L’annonce du décès de ce grand serviteur de l’Etat, a provoqué chez moi une profonde tristesse et fait remonter bien des souvenirs.
A son âge, 99 ans, je savais qu’un jour ou l’autre, j’apprendrais qu’il nous avait quittés. Mais, j’étais convaincu qu’il fêterait ses cent ans. La dernière fois que je lui avais rendu visite, rue Vaneau, au début de l’année 2014, il m’avait fièrement dit qu’il allait toujours courir dans le Bois de Vincennes, à l’Institut National des Sports, où il avait ses habitudes depuis bien longtemps. Devant mon étonnement, il s’était levé et m’avait dit : « Venez voir ma salle de gym » ! Elle était située à côté de son bureau, avec ses appareils de torture ! « J’en ai une autre, plus complète, à la cave ! » avait-il ajouté avec un sourire.
Je connaissais Lucien Vochel depuis plus de quarante ans. C’est l’ancien Préfet de Paris, Marcel Diebolt, devenu président de la SACI, qui m’avait demandé, en 1974, de prendre contact avec le préfet de la Vienne, Lucien Vochel, qui avait besoin d’un conseil. Lucien venait de vivre un événement qui marque dans une carrière de Préfet. Le 24 janvier 1974, moins de trois mois avant son décès, Georges Pompidou, en visite présidentielle à Poitiers, avait fait un malaise à la préfecture devant les élus et le préfet.
Après un séjour d’une durée exceptionnelle (1970 à 1977 ), en qualité de Préfet de la Vienne et de la Région Poitou-Charentes, Lucien Vochel fut nommé à Marseille, Préfet des Bouches-du-Rhône, Préfet de la région Provence Côte d’Azur.
Peu de temps après le changement de majorité présidentielle, le 19 juin 1981, nous étions, Dany et moi, de passage dans la région. Lucien Vochel nous avait fait promettre de lui rendre visite et de passer la soirée et la nuit à la Préfecture. Venant de La Grande Motte, où le conseil d’administration de COGEDIM s’était réuni, j’avais sous-estimé le temps qu’il fallait pour nous rendre, en voiture de location, de Montpellier à Marseille ; nous n’arrivâmes à la Préfecture qu’à 21h. Le Préfet nous attendait en jouant au billard avec son fils, Eric. Nous étions devenus très amis
Quelques jours plus tard, peut être le savait-il en nous recevant, Le Préfet, devenu Commissaire de la République, à la faveur du changement de majorité, fut appelé par le nouveau Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, qui l’avait apprécié à Marseille, au poste dont rêvent tous les Préfets, celui de Paris et de l’Ile de France. J’allai assez vite lui rendre visite dans son bureau au 29 rue Barbet de Jouy et à sa Résidence, l’Hôtel de Noirmoutiers, où nous fûmes fréquemment invités.
En 1983, le jour de l’inauguration du « QUARTIER DE L’HORLOGE » en bordure de la Piazza Beaubourg, Lucien Vochel, nous fit l’honneur de sa présence.
