècle.
Une étude de la banque HSBC, révélée le 12 juillet dernier par Les Échos, a provoqué de vives réactions dans la communauté des démographes. Les économistes James Pomeroy, Herald van der Linde et Prerna Garg, prédisent, dans cette étude, que la population mondiale pourrait n’être que de 4 milliards d’habitants, à la fin du siècle, au motif que le taux de fécondité, en net recul, devrait réduire considérablement le nombre de naissances dans le contexte d’une population vieillissante. Ils ne sont pas les premiers à développer ce raisonnement. En 2019, deux Canadiens, Darrell Briquer et John Ibis, dans leur ouvrage « Empli Planer : te choc off global population décline », affirmaient déjà que le vieillissement et la faible fécondité entraîneraient des changements importants dans la population mondiale, plus tôt que nous ne le pensons.
Parmi les raisons qui expliquent la baisse du taux de fécondité, les économistes d’HSBC retiennent principalement l’intégration des femmes dans le marché de l’emploi, qui a pour effet de retarder l’âge auquel elles ont leur premier enfant, la hausse des prix de l’immobilier dans les pays les plus développés, qui décourage les couples d’avoir plusieurs enfants, les progrès de l’éducation, un meilleur accès aux soins et à la contraception. La pandémie de Covid-19 aurait encore accentué cette tendance et contribué à la baisse du nombre de naissances.
Il y a des disparités. Si la part de l’Afrique dans la population mondiale a de grandes chances de progresser, il n’en est pas de même dans les pays développés. À Hong Kong, à Singapour, en Corée du Sud et à Taïwan, par exemple, le taux de fécondité permet déjà de prédire une division par deux de leur population d’ici à la fin du siècle. La Chine pourrait être rapidement dans ce cas. En ce qui concerne l’Europe, l’étude n’exclut pas que la population diminue de moitié avant 2070. Dans cette hypothèse, la France ne compterait plus que 62,3 millions d’habitants et l’Allemagne 70,3 millions.
L’étude HSBC est qualifiée de « peu crédible », voire de « farfelue », par certains experts qui rappellent que, dans ce domaine, il y a eu, de tout temps, des prévisions excessives dans tous les sens. Il y a cinquante ans, des études analogues prédisaient une augmentation exponentielle de la population mondiale. Il n’en reste pas moins qu’il y a des tendances lourdes. Le déficit démographique est là et bien là. En Chine, notamment, qui a des ambitions de puissance, et en Russie, qui déplace de force des populations et annexe des territoires, pour compenser le déficit. Véritable but de guerre, à l’évidence !
Des phénomènes inattendus, imprévisibles, tels que des conflits armés, régionaux ou mondiaux, des pandémies, des catastrophes climatiques, peuvent bouleverser les prédictions. Exemple : Entre juin et août 2022, le pays a connu un excès de décès, très probablement dû aux épisodes de canicule. L’Insee observe que par rapport à 2019, 11 124 personnes de plus sont mortes l’été dernier. Ce chiffre n’est pas définitif. Il y en avait eu 15 300 lors de la canicule de 2003, restée dans les mémoires. L’augmentation du nombre de décès, durant l’été 2022, est à rapprocher des 27 000 décès supplémentaires, entre le 10 mars et le 8 mai 2020, dû à la pandémie de Covid-19.
Les conséquences, notamment sociales, géopolitiques, ne seront pas les mêmes, selon que le scénario de l’ONU ou celui de la banque HSBC, se réalise. Pour ma part, expert de rien, je miserai bien deux kopecks sur une population mondiale de 7 milliards d’êtres humains, en 2100 !
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