Sous ce titre, l’écrivain Philippe Besson vient de publier le livre que j’aurais aimé écrire tant la conquête de l’Élysée par Emmanuel Macron m’a littéralement fasciné. Proche du président et de son épouse, cet écrivain était particulièrement bien placé pour observer cette épopée inattendue. Comme lui, j’ai, tour à tour, été intéressé, agacé, bluffé, souvent, par l’inconsciente détermination de ce jeune homme et, au final, sidéré par l’exploit réalisé. Comme lui, j’ai longtemps douté. Ce n’était tout simplement pas possible d’être, dans ces conditions, élu par une majorité de Français. Au printemps 2016, j’ai, moi aussi, colporté l’image du « petit marquis poudré » attribuait à Laurent Fabius. On ne prête qu’aux riches ! Comment, à cette époque, ne pas penser à un certain nombre de personnages de roman célèbres. Sur ce blog, et au cours de conversations entre amis, j’ai, moi aussi, très tôt, rapproché la personnalité du futur chef de l’Etat de celle de Julien Sorel ou de Fabrice del Dongo. Les mauvais jours, c’est à Lucien de Rubempré que je pensais. C’était méchant ! Alain Juppé n’était pas en reste quand il déclarait alors : « Macron ? Ni compétent, ni loyal ». Sans parler du célèbre « Macron ? Comment vous dire… Ras-le-bol… » de Martine Aubry. Un personnage de roman ne laisse pas indifférent. Il aurait fallu connaître la fin de l’aventure pour penser, comme le raconte Philippe Besson, à Cyrano de Bergerac.
Quelle période ! Vu de Sirius, nous avions « en même temps » les personnalités de Poutine, Trump et Macron à observer. Sans oublier, en 2016, Sarkozy et Hollande…C’est dans cet esprit que j’ai entrepris de raconter, pendant l’été, « l’année qui a ébranlé le monde, l’Europe et la France ». La géopolitique m’intéresse plus que le romantisme.
Philippe Besson écrit qu’il a eu une « illumination, une révélation » le 30 août 2016. « Emmanuel M. apparaît sur le plateau du journal télévisé. Il est 20 heures. Il se produit alors, en moi, une chose étrange (…) Je pense : cet homme sera président, un jour. Et ce n’est pas à cause de ce qu’il dit, non, c’est à cause de l’image, de ce qui se dégage de l’image, en cet instant. »
Au fil des mois, au fil des pages, Philippe Besson restitue des impressions, des confidences, des propos tenus devant lui par le futur chef de l’Etat. Son style est simple, clair, fin, sans prétention. En raison sans doute de son jeune âge et de son manque d’expérience politique, Emmanuel Macron a compris avant les autres que les Français sont fatigués de l’ancien monde. L’écrivain pensent « qu’ils ont compris, admis les profondes mutations de notre société, et veulent qu’on s’occupe désormais des urgences du présent ainsi que des enjeux du futur. Lui avec sa modernité, sa capacité à identifier les opportunités de la mondialisation, à embrasser la révolution numérique et environnementale, est mieux placé que personne pour répondre à leurs attentes. Les Français veulent renverser la table, faire « turbuler » le système, se débarrasser d’un modèle politique binaire qui échoue depuis plus de trente ans. Ils réclament une nouvelle donne, une autre façon de faire. »
Mais les Français ont peur. « Ils clament leur foi en l’avenir, mais ne cessent de se réfugier dans le « c’était mieux avant », réclament toujours des réformes, mais s’y opposent systématiquement dès que quelqu’un s’efforce de les mettre en place, aspirent à la révolution, mais élisent un roi, vomissent les partis, mais votent pour eux, jouent au loto, mais haïssent les individus liés à l’argent. »
Emmanuel Macron est un bon client pour les médias qui accompagnent, souvent sans nuance, les vents porteurs dans un sens ou dans un autre. « Si je manifeste le moindre doute, je suis mort… » confie-t-il à l’écrivain. « Il y aurait beaucoup de raisons objectives pour que cette tentative échoue. Mais ça ne me décourage pas, au contraire ça décuple mon énergie… » Emmanuel Macron découvre que « les journalistes n’écoutent pas les réponses aux questions qu’ils posent et ne laissent de toute façon pas le temps de proposer une réponse articulée et nuancée. » C’est ce que pense Philippe Besson. Il n’est pas le seul !
