Notre cher et vieux pays est balayé par des tempêtes que nous n’avions pas connues depuis longtemps. La violence qui s’exprime est telle que la sagesse impose de se mettre à l’abri, de se taire, de ne rien dire, qui puisse alimenter les polémiques. La presse, les chaînes d’info en continu, les réseaux sociaux, qui n’existaient pas il y a quelques années, au nom de la vérité, soufflent sur le feu, attisent les braises. Toutes les conversations, au bureau, au restaurant, entre amis, évoquent les derniers rebondissements, les arguments échangés, les règlements de comptes qui ne se cachent plus.
Les plus anciens, ceux qui en ont vu d’autres, racontent des événements passés qui, sans être comparables, offrent tout de même quelques similitudes.
Qui a dit, en d’autres temps :
« Toutes les attaques menées contre moi, qu’il s’agisse des impôts, qu’il s’agisse de la grande fortune cachée, ne reposent strictement sur rien, sur rien d’autre que l’intention de nuire. Pour me discréditer et me disqualifier. À vrai dire, cela dépasse de beaucoup ma personne. Il s’agit, vous l’avez compris, d’une manœuvre politique destinée à empêcher le Premier ministre de poursuivre sa tâche à la tête du gouvernement et de la majorité. »
L’INA, l’Institut national de l’audiovisuel, a mis en ligne ce matin, sans doute pour rafraîchir la mémoire de ceux qui l’auraient oublié, l’entretien que le Premier ministre Jacques Chaban Delmas avait accordé au célèbre journaliste de l’époque, Pierre Desgraupes, le 15 février 1972 pour le journal de 20 heures. La séquence dure 3minutes et 6secondes. (http://www.ina.fr/video/I17032123/jacques-chaban-delmas-a-propos-de-ses-impots-sur-le-revenu-video.html)
L’affaire de la feuille d’impôt du très populaire et ambitieux Jacques Chaban-Delmas avait commencé en novembre 1971, quand Le Canard enchaîné avait publié un avertissement de la trésorerie du XVIe arrondissement adressé au Premier ministre en exercice. Le Canard enchaîné révélait le montant de son impôt sur le revenu : 16 806 francs seulement, pour un revenu imposable de 72 400 francs ! Comme il a coutume de le faire, Le Canard… en avait remis une couche le 19 janvier 1972, en affirmant que Chaban n’avait pas payé d’impôts de 1966 à 1969.
Le Premier ministre s’était défendu en arguant de son bon droit. Il avait bénéficié de l’ « avoir fiscal », une mesure qui existait depuis 1965. Il n’avait rien fait d’illégal. Le président de l’Assemblée nationale, qu’il était alors, n’avait simplement pas payé d’impôt sur le revenu en appliquant l’avoir fiscal qui permettait de récupérer, au titre de l’impôt sur le revenu, les sommes déjà versées au titre de l’impôt sur les sociétés.
Les médias, l’Express, en particulier, donnèrent à « l’affaire » un grand retentissement. Ils cherchèrent, et trouvèrent, des croisements d’intérêts suspects. Michel Poniatowski, souvent porte-parole de Valéry Giscard d’Estaing, trouva la formule qui faisait mouche avec : « les copains et les coquins ». Il avait atteint son but qui était de montrer du doigt des pratiques en usage dans l’entourage du parti gaulliste. Celui-ci se défendit en accusant clairement, dans Le Nouvel Observateur, l’administration des finances, dirigée par Valéry Giscard d’Estaing qui seule, détenait les informations publiées par Le Canard
Le mal était fait, l’effet politique fut désastreux. En 1974, Jacques Chaban-Delmas fut écarté, dès le premier tour de l’élection présidentielle. En France, « éviter de payer des impôts est un passe-temps national de longue date », écrivait, en 1974, l’ambassadeur des Etats Unis en France, John N. Irwin II, dans une note à l’attention du Département d’Etat à Washington.
Jacques Chaban-Delmas avait probablement eu grand tort de ne jamais vouloir reconnaître que sa situation fiscale pouvait être choquante. Cette affaire l’a poursuivi jusqu’à la fin de sa carrière politique.
François Fillon commet la même erreur. Il peut encore la corriger, mais le temps presse. Au lieu de reconnaître des imprudences, un manque de discernement, il choisit la télévision pour prendre l’opinion publique à témoin du « coup d’État institutionnel », du « complot » pour l’abattre, sans répondre sur le fond, sur les faits qui, seuls, intéressent l’opinion publique. La vérité est toujours concrète. Il emploie à peu près les mêmes mots que Jacques Chaban-Delmas en 1972. « Toutes les attaques menées contre moi […] ne reposent exactement sur rien, sur rien d’autre que l’intention de nuire, pour me discréditer et me disqualifier. […] Il s’agit d’une manœuvre politique…
Un souvenir me revient en mémoire. Dans les derniers jours de 1971, peu de temps après que Le Canard enchaîné a publié l’avertissement de la trésorerie du XVIe arrondissement dont dépendait Jacques Chaban-Delmas, je croisai Maurice Faure, ancien ministre, maire de Cahors et président du parti radical, dans « Le Capitole » qui nous ramenait dans notre bonne ville. Nous parlâmes de choses et d’autres et, notamment, de l’avoir fiscal de Chaban. J’entends encore Maurice Faure, fin connaisseur de la France profonde, me dire : « Vous voyez, avec cette affaire, il s’est mis toute la France à dos. Ceux qui trouvent qu’il ne payait pas assez d’impôts et ceux qui trouvent qu’il avait trop de revenus. »
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