C’est par un coup de fil, avant que je l’apprenne par la presse, que Lucien Vochel me fit part de la décision du Président de la République, par un arrêté du 4 juillet 1984, de l’autoriser à faire valoir ses droits à la retraite. C’est la formule consacrée pour exprimer que le Préfet avait atteint l’âge limite pour sa fonction. Il organisa une très belle et dernière réception dans le parc de l’Hôtel de Noirmoutier, le 12 septembre, à laquelle le Tout Paris fut convié. Les relations de confiance que Lucien Vochel entretenait avec le Ministre d’Etat, Gaston Deferre, furent très utiles. L’expérience acquise par Lucien, au Cabinet de Roger Frey et de Christian Fouchet, Ministres de l’Intérieur de 1962 à 1967, fut précieuse quand il fallut négocier le statut de Paris, les lois de décentralisation et de déconcentration. Le journal Le Monde rappela qu’en décembre 1981, il n’avait pas hésité à faire voter, contre les élus de gauche, un budget départemental dans la ligne des précédents afin, expliqua-t-il, « de tenir compte des projets de décentralisation qui impliquent le transfert de l’initiative et de l’exécution de ce budget au président du conseil général ». Le Préfet se trouva souvent dans une position délicate, au cœur des passes d’armes qui eurent lieu entre l’Etat et la ville. Il s’entendit bien avec Michel Giraud, président RPR du conseil régional d’Ile-de-France, que j’ai souvent rencontré chez lui. « C’est en qualité de président de l’association dit du corps préfectoral, qu’il eut le plus de contrariétés. Il eut souvent à se plaindre : « des péripéties et des émotions suscitées par la décentralisation. » Il regretta « les dessaisissements qui s’apparentaient à des spoliations et le corporatisme des bureaux qui rend l’Etat plus compliqué et plus fermé aux citoyens ». En revanche, à l’heure du bilan, c’est au chapitre du cadre de vie, de l’environnement et de la solidarité – lutte pour la résorption des îlots insalubres- que Lucien Vochel enregistrera ses plus grandes satisfactions. Il acheva sa carrière en négociant à la satisfaction générale le contrat de plan entre l’Etat et la région. »
Après qu’il ait quitté ses fonctions de Préfet de région, je continuai à voir régulièrement Lucien Vochel. J’avais noté dans mon agenda que le 4 septembre 1985, je l’avais invité au restaurant « L’Archestrate », à l’angle de la rue de Varenne et de la rue de Bourgogne. A la table à côté de la nôtre, Edgar Faure déjeunait avec Marie-Jo Bobet et le Préfet Doublet, que nous allâmes saluer. Lucien continuait à inviter ses amis, chez lui, rue Vaneau. Le 12 octobre, il nous invita avec son ami l ‘Ambassadeur d’Algérie en France, Abdelhamid Mehri. Je me souviens que ce soir-là, était également invités le célèbre Préfet Gandouin, Irène de Lipkowski et le Professeur Metzger, chef de Service de Neuro-Radiologie à la Pitié. Je crois me souvenir que c’est ce jour-là, après le dîner, que Lucien nous entraîna dans une chambre de l’appartement qui donne sur le parc de l’Hôtel Matignon et nous dit : « Vous voyez, cette fenêtre ; le jour où Bernard Tricot est venu apporter à Laurent Fabius son rapport sur l’affaire « Greenpeace », j’étais par hasard à la fenêtre, j’ai assisté à la scène, bien involontairement ».
En 1990, le 5 avril, plus précisément, Lucien Vochel me convia à déjeuner dans le célèbre Salon « Goncourt » du restaurant Drouant, place Gaillon. Parmi les personnalités invitées, il y avait Pierre Mazaud, ancien Ministre, Président de la Commission des Lois, à côté de qui je me trouvais. Je n’ai aucun souvenir de la salade de Saint Jacques, du bar au jus de truffes et de la feuillantine aux poires caramélisées, tant le récit que nous fit Patrick Baudry fut passionnant. Il avait fait partie de l’équipage qui, de la navette Discovery, était parti le 17 juin 1985 de Cap Kennedy avec une mission scientifique, le largage de plusieurs satellites et autres expériences de physiologie neurosensorielle. Interrogé sur l’impression ressentie en regardant la Terre que l’on a quittée, il se déclara incapable, avec des mots, de décrire ce que l’on ressent. Car ce n’est comparable à rien d’autre. Au cours du repas, je profitai de la présence à mes côtés de l’alpiniste chevronné qu’est Pierre Mazeaud, pour lui poser la question suivante : « Je suis invité, dans quelques semaines à une escalade du Mont Blanc. Je n’ai jamais fait de haute montagne ; on me dit que c’est maintenant aussi facile que de remonter les Champs Elysées. Quel conseil me donneriez-vous ? » « C’est très simple, si vous voulez savoir si vous en êtes capable, allez à Chartres à pied ! La fatigue est à peu près la même. » Inutile de dire que je ne suis pas allé à Chartres et que je me suis contenté de remercier ceux qui m’avait invité.