Plus loin, il confie également : « Ma culture est une culture mâle, guerrière : dans la banque d’affaires, tu pars au combat, tu restes tard le soir, tu sacrifies ta vie personnelle, c’est une connerie d’ailleurs, en plus tu finis par y perdre ton discernement. »
Dans son livre, Philippe Besson raconte l’origine du nom du mouvement : En Marche ! « Cette injonction est tirée de Vol de nuit, le roman de Saint-Exupéry : « Dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent. »
Il apparait clairement qu’Emmanuel Macron ne se fixe aucune limite. « C’est un enfant de la crise. Il n’a jamais connu la croissance, jamais la prospérité. Il est né après les Trente Glorieuses. Il a grandi dans le chômage de masse, la précarisation galopante. Il a vu la France perdre peu à peu son rang de puissance de premier plan et s’accrocher à ce souvenir flatteur. Il ne sait rien d’un pays qui irait bien, d’une nation optimiste. Cela explique, en grande partie, son état d’esprit. »
Le 16 novembre, Emmanuel Macron annonça sa candidature dans un centre d’apprentissage de la Seine-Saint-Denis. Lieu choisi pour « adresser à la fois un signe aux déclassés, aux délaissés, aux inquiets, mais aussi à la jeunesse, aux populations issues de l’immigration. » C’est, écrit Philippe Besson, son « Je vous ai compris » à lui. Les réactions qui suivirent furent vives. « Création médiatique », « Il incarne la trahison », « Un pur produit de la finance », « Nouvelle marionnette du système financier mondial. » Georges Pompidou en avait entendu bien d’autres. Le fait, constate Philippe Besson, « que tant de personnes se sentent obligés de commenter signifie qu’il s’agit donc d’un fait politique majeur et que l’homme constitue une menace pour beaucoup. » Le journal Le Monde est prudent dans son éditorial : « Excellent élève, il entend dépasser ses maîtres. » En effet, François Hollande et Manuel Valls ne s’en relèveront pas.
L’intéressé confie à l’écrivain : « Ce que nous avons fait était inattendu. Ce qu’il nous reste à faire est fou. C’est pour cela que nous allons réussir. »
Quand François Hollande renonce, Emmanuel Macron est sonné. « Son regard est vitreux. L’homme est ébranlé. » Macron, explique Besson, se demande si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle pour lui.
La suite est connue. Le 8 mai, Emmanuel Macron devient le plus jeune président de la République française. Tous les commentateurs, même les moins bien disposés, reconnaissent qu’il n’a pas mis longtemps, lui, à incarner la fonction. Philippe Besson s’interroge cependant : « Un homme qui suscite tant d’espoirs n’est-il pas condamné à décevoir ? »
Dans ce livre, sorti jeudi dernier à 75.000 exemplaires, il y a des passages que Michel Audiard n’aurait pas renié. Ainsi, prise sur le vif, l’opinion d’Emmanuel Macron sur ses adversaires, sur certains intellectuels connus, sur les journalistes ou le monde politique. En privé, l’homme est moins bienveillant ! « Les grands partis politiques, c’est comme l’amicale des boulistes. Mais sans l’amitié et sans les boules. Ces gens, au fond, ce sont des commerçants qui tiennent un bout de rue. Ils estiment qu’ils ont une patente. » Sur François Fillon : « Son intérêt, c’était de tenir, sinon, il n’était plus qu’un justiciable. Mais surtout, c’est typique de ce qu’il est : un bourgeois de province du XIXe siècle. » Sur François Hollande, « Au fond, François Hollande est un nihiliste. Chez lui, pas de mystère, pas de verticalité, tout se vaut. Je pense qu’il devrait renoncer à se présenter. Pour lui. Pour le pays. » Sur Alain Juppé : « Il appartient au vieux système. On va se rendre compte qu’il n’a pas d’idées neuves. Au fond, c’est un technicien, pas un politique. »
Vous en voulez d’autres : Sur les Onfray, Todd, Finkielkraut, Debray, qui lui mordent les mollets : « Ils ne m’intéressent pas tellement. Ils regardent avec les yeux d’hier le monde d’hier. Ils n’aiment pas l’action politique, mais vivent de son commentaire. Des esprits tristes englués dans l’invective permanente. » Sur un certain nombre d’éditorialistes : « Franchement, il y en a qui sont à la déontologie ce que Mère Teresa était aux stups. Ils me donnent des leçons de morale alors qu’ils sont dans le copinage et le coquinage depuis des années. »
Et cette réflexion après la victoire du premier tour : « Tu te souviens d’André Dussolier dans “Les Enfants du marais” ? Il dit toujours : “Quelle aventure !” Et les autres le répètent en chœur. C’est un peu ça […]. C’est la fin de l’innocence. »
Ce livre est un roman d’aventure. Il est agréable à lire, mais ne vous faites pas d’illusions, les confidences faites à Philippe Besson ne révèlent rien de la personnalité complexe d’Emmanuel Macron. Il l’assume d’ailleurs quand il déclare à son ami : « J’ai souffert si tu savais : je ne suis pas naturellement porté au dévoilement. »
« Un personnage de roman » n’est pas un livre politique. C’est le récit, souvent intime, d’une épopée dans un contexte très particulier : l’affaissement du vieux monde politique français, pour ne pas dire son effondrement.
Pierre Servent, mon camarade de l’IHEDN, qui sait de quoi il parle, compare cette épopée à une action des forces spéciales : une mission, un objectif, une organisation réduite, un chef, le secret absolu qui doit entourer les actions entreprises et une confiance sans faille entre les membres de l’équipe.
A sa façon, Brigitte Macron, présente tout au long du récit, résume l’aventure quand elle cite Apollinaire : « A la fin, tu es las de ce monde ancien… »
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