Le 4 avril 2013, HC Editions (ISBN : 978-2-35720-144-6 – EAN : 9782357201446 – 222 pages) a publié les souvenirs que Lucien Vochel accepta enfin de raconter. Sous le titre : « Un parcours inattendu – De Saint Laurent-du-Maroni à Paris… », le Préfet livra des anecdotes, des réflexions, sur un parcours riche en événements.
En janvier 2014, je lui ai rendu visite pour lui demander de me dédicacer son livre et lui offrir celui que j’avais, de mon côté, publié : « La vie à Dinan sous l’occupation ». Trois jours plus tard, il me téléphonait pour me dire qu’il l’avait lu et que le récit de la vie quotidienne de mon père, directeur des services techniques de la ville de Dinan, pendant l’Occupation, l’avait intéressé. J’avais moi aussi dévoré le récit de cet homme étonnant, chaleureux, cultivé, fidèle, qui avait en permanence le souci des autres.
Une vie que l’éditeur résume ainsi : « Il y a bien des manières de servir la République. Celles qui sont relatées dans cet ouvrage sont marquées par des nominations successives. Lointaines, d’abord, avec la découverte de l’Indochine où le préfet Lucien Vochel assiste, navré, à son naufrage ; puis de la Guyane, vaste territoire au cœur de l’Amazonie. S’ensuivent des affectations administratives en métropole, certaines marquées d’événements historiques, d’autres plutôt prestigieuses, et au-delà, une fonction dans la valorisation des économies d’outre-mer.
Une longue vie au service des autres, émaillée de rencontres avec les grands hommes d’État de notre pays. Ressaisir sa vie en un regard lucide pour la faire renaître, modestement, dans la perspective de l’Histoire, tel est le challenge de Lucien Vochel dont le parcours inattendu depuis Saint-Laurent-du-Maroni jusqu’à Paris vaut bien un roman d’aventures… »
Lucien Vochel, haut fonctionnaire, était licencié en droit et diplômé d’études supérieures de lettres. Il a tout d’abord été secrétaire adjoint puis secrétaire général de la mairie d’Evreux (1936-1947), à la disposition du préfet de l’Eure (1944-1945), attaché au cabinet du haut-commissaire de France en Indochine (1947), et membre de divers cabinets ministériels (1949-1951). Il a ensuite assuré les fonctions de conseiller de préfecture à Alger (1951), de sous-préfet de l’Inini (1952), puis de secrétaire général du département de Grande Kabylie à Tizi-Ouzou (1956).
Par la suite, sous-préfet de Rochefort (1959), de Valenciennes (1961), il poursuit sa carrière comme conseiller technique au cabinet de Roger Frey (ministre de l’intérieur, décembre 1962), et préfet de la Mayenne (1964-1967). Il occupe les postes de directeur adjoint du cabinet de Christian Fouchet (ministre de l’intérieur, avril 1967), de directeur général des Affaires politiques et de l’Administration du territoire, tout en étant membre des comités des programmes de radiodiffusion et de télévision de l’ORTF (1967).
Il fut nommé préfet de la région Poitou-Charentes, préfet de la Vienne (1970), puis préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, préfet des Bouches-du-Rhône (1977-1981), préfet de Paris, puis de la région d’Ile-de-France (1981-1984), avant d’être admis à la retraite (1984). À partir de 1985, il fonde et préside la Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom), instance économique unificatrice des diversités de nos quatre DOM. Il est par ailleurs nommé président d’honneur de l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (depuis 2001).
Lucien Vochel avait été élu membre titulaire de la 2e section de l’Académie des sciences d’outre-mer le 18/12/1992.
Lucien Vochel était grand officier de la Légion d’honneur et grand-croix de l’ordre national du Mérite.
Lucien Vochel était un des hommes qui ont le plus compté dans mon existence.
J’adresse à sa compagne, à Eric, dont Lucien était si fier, et à ses petits-enfants, devenus si grands, mes plus sincères condoléances et mes plus affectueuses pensées.
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